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Dans Les Echos (20 sept. 2012)

Dans le quotidien Les Echos, l’économiste Régis Chenavaz parle de contrôle, filtrage et censure des réseaux numériques. L’occasion pour citer les travaux sur les situations de violence civile des sociologues Paola Tubaro (Université de Greenwich, R-U) et Antonio A. Casilli (Télécom ParisTech), auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Les sociologues Antonio Casilli et Paola Tubaro soutiennent que le blocage complet des réseaux sociaux augmente paradoxalement le niveau moyen de violence dans une société.  Avec un contrôle plus lâche des réseaux sociaux, les expressions de violence seraient – à l’image d’une soupape – plus intenses, mais se produiraient moins souvent. À l’inverse, avec un contrôle plus prononcé des réseaux sociaux, les individus étant incapables de se regrouper, les réactions violentes seraient d’intensité moindre, mais d’une fréquence plus élevée. Au final, la suppression des moyens de coordination comme les réseaux sociaux ne résout pas le problème des émeutes.

Pour une démocratie, la forme et le niveau de contrôle des réseaux sociaux dépendent du type et de la sévérité de la menace. Le blocage complet semble inadapté pour des groupes de petite taille, surtout si leurs revendications n’inquiètent pas directement les autorités. À ce titre, dans la lutte entre les autorités et les émeutiers, la meilleure stratégie n’est pas le blocage de communication, mais la surveillance des communications. L’utilisation des réseaux sociaux pourrait dès lors être risquée pour les émeutiers. En effet, les réseaux sociaux facilitent leur coordination, mais augmentent leur visibilité.

Pour un régime autoritaire, le blocage complet des réseaux sociaux peut être la meilleure réponse des autorités face à une opposition massive, surtout lorsque cette coordination représente une menace pour la survie même du régime. La survie d’un régime autoritaire en Corée du Nord ou en Mongolie témoigne de l’efficacité de ces blocages. Cette stratégie est parfois insuffisante comme pour la révolution égyptienne où les autorités ont bloqué les réseaux sociaux sans pour autant contenir ces mouvements.

Interview d'Antonio Casilli et Paola Tubaro sur réseaux et émeutes de Londres (RSLN, 30 août 2011)

Dans Regards sur le Numérique, le magazine en ligne de Microsoft France, Sandrine Cochard interviewe Paola Tubaro et Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) sur le rôle des médias sociaux dans les émeutes de Londres. L’occasion pour les deux sociologues de revenir sur leur étude commune sur les effets négatifs de la censure du Web et pour relire de manière nuancé les rôle des technologies de l’information et de la communication dans la vague révolutionnaire qui a secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

RSLN : Très vite, les médias sociaux ont été montrés du doigt…

P. T. : Oui et d’une manière d’autant plus hypocrite que l’utilisation de ces mêmes médias sociaux avait été saluée dans les soulèvements des pays du Moyen-Orient. En optant pour un discours de diabolisation des réseaux, le gouvernement britannique a surtout voulu montrer qu’il reprenait le pouvoir et remettait de l’ordre dans une situation qui avait dégénérée.
A. C. : Le gouvernement britannique s’est acharné, du moins sur le papier, afin de ne pas revivre la même situation que dans les dans les 1980, quand certains médias autonomes (comme les radios pirates) avaient effectivement instrumenté et donné une voix aux émeutiers de Brixton, de Birmingham…
 
RSLN : Les médias sociaux peuvent-ils déclencher une émeute ?
A. C. : On a beaucoup insisté sur le fait que les médias sociaux puissent être des déclencheurs de conflictualité, de radicalisation politique. Or, je crois que nous avons surestimé le rôle de Facebook et Twitter, y compris dans les révolutions arabes, en oubliant les facteurs socio-économiques sous-jacents… Les médias sociaux sont des outils. Dans le cas de Londres, ils ont accompagné une manifestation sociale qui partait de la détresse et du mécontentement général vis-à-vis des coupes budgétaires et du gouvernement Cameron, mais ils n’en ont pas été le déclencheur.
P. T. : L’attention s’est focalisée sur un certain usage de ces réseaux. Or, ils ont également été utilisés par d’autres personnes qui se mobilisaient pour nettoyer les rues par exemple. A côté de la violence civile a éclos une autre réaction, celle d’une civilité citoyenne.
A.C. : Ces deux réactions sont complémentaires : comme dans chaque mouvement il y a une partie constructive et une partie destructive.
(…)
P. T. : Nous avons reçu un très bon accueil de la blogosphère, de l’intérêt de la part des médias. Le gouvernement en revanche n’a pas donné suite…
A. C. : Il faut comprendre qu’il existe en ce moment même au Royaume-Uni une sorte de haine de la sociologie. Avec les émeutes, le maire de Londres, Boris Johnson (conservateur), a eu des propos incendiaires contre les sociologues, les accusant de vouloir justifier les violences sous prétexte de les expliquer.
P. T. : Les autorités britanniques ont une conception anachronique de la sociologie. Ils pensent qu’une explication sociologique reviendrait à dire que ce sont les grandes variables, comme la pauvreté ou l’exclusion, qui expliquent ce qui s’est passé. C’est effectivement ce que faisait souvent la sociologie dans le passé, et qui a montré ses limites aujourd’hui : tous les pauvres ne sont pas des émeutiers ! Or, la sociologie actuelle développe des approches beaucoup plus fines, qui nécessitent de regarder les dynamiques de groupes et les microdéterminants des comportements individuels de beaucoup plus près.