amitié

Dans Dilema Veche (Roumanie, 21-27 avril)

Dans le n. 375 de l’hebdomadaire Dilema Veche, un article sur l’amitié en ligne : l’occasion pour présenter au public roumain les travaux du sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Lucian Popescu îl citează pe sociologul francez Antonio Casilli care susţine că nu există o ruptură între planuri, între viaţa reală şi spaţiul virtual. Bogdan Voicu spune că „interacţiunea directă, personală rămîne de departe cea mai valoroasă, însă pînă a ajunge la ea, ai nevoie de numeroase etape care să o faciliteze“. Luiza Vasiliu a descoperit că numărul prietenilor prietenilor ei de pe Facebook – 27379 este acelaşi cu codul poştal al unui orăşel din Carolina de Nord. Iar Alin Fumurescu era amuzat că a primit din partea mea „o cerere de prietenie“ tocmai cînd scria despre refuzul său de a folosi reţelele de socializare şi despre cum „MySpace-urile, MyFace-urile estompează graniţele dintre dormitor şi sufragerie“.

Dincolo de opinii, mă bucur că în acest dosar am reuşit „să întîlnesc“ (chiar dacă nu împart aceeaşi pagină) doi vechi prieteni: Lucian Branea şi Petre Barbu. Sînt prieteni şi „pe viu“, şi pe Internet.

"Réseaux sociaux : vrais ou faux liens humains ?" – Antonio Casilli rencontre les lecteurs du Nouvel Obs (28 janv. 2011)

Le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) a été l’invité du tchat du Nouvel Obs, vendredi 28 janvier 2011, de 11h à 12h. L’occasion pour répondre aux questions posées par les lecteurs : amitié, amour, famille, mais aussi démocratie, militantisme du Web et hackers.

La culture du Web est, depuis ses débuts, très politisée. Les événements des derniers jours semblent nous montrer que cette militance (qui articule manifestations dans la rue et actions de coordination et de sensibilisation en ligne) se généralise. Mais certains collègues, comme par exemple Evgeny Morozov auteur de “The Net Delusion”, nous mettent en garde contre une certaine pensée simpliste qui voudrait qu’Internet soit, par sa nature, un outil de libération. Dans plusieurs pays, le Web est utilisé par les gouvernements totalitaires comme un outil de propagande. La capacité fédératrice du Web doit aussi être pondérée à l’aune de ces initiatives de manipulation politique de la part des états. […] Anonymous est un phénomène très intéressant à mon avis. Mais c’est peut-être un peu tôt pour se prononcer sur sa signification politique et culturelle. Comment coordonner une action sans faire émerger des hiérarchies ? Sans afficher des identités ? Leur démarche de “démocratie ad hoc” est fascinante, d’un point de vue sociologique. Mais l’idéologie, les croyances et les valeurs d’Anonymous demeurent très ambiguës…

Quick French Talk avec Antonio Casilli à The Nice Institution

‘Les liaisons artistiques’ est une collection d’œuvres liée au livre d’Antonio Casilli Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil). A l’honneur pour cet épisode, les artistes Mildred Simantov et Nils Thornander, fondateurs de The Nice Institution. Leur série de pièces QUICK FRENCH TALK, est basé sur un présupposé très simple : inviter à chaque fois un convive à l’emploi du temps chargé – d’où la devise de la série “I have only thirty minutes to have lunch” (“je n’ai que 30 minutes pour déjeuner”). L’art de la conversation du Siècle des Lumières, mais en version speed.

Dans cette vidéo, Casilli s’attaque à trois grandes thématiques (dieu, le savoir et la nourriture), mais il s’octroie aussi des  petits détours vers des sujets plus  pointus – comme l’anorexie, l’anarchie et… les poulets-cyborg.

