plateformes

Sur France Culture (31 oct. 2016)

Emission: Du Grain à Moudre. Invités : Antonio Casilli : sociologue et enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et à l’EHESS ; Diana Filippova : Co-fondatrice de OuiShare, think tank de l’économie collaborative ; Olivier Babeau : professeur de sciences de gestion à l’Université de Bordeaux, porte-parole de la Fondation Concorde

Source: L’économie collaborative supporte-t-elle la régulation ?

Economie et politique des plateformes numériques : le programme de mon séminaire #ecnEHESS 2016-17

FINALLY ! Pour la neuvième année consécutive, mon séminaire Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques (#ecnEHESS) ouvre ses portes le 21 novembre 2016 à l’EHESS de Paris. Pour récompenser votre patience, le programme de cette année réserve plus d’une surprise : des intervenants internationaux pour une réflexion sur l’impact politique du numérique, avec des séances spéciales sur la surveillance de masse, sur l’économie et l’idéologie des plateformes, sur les libertés fondamentales à l’heure d’internet.

Comme toujours, les inscriptions sont ouvertes aux auditeurs libres : il suffit d’envoyer un petit mail gentil via ce formulaire. La première séance aura lieu le lundi 21 novembre 2016, EHESS. Les séances successives, le troisième lundi de chaque mois de 17h à 20h.

ATTENTION : changement d’adresse. Cette année le séminaire se déroulera au 96 bd Raspail 75006 Paris, salle M. & D. Lombard. NB: la séance de fin d’année aura lieu le mercredi 14 décembre 2016. Pour plus de précisions sur les dates et les salles (et pour d’éventuels changements), se référer à la page de l’enseignement.

Programme

 platform 21 novembre 2016
Christophe Benavent (Paris Nanterre)
Gouvernementalité algorithmique des plateformes
 lloirns 14 décembre 2016
Isabelle Attard (députée citoyenne du Calvados) et Adrienne Charmet (La Quadrature du Net)
Internet, surveillance et libertés fondamentales en France
 ideology 16 janvier 2017
Benjamin Loveluck (Télécom ParisTech)
Idéologies et utopies du numérique
 workfutur 20 février 2017
Mark Graham (Oxford Internet Institute) et Karen Gregory (University of Edinbugh)
Global platforms and the future of work
 gafa 20 mars 2017
Nikos Smyrnaios (Université Toulouse 3)
Stratégies et logique des GAFAM
 mturk 10 avril 2017
Mary Gray (Microsoft Research)
Behind the API: Work in On-Demand Digital Labor Markets
 datanomix 15 mai 2017
Louis-David Benyayer (Without Model) et Simon Chignard (Etalab)
Les nouveaux business models des données
 magna 19 juin 2017
Juan Carlos De Martin (NEXA Center for Internet & Society)
Looking back at the 2015 ‘Declaration of Internet Rights’

Digital platform labor : transformations du travail et nouvelles inégalités planétaires

Intervention aux Ministères économiques et financiers, Bercy (13 septembre 2016).

 

Antonio A. CASILLI.

Plateformes et transformations de l’entreprise

Le bouleversement numérique entraîne beaucoup de confusion sémantique. On parle parfois de « disruption », d’« uberisation ». Les consultants évoquent la « transformation numérique », les entités politiques et les corps intermédiaires utilisent souvent le terme de « révolution numérique », alors qu’en Allemagne et dans le sud de l’Europe est évoquée l’« industrie 4.0 ».

On retiendra ici la notion de « plateformisation », tout en excluant l’idée d’automatisation ou de remplacement des êtres humains par les robots, car cette idée n’est pas vérifiée aujourd’hui, malgré la prophétie de l’étude d’Oxford de 2013, qui a été mentionnée plus haut. L’histoire de l’économie regorge de prophéties de ce type : l’économiste Thomas Mortimer[1] annonçait déjà l’« exclusion du travail du genre humain » avec l’apparition des premiers moteurs dans les scieries ; il en va de même pour les prophéties contenues dans les Principles of Political Economy (1821) de David Ricardo , qui ne se sont jamais réalisées.

