plateformes

Sur Radio Parleur (15 mai 2020)

Travailleurs, travailleuses du clic, défendez-vous ! – Ceci n’est pas une parenthèse #4

DE VIOLETTE VOLDOIRE15 MAI 20201204  0

L’événement est historique. Avec la pandémie, le système économique et nos modes de vie se figent. Déjà, certain·es poussent vers une reprise “comme avant”. Contre cette vision, des voix s’élèvent. Avec « Ceci n’est pas une parenthèse », Radio Parleur vous propose une série de podcasts pour entendre celles et ceux qui pensent aujourd’hui à un lendemain différent.

Dans ce quatrième épisode de Ceci n’est pas une parenthèse, Radio Parleur vous propose une discussion avec Antonio Casilliautour des formes de mobilisations des travailleur⋅euses du clic. Antonio Casilli est sociologue à l’École nationale supérieure des télécommunications, et l’un des seuls spécialistes francophones du digital labour, en français le travail du clic.

Des travailleur⋅euses du clic qui deviennent visibles grâce à la crise

Pendant le confinement, on ne voyait plus qu’eux dans l’espace public, sans nécessairement savoir qu’ils en sont. Les livreurs à vélo, traçant la route à travers les villes désertées, sont des travailleurs des plateformes numériques. Quand ces plateformes de livraison de repas multipliaient les offres commerciales, incitant parfois les gens à acheter en ligne des barres chocolatées ou des paquets de bonbons, les livreurs étaient bien obligés de toucher poignées de portes et boutons d’ascenseur. Une certaine vision de la répartition du risque.

Sur le même thème : Invisibles – épisode 1: les livreurs

Travail du clic : au-delà des livraisons, tous les emplois des plateformes

Derrière les commandes passées en ligne, il y a des dispatchers, rivés à leurs écrans pour gérer les imprévus et répartir les commandes. « Ils ont eu un rôle encore plus important pendant la crise du coronavirus », explique Antonio Casilli. Derrière la promesse de la livraison de repas « sans contact », il a fallu gérer tout un tas de nouvelles galères, des notifications qui n’arrivent pas jusqu’aux client⋅es qui oublient de ramasser leurs commandes.

Pour assurer ce back-office, il peut aussi y avoir des personnes qui travaillent à la tâche. Dans l’enquête menée l’année dernière par le sociologue et son équipe, le champ du travail du clic apparaît beaucoup plus étendu que la livraison de burgers. « Nous avons observé qu’il y avait de l’externalisation de services de comptables, ou de ressources humaines. Des personnes assurent de l’anonymisation de CV pour des grandes boîtes, en étant payées quelques centimes. » Seules face à leur ordinateur, ces personnes travaillent régulièrement à la tâche. Leur lieu de travail est souvent leur domicile, leurs collègues souvent impossibles à joindre et même à connaître. Difficile de s’organiser collectivement dans ces conditions.

Le 1er mai, la révolte des travailleur⋅euses du clic américain

Ce 1er mai, fête – confinée cette année – des travailleur⋅euses, a été un jour particulier pour les employé·es d’Amazon, qui ont fait grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Une grève visible sur les réseaux sociaux grâce au hashtag #ProtectAmazonWorkers, mais aussi grâce à la démission de Tim Bray, vice-président de la branche Amazon Cloud Computing, en soutient au mouvement des grévistes.

Les livreurs et autres travailleuses et travailleurs du clic pourraient-ils se mobiliser avec une visibilité au moins égale ? Les grèves de livreurs suscitent en tout cas de plus en plus d’intérêt, et sont de mieux en mieux structurées par des collectifs et des syndicats.

« Il y a trois voies pour sortir de la situation actuelle, caractérisée par des plateformes prédactrices, » explique Antonio Casilli. « Il y a la voie syndicale, les alternatives coopérativistes, et une troisième plutôt axée sur la stratégie des revenus inconditionnels. » Autrement dit, un revenu universel pour les travailleur⋅euses du clic.

[Podcast] Économie des plateformes et Covid-19 (France Culture, 15 mai 2020)

Avec l’économiste Philippe Askenazy, j’ai participé à l’émission Entendez-vous l’éco (France Culture) dans le cadre d’une semaine consacrée à la logistique.

Entendez-vous l’éco ? par Tiphaine de Rocquigny

SÉRIE La logistique c’est fantastique !

Épisode 4 :

Le triomphe des plate-formes

La crise du Covid-19 rend crucial le fonctionnement des centres de distribution, entrepôts, plates-formes, hubs : tous les ronds-points de l’économie réelle et digitale. Chacun d’entre nous, depuis chez lui, réserve et commande plats cuisinés, vêtements, meubles ou électroménager. Surtout, le travail à distance nous a imposé de nouveaux outils collaboratifs qui accélérèrent le basculement la logistique dans les bastions du numérique. Alors, la crise du coronavirus signe-t-elle le triomphe des plates-formes de commerce en ligne et de livraison telles qu’Amazon, CDiscount et Deliveroo ?