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part01 “Atheist”

“J’ai à plusieurs reprises témoigné de mon amour inconditionnel pour l’oeuvre de Mildred Simantov et Nils Thornander. Leur travail Strange Fruit, réalisé avec le généticien Brian Lucas, est absolument passionnant. Plus récemment j’ai été l’un des « convives virtuels » de leur installation Réfectoire, exposée au Musée Carnavalet à l’occasion de la Nuit Blanche 2010. Dans ce symposium virtuel, avaient fait leur première apparition publique les bols bretons peints d’un mot désignant une identité géopolitique ou culturelle : “Socialiste” “Anorexique” “Suisse” “Catholique” “Employé” “Ami” etc.  Un seul mot, censé solliciter une identification – ou un refus d’identification. Méditer sur la complexité de son identité reste le but déclaré de ces objets apparemment très simples et banals. La même banalité et les mêmes questionnements bouleversants que je détecte dans les usages numériques.” —a

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part02 “Philosopher”

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part03 “Anorexic”

Bio

Mildred Simantov, designer sémantique, plasticienne, éditrice et web-artist noue des relations singulières entre les mots, les signes et les objets. Nils Thornander, plasticien et compositeur développe sous de nombreuses formes son concept du Continuum, par lequel il tente de saisir la complexité du monde actuel. Associés depuis 2009, ils ont créé avec The Nice Institution une oeuvre qu’ils décrivent comme “the fastest link etc.” Parmi leur réalisations : Réfectoire (Nuit Blanche 2010, Musée Carnavalet, Paris) ; Olympic Smoking Area (Chic Art Fair, Cité de la mode et du Design, Paris) ; Limited Edition Waiting for the Peak Oil#05 (Blackblock – Palais de Tokyo 2011).

Antonio Casilli à l'émission du mois de Téléscience (Science.gouv.fr)

Antonio A Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) interroge la notion d’amitié en ligne dans l’émission du mois de Téléscience sur le portail du Ministère de la Recherche science.gouv.fr. La vidéo est tirée de son intervention à l’Université Paris Diderot dans le cadre des “13 minutes, les petites conf’ des grands moulins“, du 8 novembre 2010.

Internet, menace pour le vivre ensemble ou occasion de développer le capital social ? Tiraillés entre « tabou de la rencontre directe » et envie de cohésion et de partage, les échanges au sein des réseaux sociaux peuvent être analysés sous l’angle de l’amitié. Cette notion est omniprésente dans le Web d’aujourd’hui, où elle désigne la forme idéale de la sociabilité numérique. Alors que le réseau social Facebook se place au troisième rang (648 millions de visiteurs uniques en novembre 2010) des sites les plus visités au monde, le sociologue Antonio Casilli interroge la notion d’amitié telle qu’elle se pratique en ligne. Invitant à remettre en question une “vision hydraulique” de la sociabilité en ligne, il teste l’hypothèse selon laquelle la communication en ligne se fait au détriment des échanges dans la “vraie vie”.

"Les amitiés numériques" : Antonio Casilli invité des Médialogues (la 1ère RSR)

Le mardi 30 novembre 2010 le sociologue Antonio A. Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil, 2010) est l’invité d’Alain Maillard et Martine Galland dans l’émission Médialogues, sur la 1ère Radio Suisse Romande (RSR).

Nous mêmes, en tant que chercheurs en sciences sociales, on a contribué, à un moment, à créer cette croyance selon laquelle les usages numériques seraient désocialisants. Au début de l’expérience du Web, dans les années 1990, dès qu’on a commencé à cumuler des données, nos études nous semblaient conclure que les premiers usagers avaient tendance à s’isoler. On a interprété ce besoin de d’enfermer chez soi pour apprendre à se servir d’un nouvel outil comme un signal d’atomisation sociale, de rupture du lien social. Mais les études menées à partir de la deuxième partie des années 2000 – après l’essor de ce qu’on appelle justement “le Web social” – ont montré exactement le contraire. C’est à dire que ce qu’on crée en terme de relations sur le Net est une prolongation et un complément de ce qu’on vit dans nos existences hors-ligne.