Aujourd’hui la plateformisation entraîne non pas la disparition du travail, mais une modification du ratio travail/emploi. Pour définir une plateforme, il faut revenir à la relation entre marché et entreprises. Selon la vision classique de l’économiste Ronald Coase[2], le capitalisme moderne se caractérise par une séparation nette entre le marché – où l’on s’expose au risque, à la volatilité des prix et des transactions, etc. – et l’entreprise, qui internalise un ensemble de coûts et cherche à gérer ce risque, par exemple en mettant en place des hiérarchies précises. Or, avec les plateformes, le marché et l’entreprise, tendent à se confondre, comme c’est le cas pour Amazon, par exemple, qui est à la fois une entreprise et un marketplace.

En outre, ces plateformes prennent la forme de marchés bifaces : certains usagers paient ; d’autres bénéficient d’un prix nul, ou même d’un prix négatif puisqu’ils sont rétribués pour consommer. Ainsi, le modèle économique de Google se fonde sur le marché de la publicité : l’utilisateur vit dans l’illusion de la gratuité du service rendu, alors que les annonceurs paient pour acheter les données. En outre, les plateformes se caractérisent par leur capacité à coordonner des catégories disparates d’utilisateurs : consommateurs, producteurs, livreurs, opérateurs logistiques, systèmes de paiement. Plusieurs acteurs économiques doivent donc se coordonner au moment de la transaction. Les GAFA sont le plus souvent évoqués, mais leur hégémonie ne s’étend pas au monde entier : on trouve en Chine le géant chinois Alibaba[3], et les Russes préfèrent le réseau social Vkontakte[4] à Facebook.

Captation de la valeur issue des usages

Ces plateformes opèrent une captation de la valeur créée par les usagers, ce qui produit un changement du ratio entre la valeur produite et la valeur captée. Ainsi, les réseaux sociaux se fondent sur des contributions bénévoles – même si elles sont plus rares que cela est souvent imaginé : elles sont toutes valorisables sur ces plateformes qui produisent très peu de valeur en elles-mêmes.

Par ailleurs, les plateformes s’appuient sur une vaste économie des données personnelles. Le traitement automatique de bases de données massives collectées à partir des données des utilisateurs ne concerne plus seulement Apple, Alphabet, Microsoft, Facebook et Amazon, qui sont les cinq premières capitalisations boursières mondiales. Les entreprises du CAC 40 adoptent progressivement les mêmes réflexes. Ainsi, la SNCF ambitionne à monétiser les données de ses utilisateurs pour optimiser son réseau et pour faire évoluer son modèle d’affaires. Cet effort se manifeste par exemple par la création de TGVpop[5], un mix d’Uber, de Facebook et de la SNCF : certains trains ne circulent que s’ils affichent suffisamment de « likes ». Comme Laurent Gille l’évoque dans l’ouvrage Aux sources de la valeurDes biens et des liens[6], ce sont ainsi les relations qui deviennent sources de valeur, et non plus des biens.

Dans ce contexte, les plateformes opèrent encore un autre changement, plus important pour notre propos : celui du ratio entre emploi formel – rémunéré par un salaire établi par contrat de travail – et travail implicite. Ce dernier apparaît lorsque les utilisateurs transmettent leurs données personnelles ou laissent connaître des comportements monétisables. La plateformisation transforme les entreprises en mécanismes de coordination d’acteurs sociaux qui opèrent une marginalisation – ou crowding out, c’est-à-dire éviction – de la force de travail. Un nombre de plus en plus réduit de personnes travaillent au sein de entreprises-plateformes (salariés formels) tandis que l’essentiel de l’activité est réalisé à ses alentours via des mécanismes d’externalisation (sous-traitance, offshoring, essaimage, etc.), où travaillent les communautés d’usagers. Ces derniers se transforment ainsi en coproducteurs, notion déjà identifiée par les sociologues dans les années 1970 dans le travail produit autour des entreprises. Le travail des consommateurs, concerne non seulement Internet mais aussi toutes les grandes surfaces où chacun devient son propre caissier, son propre évaluateur, formateur, contre-maître, comme l’explique la sociologue Marie-Anne Dujarier[7]. Il s’agit à présent d’associer à ces aspects la reconnaissance du travail immatériel des personnes qui produisent des contenus cognitifs.

