"La mort et l'avatar" : Antonio Casilli interviewé dans Silicon Maniacs

La vie, la mort et le transhumanisme : dans le magazine en ligne Silicon Maniacs, la journaliste Jessica Chekroun interviewe le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil).

N’y a t’il pas une dichotomie entre l’immortalité par la cryogénisation, et ce fantasme de l’avatarisation ?

Au contraire, je dirai qu’il y a une continuité. Le sens que je cherche à donner à cette restitution historique, est justement qu’il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique. Parce que, à un moment historique, dans les années 90 il y a eu cette confluence, cette fixation entre deux thématiques, grâce à cette idée de l’uploading, du télèchargement du corps et de sa modélisation 3D. Même si c’était un mythe, le fait de vivre éternellement en tant qu’être virtuel était présenté comme la démarche à la portée de tout le monde parce que se connecter à internet était à la portée de tout le monde. […] Ces mythes correspondaient à une phase utopique de la culture des technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que même les usagers qui possèdent un avatar sur Second Life ne sont pas là pour vivre éternellement. On s’est très très vite heurté à la réalité des faits. Nous avons à faire à des technologies qui sont techniquement limitées. Nous vivons un moment historique dans lequel, malgré l’analyse très pertinente d’Evgeny Morozov, « l’illusion internet » ( « The Net Delusion » ) nous a abandonné. Les grands mythes tombent. Même si la phase utopique de la culture numérique est passée, les transhumanistes continuent à exister, à être extrêmement actifs. Il ne faut pas penser les transhumanistes comme inextricablement liés aux TIC. Ils ont tout un éventail technologique sur lequel ils travaillent , ils investissent, et en lequel il posent leur confiance. Par exemple, ils ont beaucoup travaillé sur les nanotechnologies, sur les questions de bio-éthique. Et puis encore une fois, il y a aussi cette question de comment garantir à un nombre croissant de personnes des enjeux de justice sociale.