‘Plateforme’ est un terme très ancien qui, au début, désignait une structure matérielle ou architecturale. Avec l’arrivée du numérique, il s’est mis à désigner quelque chose de beaucoup plus complexe et immatériel. – Antonio Casilli

Pendant le confinement, les livreurs ont pu montrer qu’ils jouent un rôle essentiel, malgré les efforts des plateformes logistiques pour nous faire croire qu’elles font du commerce uniquement en ligne, sans dimension matérielle. – Antonio Casilli

On constate un grand différentiel des effets du télé-travail selon les personnes, notamment entre les hommes et les femmes. Nombre de femmes ont été contraintes d’assumer leur rôle de parent et de continuer à travailler. Philippe Askenazy

Le problème est que le télé-travail, pendant le confinement, a cherché à répéter la logique présentielle du travail, avec une hausse des réunions et apéritifs virtuels, par exemple, ce qui a provoqué une lourde fatigue cognitive. – Antonio Casilli

[Séminaire #ecnEHESS] La start-up nation: un cirque sans filet ? (Silvio Lorusso & Aude Launay, 12 mars 2020, 19h)

Enseignement ouvert aux auditeurs libres (dans la limite des places disponibles). Pour s’inscrire, merci de renseigner le formulaire.

Le prochain rendez-vous de notre séminaire Étudier les cultures du numérique sera à nouveau accueilli par la Gaîté Lyrique et sera ouvert aux auditeurs libres. Nous aurons le plaisir d’accueillir l’artiste et chercheur Silvio Lorusso, auteur du livre Entreprecariat. Everyone Is an Entrepreneur. Nobody Is Safe, Onomotopée, 2019 et Aude Launay, curatrice de l’exposition Algotaylorism à la Kunsthalle de Mulhouse.

N’hésitez pas à faire circuler cette information au sein de vos propres contacts et sur les réseaux.

“La start-up nation: un cirque sans filet”
Silvio Lorusso (Institute of Network Culture d’Amsterdam)

avec Aude Launay (Kunsthalle, Mulhouse)

jeudi 12 mars 2020 à 19h00
Gaîté Lyrique
Auditorium
3bis, rue Papin
75003 – Paris

Entrepreneur ou travailleur précaire ? Bienvenue dans l’entreprécariat, un néologisme forgé par Silvio Lorusso, qui nous guide à travers un monde où le changement est considéré comme naturel et sain, quoi qu’il apporte. Son premier livre dépeint un monde peuplé de posters de motivations, d’outils pour améliorer la productivité, de bureaux mobiles et de techniques de développement personnel. Un monde dans lequel un mélange d’idéologie entrepreneuriale et de précarité généralisée régit les réseaux sociaux professionnels, les marchés en ligne pour le travail free-lance et les plateformes de financement participatif. Le résultat ? Une vie en version bêta permanente, aux implications parfois tragiques. Aude Launay va articuler cette notion avec celle d'”algotaylorism” pour explorer l’économie de l’attention et rendre visible le travail des non-travailleurs, le management algorithmique des travailleurs, le micro-travail, la place de l’intelligence artificielle.

Espaces numériques, travail et idéologie (conférence, La Gaîté Lyrique, 6 nov. 2018)

Le 6 novembre 2018 j’ai eu le plaisir d’intervenir lors de la conférence de lancement du cycle “Idéologies et technologies”, né d’un partenariat entre l’EHESS, la Gaîté Lyrique et Mediapart.

Cette première séance s’est interrogée sur la manière dont le Web, espace autrefois foisonnant et décentralisé, se reconfigure sous la concentration des services, des politiques d’utilisation et des visions développées par ces plateformes hégémoniques. À qui appartiennent les données personnelles qui les nourrissent ? Qui les utilisent et comment circulent-elles ? La soirée a proposé de cartographier les jeux d’influence et de contrôle en ligne. Elle a donné à voir comme un territoire où s’affrontent des idéologies antagonistes et des intérêts divergents. 

Avec moi, Louise Drulhe, designer graphique, dessinatrice et artiste et Arthur Messaud (animateur), analyste juridique et politique de l’Association la Quadrature du Net.


Le programme du séminaire #ecnEHESS 2018/19 est arrivé !

Mon séminaire Étudier les cultures du numérique (mieux connu comme #ecnEHESS) est de retour pour la 11e année consécutive.

Structure : pour la rentrée 2018/19, le séminaire fait peau neuve : plus compact (9 séances sur 5 mois), plus long (24 heures de cours) et surtout… plus fondamental. Parce que justement à partir de cette année, l’enseignement devient une formation du tronc commun du master en sciences sociales de l’EHESS, et une unité fondamentale de la mention Histoire des Sciences, Technologies, Sociétés (HSTS), en collaboration avec le Centre Alexandre Koyré.

C’est pourquoi, le programme se compose cette année de deux types de sessions :

  • les séances thématiques retracent les grandes questions de la sociologie du numérique et sont réservées en priorité aux étudiant•es EHESS (mais peuvent accueillir des auditeur•rices libres dans la mesure des places disponibles) ;
  • les séances d’approfondissement, où des invité•es externes présentent leurs recherches en cours,  s’inscrivent dans la tradition du séminaire #ecnEHESS et sont ouvertes à tou•tes.

