Les plate-formes bousculent l’équilibre entre travail reconnu et travail implicite, Entretien avec Antonio Casilli
Sociologue et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, Antonio Casilli nous livre ses réflexions sur la manière dont le capitalisme de plates-formes en train de se déployer peut changer notre rapport au travail, à l’organisation du collectif, au politique.
Entretien réalisé avec Sébastien Elka.
Progressistes : Comme sociologue des réseaux numériques, est-ce que vous considérez que le numérique forme une sphère à part dans notre société?
Il y a continuité entre technologie et société. Les plateformes numériques constituent des « écosystèmes » autour de leurs services, coordonnent et mettent en relation des acteurs divers, consommateurs et producteurs, fournisseurs et acheteurs. En faisant cela, elles formalisent et systématisent – suivant une logique algorithmique – des interactions humaines qui jusque là restaient largement invisibles. Elles révèlent ce que j’appelle le travail implicite, d’innombrables petites et grandes tâches qui ne relèvent pas formellement du travail salarié et qui pourtant résultent bien d’un travail humain et permettent à la société de fonctionner. En s’imposant comme intermédiaires indispensables de ce travail implicite, des plates-formes comme Google, Amazon ou Airbnb révèlent sa valeur sociale, dont elles s’emploient à accaparer le potentiel économique. L’important est que ce travail implicite, très éclaté, largement gratuit ou au mieux sous-évalué, se situe hors du cadre des protections du travail, exploitable avec très peu de contraintes légales et fiscales. D’où le succès ces dernières années de la logique d’externalisation et de crowdsourcing (« sous-traitance à la foule »), qui relève d’un modèle très libéral. Le chauffeur Uber, complètement soumis fonctionnellement à la plate-forme, est nominalement indépendant, entrepreneur de lui-même. Il porte le risque et doit gérer seul son éventuelle évolution et les aléas de son parcours personnel, sans aucun filet de sécurité mis en place par la plateforme.Progressistes: Qu’est-ce qui fait que cela fonctionne ?
Ces travailleurs sont pris dans une sorte d’ivresse volontariste, soigneusement entretenue. C’est la volonté de chacun qui est convoquée, la motivation personnelle, avec un flou autour des incitations réelles. Une application numérique est avant tout un design aguichant, un beau jeu qui attire les clics et capte l’attention de son utilisateur. Parfois les plates-formes proposent une rémunération, bien sûr, mais elles jouent aussi beaucoup de la ludification(1), de l’effet de communauté, de petits avantages et récompenses. On est loin de la reconnaissance acquise par le travail salarié.Progressistes: Tout cela est très sombre. On entend pourtant aussi beaucoup de discours très positifs sur le numérique. Doit-on faire un choix entre les prophètes du grand soir du tout-numérique et ceux de l’Uber-apocalypse ?
«Je prends mes distances avec ceux qui prédisent le grand remplacement des humains par les machines, un classique que l’on entend depuis des siècles.»
Les deux positions sont biaisées. Je préfère me placer dans un possibilisme critique pour le numérique, mais en étant lucide sur les conditions de son déploiement. Je prends mes distances avec ceux qui prédisent le grand remplacement des humains par les machines, un classique que l’on entend depuis des siècles. Comme la spécificité du capitalisme de plates-formes est de bousculer le ratio entre travail reconnu et travail implicite, la mesure change, et il est difficile de dire si le volume total de travail réel baisse. Il y aura toujours une place pour des opérateurs humains dans n’importe quel système technique. En fait, c’est la forme des relations de travail qui est en train d’évoluer, avec une « tâcheronisation » de l’activité, un retour du travail à la tâche. Au-delà des cas bien connus d’Uber ou Airbnb, le cas emblématique de ce mouvement de fond est Amazon Mechanical Turk, une sorte de bourse du micro-travail qui met en relation offreurs et demandeurs de tout petits boulots numériques, souvent d’une simplicité et d’une banalité extrêmes, aux rémunérations très faibles. Un travail de clic qui ne demande rien de créatif et dont la finalité réelle est la mise au point par la plate-forme de systèmes automatisés équivalents, que l’on nommera – un peu vite – une « intelligence artificielle ». Dans ce mouvement, c’est tout notre système civilisationnel qui est en péril, avec des protections qui sautent et de nouvelles formes d’exploitation qui apparaissent.Progressistes: Si le travail reste alors que l’emploi est à ce point fragilisé, est-ce que l’on va vers un dépassement du salariat ?