Ecouter le podcast :: Antonio A. Casilli Médialogues (1ère RSR, 30 nov. 2010)

"Repenser l’amitié dans les réseaux sociaux en ligne" : vidéo d’Antonio Casilli à ‘Treize Minutes’

Le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil, 2010) a été l’invité de la manifestation scientifique “Treize minutes – Les petites conf’ des grands moulins”. La vidéo de son intervention, est désormais disponible en ligne sur le site web de la Médiathèque de l’Université Paris Diderot.

Internet, menace pour le vivre ensemble ou occasion de développer le capital social ? Tiraillés entre « tabou de la rencontre directe » et envie de cohésion et de partage, les échanges au sein des réseaux sociaux peuvent être analysés sous l’angle de l’amitié. Cette notion est omniprésente dans le Web d’aujourd’hui, où elle désigne la forme idéale de la sociabilité numérique.

Antonio Casilli – Repenser l’amitié dans les réseaux sociaux en ligne from 13minutes on Vimeo.

[Enregistré le 08/11/10, Amphi Vilgrain, Université Denis Diderot]

"Les média sociaux : des espaces d'autonomie collective" – Antonio Casilli dans Du Grain à Moudre (podcast France Culture, 4 oct 2010)

Le 4 octobre 2010 l’émission Du Grain à Moudre (France Culture) a accueilli Antonio A. Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil, 2010). Le sociologue, chercheur au Centre Edgar-Morin (EHESS, Paris) a répondu à la question « Les réseaux sociaux sont-ils vraiment sociaux ? » posée par de la journaliste Julie Clarini. L’occasion pour discuter avec Etienne Armand Amato (co-fondateur et administrateur de l’OMNSH) et la sociologue Monique Dagnaud (CEMS, EHESS, Paris).

« Le fait de se réinventer dans un réseau social en ligne n’est pas une action individuelle. On projette une image de soi qui devient bientôt une image de nous. Dans le contexte sociétal contemporain, où les individus sont constamment soumis à une injonction ‘d’être soi’, Internet et les média sociaux leur accordent des espaces d’autonomie dans lesquels ils peuvent se permettre d’être nous. »


France Culture :: Du Grain à Moudre :: écouter le podcast

[Emission enregistrée le 04 octobre 2010]

"Le Web, une sociabilité 'supplémentaire'": interview avec Antonio Casilli dans Le Monde (10 sept. 2010)

Le sociologue Antonio A. Casilli (EHESS, Paris), auteur de Les liaisons numériques, vers une nouvelle sociabilité ? paru aux éditions du Seuil le 2 septembre 2010, évoque dans une entrevue au Monde le changement de forme des relations sociales introduit par les technologies de l’information et de la communication. « Ces technologies nous aident à mieux maîtriser notre “positionnement social”. Il y a une ambition d’usage des technologies qui va dans ce sens, qui a pour but de moins subir notre positionnement primaire au profit d’un positionnement de choix », explique-t-il.

Cet entretien, réalisé par Hubert Guillaud, a été initialement publié dans le portail d’actualité InternetActu.

“Le Web ne désocialise pas plus qu’il n’hypersocialise”

Internetactu – A l’occasion de la parution des Liaisons numériques, vers une nouvelle sociabilité ? (Amazon), aux éditions du Seuil, nous avons rencontré son auteur, le chercheur en sociologie Antonio Casilli (blog). Dans ce livre très documenté, qui puise à la fois dans la richesse des savoirs académiques et dans une expérience et réflexion très personnelle, Casilli démonte trois mythes de l’internet : le réel et le virtuel ne sont pas distincts, mais imbriqués ; les traces corporelles sont un moyen d’exprimer et réaliser son autonomie, ses stratégies ; les TIC ne sont pas désocialisantes mais reconfigurent notre manière d’être en société. L’occasion de discuter avec lui du rôle et de la place respective de nos sociabilités numériques et réelles, pour mieux comprendre justement la manière dont elles s’articulent, s’imbriquent et font société.

InternetActu.net : Pourquoi les ordinateurs ont-ils acquis une place aussi intime dans nos vies ?