Logistique : le séminaire aura lieu deux jeudis par mois, du 10 janvier 2019 au 9 mai 2019. Les séances thématiques se dérouleront au Centre Alexandre Koyré (salle séminaire, 27 Rue Damesme, 75013 Paris). Les séances d’approfondissement se dérouleront à l’Institut des Systèmes Complexes (salle séminaire 1.1, 113 rue Nationale 75013 Paris).

Pour vous inscrire, merci de renseigner le formulaire de contact (option “seminar”).

Voilà le calendrier complet :

 
Jeudi 10 janvier 2019 (15h-18h)
Centre Alexandre Koyré, salle séminaire, 27 Rue Damesme, 75013 Paris

Séance thématique (priorité étudiant•es EHESS)
Sociabilité, identité, communauté sur internet
Enseignant : Antonio Casilli
Jeudi 24 janvier 2019 (16h-18h)
Institut des Systèmes Complexes, salle séminaire 1.1, 113 rue Nationale 75013 Paris

Séance d’approfondissement (ouverte aux auditeur•es libres)
Les communs numériques
Intervenant•es : Benjamin Coriat, Laura Aufrère (Univ. Paris 13), Lionel Maurel (CNRS).
Jeudi 7 février 2019 (15h-18h)
Centre Alexandre Koyré, salle séminaire, 27 Rue Damesme, 75013 Paris
Séance thématique (priorité étudiant•es EHESS)
Analyse des réseaux (structure, norme, et capital social en ligne)

Enseignant : Antonio Casilli
Jeudi 21 février 2019 (17h-19h)
Institut des Systèmes Complexes, salle séminaire 1.1, 113 rue Nationale 75013 Paris

Séance d’approfondissement (ouverte aux auditeur•es libres)
Ce que les big data font aux sciences sociales
Intervenant•es : Paola Tubaro (CNRS) et Étienne Ollion (CNRS).
Jeudi 7 mars 2019 (15h-18h)
Centre Alexandre Koyré, salle séminaire, 27 Rue Damesme, 75013 Paris

Séance thématique (priorité étudiant•es EHESS)
Évolutions de la vie privée sur Internet
Enseignant : Antonio Casilli
Jeudi 21 mars 2019 (17h-19h)
Institut des Systèmes Complexes, salle séminaire 1.1, 113 rue Nationale 75013 Paris

Séance d’approfondissement (ouverte aux auditeur•es libres)
Action collective à l’heure du numérique
Intervenant•es : Jen Schradie (Sciences Po Paris).
Jeudi 4 avril 2019 (15h-18h)
Centre Alexandre Koyré, salle séminaire, 27 Rue Damesme, 75013 Paris

Séance thématique (priorité étudiant•es EHESS)
Travail et intelligences artificielles

Enseignant : Antonio Casilli
Jeudi 18 avril 2019 (17h-19h)
Institut des Systèmes Complexes, salle séminaire 1.1, 113 rue Nationale 75013 Paris

Séance d’approfondissement (ouverte aux auditeur•es libres)
Travail et plateformes numériques
Intervenant•es : Marie-Anne Dujarier (Univ. Paris Diderot) et Maud Simonet (Univ. Paris Nanterre).

Une séance finale de restitution des travaux des étudiant•es aura lieu le jeudi 9 mai 2019 de 15 h à 19 h au Centre Alexandre Koyré, salle séminaire. Lors de cette session, les étudiant•es présenteront une synthèse portant sur un sujet ayant trait aux usages sociaux des technologies numériques, choisi en accord avec l’enseignant. Le rendu prendra la forme d’une contributions à Wikipédia (création et modification d’articles) et d’une présentation orale.

[Video] Une théologie politique des plateformes numériques (Québec, Canada, 24 mai 2018)

Vidéo de la conférence “De quoi une plateforme numérique est-elle le nom ? Généalogie historique et récupération économique” que j’ai donné le 24 mai 2018 à Québec dans le cadre des Journées du LabCMO. (Sur ce sujet voir aussi mon billet de décembre 2017).

Résumé

Sur les cendres de l’entreprise du XXe siècle s’érige le nouveau paradigme socio-technologique de la plateforme numérique. Elle se définit comme un mécanisme neutre qui démocratise l’accès autant à des ressources matérielles (des produits, des services) qu’à des objets informationnels (des contenus, des données). Pour coordonner ses différentes composantes, elle a recours à des méthodes algorithmique basées sur le traitement de masses de données personnelles issues des comportements, des échanges et des évaluations en ligne de ses utilisateurs. Une caractéristique essentielle (mais problématique) des plateformes est leur prétention à incarner des valeurs d’exactitude technique et de neutralité morale. Il est donc urgent de dresser une généalogie de ce paradigme, en remontant aux sources philosophiques et politiques de la notion même de plateforme, et de pointer les défis qui accompagnent ces nouveaux dispositifs. Le concept de plateforme s’avère inscrit dans la théologie politique du XVIIe siècle, au croisement de la philosophie de Francis Bacon et de la pensée des premiers anarchistes anglais. Des commons agraires à Uber, de la Nouvelle Atlantide à Google, la plateforme numérique contemporaine n’est pas une simple métaphore, mais l’évolution d’un concept dont l’histoire s’avère fascinante – et dont les promesses de dépassement du travail salarié et d’abolition de la propriété privée restent encore à honorer.