Le digital labor

En français, on ne traduit pas le terme digital labor, car le mot « travail » a plusieurs sens : il désigne à la fois la transformation de la réalité physique (ce que les allemands appelleraient Werk et les anglais work) et un ensemble de relations sociales : « travailler pour », « travailler avec », etc (que les allemands appelleraient Arbeit, et les anglais, justement, labor). Le digital labor désigne alors le travail de relations sociales effectué sur les plateformes numériques. Il ne s’agit pas d’une travail « numérique », mais bien d’un travail « digital », car il est effectué avec les doigts, c’est-à-dire il est un travail du clic. Le digital labor comprend ainsi de nombreuses activités. Sur certaines plateformes, il s’agit de travail à la demande : ainsi, Uber affirme se cantonner à une intermédiation algorithmique qui garantit que le passager A rencontrera le chauffeur B. Ce dernier passe alors son temps, plus qu’à conduire à réaliser ce « travail du doigt » pour planifier sur l’application mobile son activité durant la semaine, gérer sur internet sa réputation et l’évaluation par les passagers, personnaliser son profil, effectuer de tâches de construction de la présence numérique. Il en va de même des passagers qui doivent gérer leur réputation. La gestion de l’évaluation réciproque devient un véritable travail dont chacun ressent les effets.

La plateforme Amazon Mechanical Turk[8] s’appuie sur la métaphore d’un automate joueur d’échecs qui aurait jadis défié et battu tous les grands gouvernants européens ; or cet automate contenait en fait un être humain qui actionnait les pièces. Amazon Mechanical Turk fonctionne en fait de la même manière. Le système automatique se fonde sur l’action de centaines de milliers d’humains qui réalisent un certain nombre de tâches : ils taguent des images, organisent des playlists de musiques, etc. Il importe donc de relativiser la prétendue automatisation du travail : derrière le rôle joué par l’algorithme se trouvent en effet des humains qui cliquent, moyennant une micro-rémunération. Mais cette source de gain est soustraite à toute forme de protection et de réglementation classique. La récente loi Travail n’a pas réussi à encadrer ces activités alors que Foule Factory[9] apparaît en France comme l’équivalent d’Amazon Mechanical Turk. Ces plateformes représentent un véritable marché du travail. On y trouve aussi le poids lourd chinois Zhubajie[10], l’un des plus importants opérateurs du micro-travail au monde, qui compte une dizaine de millions d’utilisateurs. Ou alors UpWork, entreprise étasunienne qui est tournée vers les pays du Sud (Afrique subsaharienne et Asie du Sud) : ces derniers ne sont pas seulement concernés par des phénomènes de consommation numérique, mais aussi par la production numérique. Le service TxtEagle permet ainsi à des personnes vivant dans des zones rurales d’Afrique de réaliser des micro-tâches pour des micro-paies.

 

De nouvelles inégalités planétaires

De nouvelles inégalités Nord-Sud émergent à travers ces plateformes. Une étude récente de l’Oxford Internet Institute[11] montre l’existence de flux de travail importants entre le sud et le nord de la planète : les pays du Sud deviennent les producteurs de micro-tâches pour les pays du Nord. Aujourd’hui, les plus grands réalisateurs de micro-taches se trouvent aux Philippines, au Pakistan, en Inde, au Népal, à Hong-Kong, en Ukraine et en Russie, et les plus grands acheteurs de leurs clics se situent aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Royaume-Uni. Les inégalités classiques Nord/Sud se reproduisent à une échelle considérable. D’autant qu’il ne s’agit pas d’un travail résiduel mais d’un véritable marché du travail : UpWork compte 10 millions d’utilisateurs, Freelancers.com, 18 millions, etc.