Antonio A. Casilli : La miniaturisation des ordinateurs (analysée notamment par Daniel Bell dans Teletext and Technology) a engendré une reterritorialisation de ceux-ci, leur permettant petit à petit d’intégrer l’espace domestique. Le premier changement que cette miniaturisation a impliqué est donc celui de l’espace physique. L’agencement des pièces, des meubles, des chambres change avec l’arrivée de ce nouvel appareil électroménager qu’il faut installer, comme on a installé avant lui la radio ou la télévision. Mais il n’y a pas que l’espace domestique qui est bouleversé par l’arrivée de cet équipement : l’espace technologique de la maison l’est aussi avec l’arrivée d’un équipement dont le contenu technologique est par définition plus important que les autres, puisqu’il permet de tout faire (jouer de la musique, regarder des films, jouer, communiquer…).

Enfin, ils ont également reconfiguré l’espace social. Nombre de parents ont considéré, avec l’introduction des premiers ordinateurs domestiques, que leur capital social et culturel faisait un bond en avant. Pour les “enfants de l’ordinateur” des années 80, l’ordinateur a été l’occasion de s’autonomiser ou de resituer le rôle qu’ils avaient au sein de la famille.

Le mobile prolonge ce même processus de miniaturisation et de reterritorialisation. L’ordinateur colle désormais un peu plus à nos corps, comme ces mobiles qui frottent nos cuisses ou nos hanches depuis les poches où on les range. Ils sont devenus un attribut de la corporalité des usagers. C’est aujourd’hui devenu une analyse banale, mais dans les années 80, Bruce Sterling dans une introduction à l’anthologie cyberpunk – Mozart en verres miroirs – avait anticipé cela en observant les premiers baladeurs, les premières lentilles de contact… Notre machinerie est presque arrivée sous la peau.

InternetActu.net : Dans votre livre, vous expliquez que les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont devenues un moyen de sociabilité “supplémentaire” qui s’ajoute, plutôt que de remplacer, la sociabilité en face à face et la participation sociale. Cette affirmation est pourtant encore loin de convaincre tout le monde. Beaucoup par exemple estiment qu’être pendu au téléphone en faisant ses courses ou dans les transports en commun met fin aux échanges qu’on avait, avant, dans ces temps et espaces là.

Antonio Casilli : Ce n’est pas pour convaincre que j’ai écrit ce livre, mais pour recentrer un débat, qui pour l’instant est figé dans la polarisation technophile-technophobe. Pour comprendre si les nouvelles formes communicationnelles remplacent les formes d’échanges “authentiques”, il faut comprendre ce que l’on entend par authentique.

On vit dans un milieu assisté par les machines à communiquer qui changent la forme de la relation sociale. Désormais, dans les séminaires scientifiques on s’échange non seulement des propos “officiels”, mais également d’autres via l’internet (ce qu’on appelle le backchanneling, comme nous l’expliquait Danah Boyd – NDE) permettant de recréer des formes d’authenticité communicationnelle, capable de creuser des tunnels sous notre réalité. On s’échange des mails, des textos, des messages instantanés ou des twitts, qui ont une force de frappe émotionnelle, en temps réel, qui peuvent être plus importantes que les formes plus policées de communication réelle.

Ces technologies nous aident à mieux maîtriser notre “positionnement social”. Il y a une ambition d’usage des technologies qui va dans ce sens, qui a pour but de moins subir notre positionnement primaire au profit d’un positionnement de choix.

C’est tout l’enjeu de la question de l’homophilie. En sociologie, l’homophilie est un discours déterministe qui dit qu’on a tendance à s’associer à des gens avec lesquels on partage des formes de complémentarité liée à la langue, au sexe, au niveau culturel ou à l’ethnicité… Dans l’étude de l’amitié comme processus social, on a longtemps pensé que les gens évoluaient dans leur amitié par sexe, même milieu géographique, social, etc. Or, avec l’internet on arrive à créer des zones de meilleure maîtrise de ce positionnement.