C’est une vieille question du mouvement ouvrier. Dans des mouvements comme le postopéraïsme italien, le refus du travail se voulait un acte politique, pour se soustraire à la contrainte d’augmenter la valeur du capital et de diminuer la valeur de la vie. Il en reste sans doute quelque chose. Les plates-formes s’implantent d’ailleurs volontiers sur ce terreau là, en faisant tout pour que les tâches qu’elles invitent à accomplir n’apparaissent pas comme du travail, de manière à obtenir l’adhésion et l’engagement qui leur permettent de coloniser notre temps de vie.Progressistes: Mais alors, quelles sont les réponses possibles ?
Je vois se dessiner trois pistes. La première consiste à inventer un « salariat élargi », qui englobe ces formes d’activités. C’est ce que demandent aujourd’hui les chauffeurs d’Uber en grève en France, aux États-Unis et ailleurs, comme d’ailleurs les contributeurs d’autres plates-formes qui entrent dans des logiques de recours juridiques collectifs (class actions) contre Google ou les grands médias numériques. Ces travailleurs veulent être reconnus comme tels, avec les droits associés. On les comprend bien sûr, mais cette voie est une fausse piste. Trop en contradiction avec la mécanique de ces plates-formes, leurs revendications ont peu de chance d’aboutir. La deuxième piste consisterait à créer des statuts flexibles qui reconnaissent des droits « portatifs » alimentés au fil des travaux réalisés. C’est la logique du compte personnel d’activité du projet de loi El Khomri, et pour certains travailleurs bien insérés dans le système – des sublimes aurait-on dit au XIXe siècle – cela donnera sans doute un modèle de nomadisme heureux assez attrayant. Mais le déferlement des plates-formes dessine moins ce scénario qu’un monde du travail peuplé de tâcherons du clic comme ceux que l’on voit apparaître dans les déjà nombreuses click farms du Bangladesh ou des Philippines. Un modèle très pauvre à cotisations très faibles, incapable de fournir un niveau élevé de protection sociale. Reste la piste, à laquelle je crois beaucoup plus, d’un revenu de base qui reconnaisse le travail implicite, éclaté mais socialement utile, auquel nous contribuons tous. Et qui organise la rémunération de ce travail par la distribution d’un revenu qui permette de vivre, indépendamment de l’emploi et de sa rémunération. Il ne s’agit pas, entendons-nous bien, d’une logique de rémunération du clic, et donc d’acceptation de l’aliénation. Le revenu de base doit permettre la reconnaissance du travail implicite, de son importance, et libérer du temps sur lequel on puisse choisir son activité, et donc échapper autant à la parasubordination à ces plateformes qu’à la subordination classique du salariat.Progressistes: Comment s’organiser pour porter un projet de ce type ?
Il y a aujourd’hui beaucoup de collectifs informels qui se créent par la base autour de ces enjeux, des gens concernés par ces plates-formes qui s’organisent pour les surveiller, décortiquer leurs pratiques et contrer leurs abus. Les syndicats commencent aussi à s’y pencher, surtout aux ÉtatsUnis où, par exemple, des chauffeurs Uber ont rejoint les Teamsters, l’un des plus anciens syndicats du pays. IG Metall en Allemagne vient de lancer la plate-forme FairCrowdWork.org pour que les travailleurs du numérique puissent partager de l’information sur leur rémunération et conditions de travail, disposer de conseils sur leurs droits, évaluer les plates-formes et s’organiser. En France, on n’en est qu’à la réflexion mais elle est actuellement très vive, comme à la CGT au niveau de l’UGICT avec le service expérimental T3r1, réseau de coopératives numériques au service de l’action syndicale. Et il y a aussi une question de rapport Nord-Sud, car la plupart des click farms sont aujourd’hui en Asie ou en Afrique.Progressistes: Et au niveau des mouvements hacker et autres « activistes » du Net ?