Une loi sur les fake news : à quoi bon ? Tribune dans L’Obs (1 mars 2018)

Si la notion de « fausse nouvelle » est déjà définie par la loi sur la liberté de la presse de 1881, la « loi de fiabilité et de confiance de l’information » annoncée par Emmanuel Macron en 2018 va soi-disant obliger les plateformes numériques à plus de transparence sur les contenus sponsorisés. Toutefois, nous ne connaissons pas suffisamment bien les modes de diffusion de l’information problématique, ni les incitations économiques des grandes plateformes étrangères et des petits producteurs de faux contenus et fausses intéractions qui peuplent leurs écosystèmes. “L’Obs” a demandé à trois intellectuels (Slavoj Žižek, Emmanuel Todd et moi-même) de réfléchir à ce problème qui touche à la nature même du débat public en démocratie.

L’Obs

jeudi 1 mars 2018 – p. 91,92,93,94

Faut-il une loi sur les “fake news” ?

Par ANTONIO CASILLI

A l’heure où le gouvernement veut légiférer sur les fausses informations, le sociologue et spécialiste d’internet Antonio Casilli explique comment elles se fabriquent, et révèle les dessous d’un marché mondial.

Les colporteurs, d’après l’édition 1751 de l’« Encyclopédie », étaient « anciennement des gens de mauvaise foi qui rodoient de ville en ville, vendant & achetant de la vaisselle de cuivre, d’étain, & autres semblables marchandises ». Un peu marchands, un peu charlatans, ils vendaient du rêve sous forme de livres et de gazettes truffées d’histoires mêlant le monstrueux au prodigieux. Il serait aisé de tracer un parallèle historique entre la littérature de colportage et les fake news actuelles. L’Histoire pullule d’exemples de systèmes organisant la circulation d’informations non vérifiées. Citons les écrits apocryphes de l’Antiquité, qui entretiennent des similitudes avec les « faits alternatifs » et les théories complotistes actuelles, ou encore l’invention de la dezinformatsiya dans le « bureau spécial de désinformation » du KGB créé par Staline en 1923, et qui a servi de modèle à la production active d’ignorance et de confusion à des fins politiques. Mensonges et propagande ont toujours fait partie de la sphère publique. A première vue, les traits distinctifs des fake news ne ressortent pas de manière évidente. Même en admettant que la propagation actuelle de rumeurs et contre-vérités s’inscrive dans un cadre culturel et technologique inédit, dominé par les médias numériques, la cause de cette confusion généralisée demeure inconnue. Est-ce la possibilité que le web offre à n’importe qui de publier n’importe quoi qui ébranle la capacité des citoyens à se forger une opinion éclairée? Ou alors, comme le rappelle le chercheur Nikos Smyrnaios, serait-ce l’opinion largement partagée d’une presse soumise aux pouvoirs économiques et politiques qui pousse les publics à rechercher « une information “alternative”, pour le meilleur et pour le pire » ? Quelle qu’en soit la raison, la perte de légitimité des médias traditionnels a créé un appel d’air pour la production de fake news. Mais contrairement à ce qu’on dit souvent, leur diffusion n’est pas le fait de hordes de « colporteurs numériques » venus répandre librement leurs fausses nouvelles. C’est bien la manière dont les grandes plateformes numériques, comme Google ou Facebook, ont décidé de sélectionner l’information qui pose problème.

Les modèles économiques des médias sociaux s’appuient sur des régies publicitaires comme AdSense et AdWords de Google ou Audience Network de Facebook, qui collectent et mettent à profit les informations personnelles de leurs usagers : historiques de navigation, listes d’amis, localisation géographique, visionnages de vidéos ou « J’aime » sur des photos constituent cette fameuse data que vont monnayer les Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft]. Dès lors que les médias sociaux ont intérêt à retenir leurs abonnés le plus longtemps possible pour collecter davantage de données personnelles, ils finissent par mettre en place des incitations économiques qui favorisent les contenus sensationnalistes. Dans le jargon des annonceurs, les histoires outrancières seraient plus sticky, plus « collantes ». Les contenus doivent émouvoir et polariser les opinions pour constituer une occasion de partage, d’engagement de l’attention, d’échanges entre amis et ennemis sur les médias sociaux – qu’importe leur degré de fiction. Cet intérêt pour l’attention des internautes pousse les producteurs d’information en ligne à se débarrasser des standards éthiques et des méthodes d’autorégulation qui avaient caractérisé le journalisme d’avant internet.