Mes travaux en sociologie informatique sont basés notamment sur une analyse de l’homophilie pour comprendre si ces caractéristiques communes ont une influence sur la création de liens dans les réseaux sociaux, type Facebook, afin de comprendre ce qu’il se passe quand on parle de positionnement social, de structure sociale. J’ai ainsi produit un modèle multiagent capable de cumuler des réseaux de liens d’amitié. Ce qu’il est important de voir, c’est comment avec n’importe quel paramètre ce modèle restitue toujours un résultat important : il montre que l’homophilie ne joue pas. Ou en tout cas, beaucoup moins que les traits culturels, les expériences ou les goûts affichés comme je l’explique dans une récente étude réalisée avec Paola Tubaro (.pdf).

L’étude que j’ai menée par exemple auprès de jeunes blogueurs démocrates organisant une cookie-party à Pasadena montrait de prime abord une très forte homophilie entre participants : ils avaient le même âge, venaient du même milieu social, avaient le même intérêt politique… Pourtant, leurs blogs leur permettaient de s’ouvrir sur un espace public bien plus large. Leurs pratiques leur permettaient de toucher des couches de populations qu’ils n’auraient pas réussi à rencontrer dans une société très compartimentée comme l’est celle de la Californie du Sud.

InternetActu.net : Selon vous, la création d’espaces intimes communs assistés par ordinateurs est capable de transformer la relation humaine. Vous expliquez dans votre livre que les nouvelles technologies créent “un engament intime diffus, finalement peut-être plus subversif ou profond que les engagements militants d’antan”. En quoi l’intimité est-elle plus “profonde” que l’engagement militant d’antan ?

Antonio A. Casilli : Ces technologies sont des prétextes culturels. Car finalement, ce dont on parle c’est de processus sociaux et d’interactions sociales assistées par les ordinateurs.

La question de l’engagement intime et diffus remonte aux années 60, au moment où l’on commence à mêler engagement politique et engagement personnel en les associant. C’est la naissance du féminisme, de mai 68 ou encore du mouvement de l’autonomie ouvrière qui reprenait ces éléments pour les concentrer dans une militance gauchiste révolutionnaire qui ne cherchait pas tant à faire des manifs qu’à bouleverser le quotidien. Ce n’est pas un hasard si c’est dans ces milieux-là, féministes, hippy, anarcho-marxistes… qu’on voit apparaître les premières expérimentations de technologies appliquées à l’activité militante comme dans les Community Memory en Californie, les cyberféministes (notamment avec Donna Haraway) voir avec certains théoriciens de ce marxisme autonome, comme Franco Berardi.

Ces formes nouvelles d’engagement politique ont façonné les formes d’engagement politiques que nous connaissons désormais, en introduisant une attention au côté médiatique et aux projections de désirs, d’attentes et de sensations… nous éloignant de l’engagement classique consistant à aller manifester, clamer un slogan et rentrer chez soi. Dans les mouvements militants classiques, la vie était compartimentée, comme un oeuf qui ne mélange pas le blanc du jaune. La journée avait 8 heures pour travailler, 8 heures pour se reposer et 8 heures pour avoir une activité politique. Aujourd’hui, tout se superpose.

InternetActu.net : Les rapports sociaux médiatés par l’informatique sont-ils simples ? L’ordinateur filtre et modère les rapports humains, mais on pense souvent qu’il suffit de se débrancher pour reprendre le contrôle. “Les solutions technologiques deviennent des solutions sociales” dites-vous. On a l’impression que la société se dissout derrière la technologie…

Antonio A. Casilli : Je dis cela surtout pour relater le type de discours de certaines personnes qui n’arrivent pas toujours à maîtriser leur rapport à la technologie. A chaque fois qu’ils doivent donner une solution sociale à leurs problèmes, ils la remplacent par une solution technologique : je débranche le téléphone plutôt que de répondre.