Or, ce digital labor reste invisible et échappe aux statistiques et à l’encadrement classique du travail salarié. Cela pose des problèmes, d’une part, de protection des travailleurs et, d’autre part, de dissimulation du micro-travail dans n’importe quel usage numérique. Crowdsource, lancé récemment par Google, permet d’aider l’entreprise à améliorer ses services en traduisant des textes, en tagguant des images, en retranscrivant des phrases. C’est une version mobile d’Amazon Mechanical Turk. Mais depuis longtemps, chaque fois que Google Translate est utilisé l’amélioration du moteur de traduction est proposée à l’utilisateur. Il en va de même des re-captcha[12] – ces encadrés où il est demandé à l’utilisateur de montrer qu’il n’est pas un robot en retranscrivant des lettres floues qui apparaissent à l’écran : chaque fois que l’utilisateur répond à un « re-captcha », il travaille pour Google Books, dont l’algorithme ne parvient parfois pas à reconnaître correctement les pages scannées des livres.

Le travail dissimulé du clic concerne tout le monde. Facebook, présenté comme un service gratuit, se révèle aussi être un énorme marché du clic. Aujourd’hui, l’algorithme de Facebook opère une restriction artificielle de la portée organique des posts partagés par les utilisateurs : vous avez 1000 « amis », par exemple, mais moins de 10% lit vos messages hilarants ou regarde vos photos de chatons. Officiellement, Facebook prétend qu’il s’agit ainsi de limiter les spams. Mais en fait, la plateforme invente un nouveau modèle économique visant à faire payer pour une visibilité plus vaste ce que l’usager partage aujourd’hui via le sponsoring. Ce modèle concerne moins les particuliers que les entreprises qui fondent leur stratégies marketing sur ce réseau social : ces dernières ont en effet intérêt à ce que des centaines de milliers de personnes lisent leurs messages, et elles paieront pour obtenir plus de clics. Or ce système repose sur des « fermes à clics », qui exploitent des travailleurs installés en Inde, au Pakistan, en Malaisie, etc[13]. Cet énorme marché dévoile l’illusion d’une participation volontaire de l’usager, qui est aujourd’hui écrasée par un système de production de clics fondé sur du travail caché—parce que, littéralement, à l’autre bout du monde. En filigrane, une autre question se pose. Si le clic de l’usager bénévole vaut autant que celui d’une personne payée pour le faire, certains se demandent comment rémunérer ce travail.

Facebook se fonde sur la gratuité du service offert aux usagers, la plateforme n’étant de son côté pas censée rémunérer ce que l’usager publie ou clique. Mais de plus en plus de services s’affranchissent de ce système et proposent de rémunérer la participation en ligne. Ainsi la plateforme américaine TSU[14] a développé un modèle d’affaires de rémunération de l’utilisateur : ce dernier crée un profil que TSU monétise en vendant les données à des régies publicitaires. L’entreprise captait donc 10 % sur chaque dollar perçu, l’usager 45 %, la personne qui a invité cet usager à créer un profil reçoit 30 %, et ainsi de suite. L’arrivée de chaque nouvel utilisateur donnerait lieu à une rémunération en cascade pour tous les membres du réseau. Même si personnellement je ne suis pas du tout d’accord avec ces idées de rémunération « à la tâche » ou « à la donnée », ces nouveaux modèles peuvent être perçu comme une manière d’organiser une redistribution de la valeur et de reconnaître le fait que chaque clic constitue un travail dont bénéficient ces plateformes. Alors, la question devient plutôt comment donner au collectif la valeur que les plateformes captent du collectif. Et ma position s’éloigne de celle des thuriféraires de la rémunération de chaque clic, qui créerait à mon avis une classe de prolétaires digitaux. Il faut plutôt envisager une fiscalité du numérique solide, accompagnée par une politique de redistribution qui passe par la mise en place d’un revenu universel de base. Le CNNum le pointe d’ailleurs dans un rapport remis en janvier 2016 à la ministre du Travail sur la nouvelle trajectoire « travail, emploi et numérique »[15] : il souligne l’importance du digital labor, c’est-à-dire du travail des utilisateurs et préconise la création de ce revenu de base digital.