La ville de Veles, en Macédoine, en donne un exemple flagrant. Sans grande perspective d’emploi dans cette cité désindustrialisée, des jeunes ont mis en ligne des sites tels que TrumpVision365.com, USConservativeToday.com, DonaldTrumpNews.co, qu’ils ont utilisés comme base pour propager sur Facebook des millions de mèmes. Ces images cocasses ou choquantes, propageant des mensonges sur les adversaires politiques du candidat républicain, ont généré des flux de revenu publicitaire qui ont permis à ces adolescents, souvent en rupture scolaire, de joindre les deux bouts. Les modèles économiques des plateformes numériques ne favorisent pas tant la militance spontanée émanant de la base d’un parti, que des campagnes de propagande et de dénigrement montées de toute pièce. Les Américains les désignent par le néologisme crowdturfing, issu du terme anglais crowd (« foule ») et de la marque de gazon artificiel AstroTurf.

Mais l’artificialité du phénomène ne réside pas là où on le croit. Car ces contenus factices ne sont généralement pas créés par des « bots » – des agents automatiques, trop vite repérés par les filtres anti-spam des plateformes et par les usagers avec lesquels ils sont censés interagir. Les propagateurs sont en réalité des faux comptes animés par des êtres humains, qui la plupart du temps n’ont que faire de l’opinion politique des images ou textes qu’ils diffusent. Les faux followers, par exemple, sont créés par des internautes qui s’abonnent volontairement à une page, une chaîne, un compte en échange d’un micropaiement. Vu que pour le reste, leurs comportements sont ceux d’usagers communs, il est difficile de les détecter. En outre, ils peuvent influencer les électeurs par leurs messages et comportements. Le crowdturfing vise à produire des vagues de trafic et de viralité de l’information qui servent à « amorcer la pompe ».

Les campagnes électorales à l’heure des grandes plateformes se basent donc sur des masses grandissantes d’influenceurs numériques qui se font passer pour des militants mais sont essentiellement motivés par l’appât du gain. Ce phénomène ne se résume pas à la production d’intox : l’interaction sociale qui accompagne les fake news est tout aussi importante que leur contenu. Il existe sur internet des plateformes de crowdturfing où l’on achète à prix cassé commentaires, partage et retweets de messages haineux ou diffamatoires. Moyennant des paiements d’à peine quelques centimes d’euro, les experts en marketing politique peuvent recruter des myriades d’ouvriers du clic pour assurer la circulation des fake news, ou les faire remonter dans le référencement des moteurs de recherche et dans les tendances émergentes des médias sociaux. Pendant la présidentielle française de 2017, le chercheur belge Nicolas Vanderbiest a pu détecter sur Twitter des réseaux d’influence nationaux (Patriosphère, Sens Commun, etc.) et internationaux (provenant des Etats-Unis, de la Russie, et même de l’Arabie saoudite), qui ont vraisemblablement acheté le travail de foules de faux militants pour mettre en avant les hashtags #MacronLeaks, #PenelopeGate, etc.

La majorité de ces ouvriers du clic opèrent depuis chez eux et sont recrutés sur des services en ligne tout à fait légitimes comme UpWork ou FreeLancer. Selon une étude de l’université de Santa Barbara, entre 70% et 95% des requêtes négociées sur certaines plateformes de microtravail (MinuteWorkers, ShortTask, MyEasyTask, MicroWorkers) consistent en la création de faux profils, faux avis, faux liens vers sites web, etc. L’origine géographique des acheteurs de clics (Etats-Unis, Canada et Royaume-Uni, mais aussi France, et Espagne) et celle des producteurs (Bangladesh, Pakistan, Népal, Indonésie, Sri Lanka, Inde, Kenya, Madagascar) reproduit des tendances globales de délocalisation de « sales boulots » vers des zones du monde où la force de travail est marquée par une forte vulnérabilité à l’exploitation. Partager des messages de haine, faire augmenter le compteur de visionnage d’une vidéo diffamatoire voire créer des profils qui s’abonnent au fil d’une personnalité de l’extrême droite xénophobe : voilà les tâches que ces travailleurs se voient proposer. Selon les révélations de Business Insider, en 2015 Donald Trump aurait acheté près de 60% des fans de sa page Facebook aux Philippines, en Malaisie et… au Mexique.

Les grands médias sociaux jouent un rôle extrêmement ambigu dans cette économie du clic. D’une part, Facebook et Google s’engagent depuis 2016 dans des remaniements réguliers de leurs algorithmes de référencement et de ciblage publicitaire afin de corriger les biais qui ont permis aux fake news de se répandre et ils s’adonnent depuis toujours à des « purges » de faux profils, voire proscrivent les utilisateurs ayant recours aux plateformes de crowdturfing. Mais, d’autre part, le réseau de Mark Zuckerberg semble fonctionner grâce à des mécanismes d’achat de visibilité qui entretiennent de nombreuses similitudes avec le fonctionnement des usines à faux clics.