Ils continuent de jouer un rôle essentiel dans le développement de ces outils et actions. Bien sûr, connaissant très bien le fonctionnement du réseau et les subtilités du numérique, ils sont plus proches des sublimes que des tâcherons, une élite qui peut se sentir au-dessus de la mêlée. Mais pour autant ils n’échappent pas aux difficultés, et les autres ont besoin d’eux et de leur compétence technique pour construire des alternatives. Il faut créer des ponts. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique aux « hackers », qui est un terme piégé. Tous les métiers créatifs, qui s’en sortent pour l’instant moins mal que les autres, sont concernés et doivent pouvoir être mobilisés.Progressistes: Vous ne dites rien des forces politiques. Les partis seraient hors course?
Tout le monde essaie de parler de numérique, et les partis conventionnels cherchent à appréhender les phénomènes sociaux grâce à leurs outils théoriques. À droite comme à gauche, un nombre croissant de formations politiques doivent aussi leur succès aux mobilisations sur la Toile : des partis comme Syriza ou Podemos, mais aussi UKIP en Grande-Bretagne ou Cinq Étoiles en Italie. Certains prennent à bras-le-corps des sujets comme les communs ou les libertés en ligne, et rencontrent vite des associations qui ont un coup d’avance sur ces enjeux. Des « partis pirates » se sont constitués à partir de mouvements en ligne, mais on y trouve de tout, de l’ultralibéralisme à l’anarchocommunisme. La question n’est pas de tout réinventer à partir du numérique mais, surtout, de voir avec quelles forces politiques ces mouvements animés par des travailleurs du numérique peuvent interagir et s’agglomérer. Pour un parti comme le PCF, il s’agit sans doute déjà de sortir de ses réflexes bien ancrés, de faire évoluer sa vision du travail, de reposer la question du partage de la valeur, de reconnaître et de comprendre ces sujets pour trouver comment accompagner les revendications.
(1) Ludification : pratique consistant à donner les formes d’un jeu à des activités « sérieuses ».
Monthly Archives: June 2016
Dans Coded Publics (Australia, 23 juin 2016)
The production of value online is always collective
My research is situated in a wider field than the simple automation of productive labour. The most controversial question, which is generating a lot of discussion about digital labour, is the return of implicit work, of invisible work. It is often boiled down to this question: is posting on Facebook working? But this is really a quite cursory way of phrasing the issue which makes me uncomfortable, even though I know journalists like these sorts of shortcuts. Said like that, it is just a provocation which does not account for the central point in my thinking, which is that the digital economy is largely based on hidden work, undeclared work that is sometimes unpaid.
Digital platforms enable us to perform activities which bring great benefits to us, but they also lead us to engage in practices which bring great benefits to their owners and investors. The identification of such types of value extraction from society is not a new concept in the social sciences. Before the Internet even existed, the analysis of the invisible labour of women, for example, led to long cycles of struggles for the recognition of this work, which occurred from the 1960s to the 1980s.
Several research areas converge so as to render visible a new way of understanding a labour that does not tell its name. My understanding of digital labour is part of a theoretical tradition. I can cite Marie-Anne Dujarier and her consumer work, or the whole Italian post-operaismo school, which emphasised immaterial labour, as well as Dallas Walker Smythe’s analysis of audience labour. In the end my thinking on informal labour in the context of digital networks revisits and reinterprets, revitalises these great research traditions, which have sometimes been neglected.