En fait les choses sont plus complexes. La solution technologique et la solution sociale se superposent et créent des confusions, comme dans le cas de la rupture d’amitié sur Facebook. A chaque fois que quelqu’un défriend quelqu’un d’autre, cela nous semble être une insulte personnelle, alors que cela peut-être lié à un bug ou à un réaménagement de profil. Mais cela nous affecte, car on projette sur une disposition technologique, un ensemble de desiderata de l’ordre du social. On recherche la proximité avec monsieur ou madame X en la projetant sur cette liaison numérique.

InternetActu.net : Une liaison qui est souvent asymétrique…

Antonio A. Casilli : Oui, dans plusieurs réseaux sociaux, elle peut-être asymétrique. Et c’est une variable à prendre en compte dans ce type d’interaction. Je rapprocherai plutôt ce déséquilibre du lien de l’admiration ou de la microcélébrité. Grâce à ce type de média, comme la téléréalité d’ailleurs, des gens créent des niches de célébrité générant une longue traine des relations humaines. On peut désormais être fan d’un collègue de travail comme on l’était dans les années 90 d’une célébrité.

La liaison numérique pose également la question de la maîtrise de l’identité. A quel point ce collègue dont on consulte les photos qu’il publie sur Flickr, la musique qu’il écoute sur Deezer, les commentaires qu’il pose sur Facebook est-il le collègue tel qu’il se voit ? Il y a toute une sémiotique de l’identité en ligne comme l’explique Fanny George (.pdf), qui passe par la maîtrise de la mise en scène de soi, par le jeu entre identité affichée et identité calculée. Or, c’est dans la dialectique entre l’identité affichée et l’identité calculée que se joue la question de la vie privée en ligne. La privacy n’est pas un tout où je suis soit transparent soit opaque aux autres : il y a des couches de transparences, des facettes que j’aime montrer à certaines personnes et d’autres à d’autres.

C’est dans ces relations que se joue la vie privée. Comme l’explique le sociologue américain Irwin Altman, pionnier de la théorie de régulation de la vie privée, le clivage vie privée/vie publique n’est pas univoque et définitif, mais se joue dans de petits détails entre chaque relation. Les crises de vie privée explosent quand ce qu’on partage avec X est dévoilé à Y.

InternetActu.net : En comparant par exemple la communauté des anorexiques hors ligne et online, vous dites “que le groupe en ligne est plus extrême, mieux organisé, mieux soudé socialement”. Quels sont les éléments distinctifs entre une communauté réelle et une communauté virtuelle ?

Antonio A. Casilli : La différence dans les communautés pro-ana (pour l’anorexie) en ligne et hors ligne est basée surtout sur le fait que ces sujets là, hors ligne, étaient communicationnellement inexistants. Avant l’internet, l’anorexique était dans une situation où ses relations aux autres malades étaient institutionnalisées, car hospitalisées ou alors avec des symptômes qui les mettaient dans la difficulté d’avoir des relations aux autres. Avec le web, ces personnes arrivent à trouver des sujets dans des situations comparables et arrivent à échanger des bribes d’expériences.

Ces échanges finissent même par créer une sous-culture radicale dans ses manifestations : s’échangeant des playlist pro-ana, des produits de consommation quotidienne comme des dentifrices plus capables que d’autres de cacher les dégâts dentaires dus aux vomissements répétés. Les renseignements s’échangent sur des forums participants à la création d’une base de connaissance en ligne fondée sur l’échange de pratiques. On peut ainsi apprendre à être un bon anorexique ou un bon boulimique sur le web, avec même des classements et des degrés…

Le web ne désocialise pas plus qu’il n’hypersocialise, mais il reconfigure notre manière de faire société. Pour l’anorexique, son entourage, sa famille et la clinique ont longtemps été ses seuls repères face à la maladie. Désormais, l’anorexique est en contact avec d’autres anorexiques. Les communautés deviennent multidimensionnelles, c’est-à-dire qu’elles ont à la fois une existence réelle et numérique.

propos recueillis par Hubert Guillaud