Entre 2012 et 2014, des experts ont mené des expériences à partir de pages-appâts conçues pour attirer des lecteurs. Tous arrivent à la même conclusion : l’essentiel des profils ayant partagé leurs contenus ont des comportements suspects, ils sont fans de milliers de marques et de personnalités politiques disparates situées en Inde comme en Amérique du Nord. Autre conclusion de ces expériences : ces faux clics ne sont pas un détournement mais bien le résultat de la politique commerciale de Facebook Facebook ne vend pas directement du clic, mais propose à ses usagers de « booster leurs publications », voire d’en augmenter la visibilité moyennant un petit paiement. Or selon ces mêmes experts, ce visionnage vendu par Facebook provient des mêmes pays en voie de développement. C’est ainsi que le crowdturfing chassé des profils reviendrait par la fenêtre de la publicité. Cela redimensionne considérablement les prétentions d’authenticité de l’information qui circule sur ces réseaux. La distinction entre expression politique « artificielle » et « vraie conviction » devient floue. Sans vouloir entrer dans les débats philosophiques sur « ce qu’est la vérité », il nous faut admettre une chose : les fake news mettent à mal la possibilité de s’entendre sur la réalité même d’une action politique bien informée, indépendante des logiques commerciales et dans laquelle les intermédiaires politiques et culturels opéreraient de manière transparente.

Toute intervention législative sur les fake news qui manquerait de prendre en compte ces aspects serait destinée à l’échec. Au lieu de cibler exclusivement les petits dealers de mal-information, il est nécessaire de se concentrer sur leurs mandataires et sur les infrastructures techniques qui rendent possible leur action. Il faudrait par exemple établir l’obligation, pour les formations politiques, de publier un « bilan numérique » faisant état des dépenses et de la nature de leur marketing politique sur internet, de façon à les décourager d’effectuer des opérations clandestines à base de marchandage de clics. Tout comme les médias audiovisuels adoptent une règle d’égalité du temps de parole des candidats pour garantir le pluralisme, il est urgent de s’assurer que les partis politiques n’obtiennent pas subrepticement du « temps de cerveau » supplémentaire en achetant des tweets, des « like » et des contenus viraux lors des campagnes.

Mais la responsabilité informationnelle des organisations politiques doit se conjuguer avec un renouvellement des modèles économiques des médias sociaux numériques, qui ont reposé jusqu’à présent sur l’expropriation des données personnelles de leurs usagers à des fins publicitaires et sur la mise en place de longues chaînes de sous-traitance de tâches informationnelles vers des pays dits « du Sud ». C’est non seulement leur viabilité économique, mais aussi leurs admissibilités politique et éthique qui doivent être aujourd’hui questionnées. Une dernière recommandation politique concerne alors la défense des droits des travailleurs du clic, non pas pour normaliser le système du crowdturfing mais pour s’en affranchir. Le respect des normes internationales du travail, la garantie pour ces travailleurs d’une rémunération équitable et de conditions de travail décentes – bref la possibilité de résister au chantage au travail à la micro-pièce – constituerait un levier de négociation qui leur permettrait de refuser de contribuer au système des fake news. Reconnaître le travail invisible de ces ouvriers du clic et les doter de méthodes pour se protéger et pour faire entendre leurs voix, est aussi – et avant tout – un enjeu de citoyenneté globale.

Pourquoi la vente de nos données personnelles (contre un plat de lentilles) est une très mauvaise idée

Jacob dit : ‘Vends-moi aujourd’hui tes données”.
“Voici”, s’exclama Esaü, “je m’en vais mourir de faim !
A quoi me servent ces données ?” (…) Alors Jacob donna
à Esaü du pain et du potage de lentilles. Il mangea et but,
puis se leva et s’en alla. C’est ainsi qu’Esaü méprisa le droit
de disposer des fruits de son travail numérique. (Génèse 25:31-34 ?)

The Economist (ou du moins le journaliste Ryan Avent qui a écrit l’article paru sous le titre “The digital proletariat” dans la première livraison de 2018 du magazine britannique) découvre avec une décennie de retard l’existence du digital labor, au hasard de la lecture d’un “fascinating new economics paper”.  Pour la petite histoire, le papier en question vient tout juste d’être publié sur ArXiv et s’intitule “Should we treat data as labor?”. Il s’agit d’un résumé en clé économiciste des études existantes dans le domaine, mais avec un twist très Jaron Lanier (qui est par ailleurs l’un des co-auteurs) : “les données sont le fruit du travail des usagers, sauf si ces derniers les revendent DE MANIERE TOUT A FAIT TRANSPARENTE ET EQUITABLE HEIN à des multinationales qui ne veulent que leur bonheur.”.

Et si cela résonne avec les propositions ultra-libérales de certains think tanks bien de chez nous, qui vous proposent de vendre vos données en échange du proverbial “plat de lentilles” (v. le récent rapport de Génération Libre), et bien… c’est parce que c’est la même chose. Sachez quand même que celle-ci est une position très minoritaire au sein des études sur le digital labor, qui revendiquent en général une approche plutôt “commoniste” des données. Comme je le disais ailleurs (2016), “il n’y a rien de plus collectif qu’une donnée personnelle”. Et, comme je le répète depuis 2015 :

“[La proposition de revendre les données issues du digital labor] pose d’abord un problème éthique: de fait, la commercialisation des données personnelles créerait un énième « marché répugnant », formule parfois utilisée pour définir les marchés (comme l’achat d’organes, ou les paris en bourse sur les attentats terroristes) qui sont problématiques et intrinsèquement imprudents. A-t-on le droit de vendre un bras ou un œil? Le fait de vendre les données pose le même type de difficultés car ce marché présupposerait un droit de propriété privée sur les données personnelles. C’est une dérive très dangereuse vers la « privatisation de la privacy », que j’ai dénoncée ailleurs. Ces considérations s’appliquent à plus forte raison au digital labor, qui produit de la valeur en s’appuyant sur un contexte collectif – les sociabilités ordinaires, le partage au sein de communautés d’utilisateurs. Quoique personnelles, ces données, ces productions digitales, ne sont pas du ressort de la propriété privée, mais le produit d’un commun, d’une collectivité. Par conséquent, la rémunération devrait chercher à redonner aux commons ce qui a été extrait des commons.”