Digital labour occurs in several sectors of the economy. Let’s look first at the sharing economy. With companies like Uber, the peril for workers is obvious from the get-go. Neither the French state nor French city officials have done what the government did in South Korea, that is to say create a ‘counter-Uber’ by encouraging companies like Kakaotaxi, but also by creating an infrastructure that aims to transform Seoul into a “sharing city” (not only for cars, but also for lodgings and objects). This is a counterpower represented by public cooperative platforms… in France, these tensions generated classical forms of conflicts, which were, in my opinion, misunderstood by the press. The media applied old categories, and presented the conflicts of June and September 2015 between Uber and taxis as a defence, by the latter, of the status quo, of an antiquated corporatism. Basically, their argument was: ‘look at these remains of the past which are resurfacing and preventing the emergence of innovation’. The news media milieu is highly influenced by industrial interests and by the neoliberal doxa. And also, they are using an outdated rhetoric: the grand narrative of the forces of obscurantism, resisting innovation. But they did not see that it was a case of one platform battling another platform! And traditional trade unions working closely with new, emerging trade unions. The taxi drivers who burnt a few tires and flipped a car, they did put on quite a show, but they work for a platform, too. It is called for example Taxis Bleus or G7… Journalists did not notice either that in June, taxis were demonstrating against Uber, but in September Uber drivers themselves were organising their own trade union, and rallying in the streets to protest against the San Francisco-based company.
And this is also where research on digital labour progressively departs from previous studies on Internet use, on online contributions, because these studies were focused on content: photos, texts and videos voluntarily published on the Internet. With digital labour, we are less focussing on content as such, and deal a lot more with the metadata hiding behind the content. If I publish a picture on a digital platform, of course the human eye will look at the subject of the image, but the algorithm (the machine’s eye, so to speak) will zero in on the metadata. For example, the date, the place, the timestamp, the camera, the IP address on which the photo was routed. So, there are two completely different ways to think about the possible uses of this photo: academics who are interested in online engagement will analyse the wealth of content, the drive to participation, generosity, etc, but those who analyse how data is exploited and how wealth is captured by platforms will concentrate on the economics of the transformation of data into commercial value…
The question, then, is that of the value produced by platform users and of how it should be identified. And I will start by saying that we should not fall into the trap of considering such value as produced by each individual independently of all others.
The main problem is that, too often, researchers play into the hands of platform owners by concentrating on individual production and individual contributions. However, these contributions are intertwined. They are always collective, social activities. My data, my content has no intrinsic value, it only acquires value inasmuch as it is connected to my social graph, as I am linked to other profiles, other pages, other entities: there is a network effect. So, value is never singular, it does not originate from a social void. In contrast, platforms insist that contributions should be evaluated individually. Why? Because obviously for them, this approach has the benefit of atomising, fragmenting the efforts for recognition of digital labourers who end up being remunerated according to discrete tasks, and mostly very poorly. If you read the scientific literature on the various aspects of digital labour, you will see that these studies are often led by researchers working (or partnering) with the very firms that dominate the tech world. Facebook, Google and large telco companies have been trying to figure out for a while at what cost users would be prepared to sell their data, just in case…
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Translated from the French by Mathieu O’Neil
This post presents extracts from an interview given by Casilli to the French-language INA Global site. The original article is here: http://www.inaglobal.fr/numerique/article/le-digital-labor-une-question-de-societe-8763
Biographical note: Italian-born Antonio Casilli has emerged as one of the preeminent theoreticians of online sociality in the French speaking world. Casilli teaches at Telecom ParisTech (the Telecommunication College of the Paris Institute of Technology) and also runs a monthly seminar on Theoretical and practical approaches of digital cultures at the prestigious École des hautes études en sciences sociales (EHESS). In 2015 Casilli co-authored Qu’est-ce que le Digital Labor? (‘What is digital labour?’). He can be found online at http://www.casilli.fr/
Source: [CP01] Antonio Casilli on digital labour | Coded Publics
Dans Télérama (14 juin 2016)
Microsoft rachète LinkedIn pour 26 milliards de dollars : une certaine vision du travail
En rachetant le réseau social professionnel pour une somme astronomique, Microsoft s’offre surtout plus de 400 millions de CV. De quoi accentuer son contrôle sur nos vies…Vous rouliez des yeux quand Facebook a racheté WhatsApp pour 19 milliards de dollars en février 2014 ? Rajustez vos orbites : lundi 13 juin, Microsoft a annoncé l’acquisition de LinkedIn pour 26,2 milliards de dollars. Fort d’une communauté de 433 millions d’utilisateurs (dont 128 aux Etats-Unis, et 11 en France), le réseau social professionnel aux profils impeccablement repassés a connu une croissance endémique depuis sa création en 2002, multipliant par près de 100 000 le nombre de ses inscrits. Même s’il est encore loin d’un Facebook et de son milliard et demi d’utilisateurs, il tient ainsi la dragée haute à Twitter (310 millions).