La solution n’est pas, AMHA, une rémunération individuelle des données, sous forme de royalties ou de micro-paie. La rémunération à la pièce est déjà en vigueur sur les plateformes de micro-travail–et cela se solde par un nivellement par le bas des rémunérations de ceux qui y travaillent, surtout dans le cas des fermes à clic installées aux Philippines, au Madagascar, au Kenya, etc. Au vu des asymétries d’information et de pouvoir entre les grands oligopoles numériques et les usagers, cette situation est destinée à se reproduire dans les négociations avec les publics généralistes. Une contractualisation sur base individuelle de la valeur de la donnée n’entraînerait qu’une généralisation de la condition de sous-prolétaire numérique. Pour en sortir, j’ai à plusieurs reprises prôné un revenu universel numérique financé par des impôts sur les profits des plateformes. Dans une interview récente, je résumais ma position de la manière suivante :

“[A universal basic income would protect the digital labor workforce] by recognizing the data labor that flows through the platforms. This has already been argued by a report by the French Ministry of Finance in 2013, and in a report by the Rockefeller Foundation last year. The digital giants should not be taxed on the basis of how many data centers or offices they have in a country, but on the basis of the data produced by the users of the platforms. If there are 30 million Google users in Italy, it is fair to tax Google based on the profits they made from these users’ activities. In this way, one could fund a basic income, arising from the digital labor that each of us carries out on the internet or on the mobile apps we use.”

PS. Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter ces quelques articles, ouvrages ou chapitres que j’ai publié entre 2013 et 2017 :

Pagina99 (Italie, 16 juin 2017)

Nel quotidiano Pagina99, numero speciale del weekend 17 giugno 2017 “algoritmi e sorveglianza”, una lunga intervista rilasciata al giornalista Samuele Cafasso.

I nuovi schiavi degli algoritmi

Per costruire le macchine al servizio dell’uomo, i grandi gruppi del digitale impiegano una moltitudine di persone. Spesso in condizioni definibili come sfruttamento. L’intervista di pagina99 al sociologo Casilli.

  • SAMUELE CAFASSO

Prima di chiederci se l’intelligenza artificiale e i robot ci toglieranno il lavoro, dovremmo chiederci quanto e quale lavoro serve per costruire le intelligenze artificiali. Scopriremmo così un grande paradosso: per costruire le macchine al servizio dell’uomo, i grandi gruppi del digitale stanno usando una moltitudine di persone a servizio delle macchine, spesso facendole lavorare in condizioni definibili come sfruttamento. La tesi è di Antonio Casilli, professore associato al Paris Institute of Technology e ricercatore al Centro Edgar Morin, tra i più acuti studiosi europei dell’impatto delle tecnologie digitali sulle nostre strutture sociali. L’abbiamo intervistato in occasione del Jobless society forum organizzato a Milano dalla Fondazione Feltrinelli.

D. Casilli, di quale intelligenza artificiale stiamo parlando e perché, per essere realizzata, questa richiede lo sfruttamento dell’uomo?
R. I grandi gruppi digitali come Google, o Facebook, hanno la loro ragione d’essere nel costituirsi come piattaforme di servizi per i propri utenti. Sono anche un riferimento per le altre imprese, di cui inglobano e coordinano le attività. Per svolgere il loro compito ricorrono sempre più spesso a sistemi automatici di funzionamento. In pratica si tratta di software costruiti grazie al machine learning, sistemi di apprendimento automatico: ogni dato inserito permette alla macchina di raffinare il proprio funzionamento, di specializzarsi riducendo gli errori. Serve però una mole enorme di dati, e di buona qualità. Questi dati sono prodotti e raffinati da noi, esseri umani.

D. È il sistema che sta alla base dei traduttori online, o dei “risponditori” automatici come Siri, o Cortana. Ma per il machine learning non basta il lavoro non retribuito che eseguiamo noi come utenti attraverso la nostra navigazione, l’uso dei dispositivi, i like che inseriamo sui social network e altro ancora?
R. Questa raccolta di dati è importantissima. I big data a disposizione di Facebook con i suoi 1,8 miliardi di profili, o le centinaia di milioni di clienti di Amazon, sono alla base del processo di machine learning. Ma le grandi piattaforme, lo sappiamo per certo, non si limitano a raccogliere i dati in maniera passiva. Questi dati vanno rielaborati, sistematizzati, annotati. C’è troppo “rumore” perché siano utilizzabili così come sono. E qui entra in gioco il microlavoro umano.

D. Di quali compiti stiamo parlando, in concreto?
R. Stiamo parlando di compiti che, presi singolarmente, sono minimi. Facciamo qualche esempio: selezionare, tra otto foto che compaiono sullo schermo, quelle in cui compare un determinato elemento, ad esempio un lago o l’insegna di un negozio. Individuare in qualche secondo se un sito è “solo per adulti”. Correggere lo spelling nella trascrizione di testi, brevissimi, di appena qualche parola. E altro ancora. Microcompiti che vengono spesso appaltati attraverso le piattaforme di micro-lavoro per qualche centesimo l’una, a volte anche meno.

D. Quali aziende sono coinvolte?
R. Ogni grande gruppo può contare su piattaforme a questo in qualche modo collegate. La più nota di tutte è Mechanical Turk di Amazon, il cui nome già dice tutto. Il “turco meccanico” è il nome di un robot giocatore di scacchi sviluppato alla fine del 1700. Vestito appunto come un turco, in realtà celava al suo interno una persona. Il robot, insomma, si muoveva solo grazie all’uomo. Google utilizza una piattaforma che si chiama Ewoq, Microsoft ha Uhrs, Ibm ricorre a Mighty Ai, Apple utilizza per la geolocalizzazione Try Rating. E poi ci sono tante piattaforme di microlavoro generaliste.

D. Chi si fa carico di questi lavori?
R. Se guardiamo al mercato dei click, vediamo che i primi utilizzatori si trovano negli Stati Uniti, in Paesi europei come la Francia, o la Gran Bretagna, in Canada, Australia. Lì si concentrano le imprese che reclutano microlavoratori per allenare le intelligenze artificiali. Chi vende prestazioni invece si trova soprattutto in India, Pakistan, Filippine, Malesia, America Centrale. Spesso si tratta di persone che lavorano da casa, ma ci sono realtà molto più dure. Alcuni operano negli equivalenti digitali dei call center, in grandi stanze ingombre di computer, una a fianco all’altra, in condizioni precarie. Sono le click-farm, di cui si parla oramai da anni. Lo schema che aveva notato Naomi Klein alla fine degli anni Novanta con il libro No Logo, per cui la globalizzazione e la delocalizzazione delle imprese tendeva a riprodurre schemi di potere di tipo colonialista, oggi si ripropone. Questa volta a essere mobili non sono i capitali e la produzione delle merci, ma il mercato del lavoro. Anche quando queste persone si trovano nei Paesi occidentali, nel Nord globale, sono persone spesso ai margini. Il microlavoro ha tendenza a riprodurre forme di esclusione classiche. Le donne sono particolarmente toccate, o i portatori di handicap. In alcuni casi, forme di precarietà più estreme fanno di questa forza lavoro un vero e proprio “esercito industriale di riserva” composto di ex-detenuti, persone senza domicilio fisso, lavoratori recentemente immigrati con secoli di storia di sfruttamento alle loro spalle. Alcune piattaforme (diverse da quelle citate qui sopra e non direttamente riferibili ai grandi gruppi del digitale, ndr.) come Mobileworks si fanno un vanto di impiegare «comunità di sotto-occupati negli Stati Uniti e nel mondo». I programmi di lavoro nelle carceri americane oggi includono compiti come data entry, trascrizioni di testi, preparazione di documenti. Anche quando gli utenti di queste piattaforme sono formalmente liberi, alcune imprese (come Microsourcing nelle Filippine) mimano il linguaggio delle colonie penali, promettendo alle imprese occidentali che i loro microlavori saranno eseguiti da persone «virtualmente in cattività».

D. Quali responsabilità abbiamo come utenti delle piattaforme e come cittadini?
R.
Se pensiamo che i nostri comportamenti individuali possano in qualche modo influire su queste dinamiche facciamo un errore enorme. Non possiamo separare i mercati di lavoro tradizionali, presenziali, da quelli delle piattaforme di microlavoro. I conflitti e le tensioni tra lavoratori scatenati dalle delocalizzazioni e dalla mobilità internazionale di imprese e individui si riproducono online. Questo è un problema globale che richiede risposte globali. È il legislatore, nazionale e sovranazionale, che deve assecondare i movimenti di auto-organizzazione di lavoratori per riaffermare i loro diritti. Un ruolo importante possono averlo anche i sindacati tradizionali. Anche se qui in Europa hanno reputazione di essere in ritardo rispetto a queste evoluzioni tecnologiche, sono loro che conservano infrastrutture, saperi forti su come gestire il conflitto e il dialogo sociale, radici tra i lavoratori e capacità di rapportarsi con le aziende e il legislatore. Alcune realtà si stanno muovendo in questo senso, come la Cgt o Force Ouvrière in Francia, la Cgil in Italia, Ig Metall in Germania con il progetto Fair Crowd Work che permette di mettere in rete le esperienze dei lavoratori. È necessario che ci si muova in questa direzione».

Questo articolo è tratto dal nuovo numero di pagina99, “dalla Cina a Facebook – prove di controllo totale”, in edicola, digitale e abbonamento dal 16 al 22 giugno 2017.