Dans un communiqué, Jeff Weiner, le patron de LinkedIn, s’est (évidemment) réjoui de ce deal stratosphérique : « Comme nous avons changé la façon dont le monde se connecte aux opportunités, ce partenariat avec Microsoft – et la combinaison de leur cloud avec [notre] réseau – nous offre la possibilité de changer la façon dont le monde travaille. Depuis treize ans, nous jouissons d’une position unique pour mettre en contact des professionnels, les rendre plus productifs et performants, et je me réjouis de mener notre équipe à travers ce nouveau chapitre de notre histoire ». Même son de cloche du côté de Satya Nadella, le boss de Microsoft, dont le champ lexical diffère peu de celui de son homologue. « Nous poursuivons le même objectif : donner du pouvoir aux gens et aux organisations », écrit-il dans une note interne publiée par The Verge. « Avec notre croissance autour d’Office 365 et de Dynamics (un logiciel de gestion à destination des entreprises, NDLR), ce rachat est fondamental si nous avons l’ambition de réinventer la productivité et le travail ».
Digital labor
Productivité, performance, travail, trois mots qui pourraient éclairer ce rachat. Qu’on résumera ainsi : en acquérant LinkedIn, Microsoft fait d’abord main basse sur nos vies professionnelles. Une base de données qui permettra au géant américain de fusionner des « graphes sociaux » (la cartographie des connexions entre les utilisateurs), mais aussi d’accroître ses profits grâce aux internautes ? « Ce n’est pas un hasard si les patrons de LinkedIn et Microsoft insistent sur une sémantique liée au travail, estime Antonio Casilli, chercheur à Télécom ParisTech. C’est un vocabulaire cohérent avec l’extraction de données des utilisateurs qui valorisent les grandes plateformes ».
C’est le principe du digital labor : qu’il s’agisse de l’ami que vous ajoutez sur Facebook, du tweet que vous postez, ou de n’importe quel champ que vous renseignez sur un site ou un réseau social, chaque clic produit de la valeur. Soit la version théorisée de cette antienne numérique : « Si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Pour Antonio Casilli, « il existe une richesse énorme liée à l’incitation, voire l’injonction – par le jeu des mails et des notifications – à réaliser du travail gratuit pour ces plateformes. En achetant WhatsApp, Facebook a obtenu des centaines de millions de numéros de téléphone ; en faisant l’acquisition de LinkedIn, Microsoft obtient plus de 400 millions de CV, et autant d’annuaires professionnels ».
Emprise quasi-totalitaire ?
Mais pour quoi faire ? Le rachat de LinkedIn dit-il quelque chose de Microsoft et de sa vision du travail ? Selon Antonio Casilli, le danger d’une subordination technique des travailleurs guette, tapi derrière la machine à café : « Microsoft assume sa volonté de prendre en charge toute la vie d’une entreprise, de son univers bureautique, bureaucratique même, en passant par ses outils de formation ou son système d’exploitation. Qui revêt ici un sens très littéral, puisque le système remplace le supérieur hiérarchique dans le rôle du donneur d’ordres. La vision du travail selon Microsoft, c’est celle d’un hypertravail qui peut pénétrer tous les moments de notre vie ».
Dès lors, faudrait-il analyser les prises de guerre du web – WhatsApp et Instagram par Facebook ou Skype par Microsoft – à travers le prisme d’une emprise quasi-totalitaire et très féodale sur nos existences ? « Les géants d’internet sont moins intéressés par une oligarchie à quatre ou cinq que par un contrôle hégémonique sur tous nos usages », tranche Antonio Casilli. Et dans une approche transactionnelle de la vie privée (selon laquelle notre compte LinkedIn, fruit d’une division équitable, vaudrait 53 euros), 26 milliards de dollars, c’est finalement pas cher payé.