[1] Thomas Mortimer, britannique   (1730–1810) en 1772, il écrit : « those machines are intended almost totally to exclude the labor of the human race.” …“if introduced into our dockyards etc…they would exclude the labor of thousands of useful workmen.”

[2] Ronald Coase, britannique (1910-2013), prix Nobel d’économie 1991

[3] Voir le site du groupe Alibaba : http://www.alibabagroup.com/en/global/home et https://french.alibaba.com/

[4] Voir : https://vk.com/ et arrticle du courrier de Russie avril 2016 : http://www.lecourrierderussie.com/societe/2016/04/vkontakte-saint-petersbourg/

[5] TGV pop mode d’emploi : http://www.voyages-sncf.com/tgv/tgv-pop

[6] AUX SOURCES DE LA VALEUR Des biens et des liens –L’Harmattan – Logiques sociales – juin 2006

[7] Dujarier, M.-A. (2008). Le Travail du consommateur? . De McDo à eBay: comment nous coproduisons ce que nous achetons, Paris: La Découverte.

[8] Cf. article de France Culture sur le Turc mécanique d’Amazon : http://www.franceculture.fr/emissions/ce-qui-nous-arrive-sur-la-toile/le-turc-mecanique-damazon# et le site d’Amazon : https://www.mturk.com/mturk/welcome

[9] Voir : https://www.foulefactory.com/

[10] Voir : http://www.witmart.com/about/overview.html

[11] Lehdonvirta, V., Barnard, H., Graham, M., and Hjorth, I. (2014) Online labour markets – levelling the playing field for international service markets? Paper presented at the IPP2014: Crowdsourcing for Politics and Policy conference, University of Oxford.

[12] CAPTCHA est l’acronyme pour « Completely Automated Public Turing Test To Tell Computers and Humans Apart ». Un Captcha est un programme de test visant à protéger un site web (souvent une page de formulaire ou d’inscription) des robots

[13] Voir article du Guardian (UK), sur les forçats des fermes à clics – août 2013  : https://www.theguardian.com/technology/2013/aug/02/click-farms-appearance-online-popularity

[14] Voir article de Zdnet – mars 2016 : http://www.zdnet.com/article/social-network-tsu-upgrades-platform-to-increase-payments-to-users/

[15] Le rapport – janvier 2016 : http://cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2015/12/Rapport-travail-version-finale-janv2016.pdf

Sur France Inter (3 août, 2016)

» Ecouter “Le téléphone sonne – Notre rapport au virtuel” (41 min.)

Pokemon Go, réseaux sociaux… Quel rapport entretenons-nous avec le virtuel dans nos sociétés qui se numérisent ?

Invités :

Antonio A. Casilli – Sociologue, maître de conférences en humanités numériques à Telecom ParisTech et chercheur au Centre Edgar-Morin de l’EHESS

Vanessa Lalo – Psychologue clinicienne, spécialiste des usages numériques

Bernard Stiegler – Philosophe, auteur de « Dans la Disruption, comment ne pas devenir fou ? » [Les Liens qui libèrent / Mai 2016] (par téléphone)

Source: Notre rapport au virtuel du 03 août 2016 – France Inter

Dans Slate.fr (8 juillet 2016)

Ce modèle à la demande repose sur une fragmentation des tâches, de sorte que quiconque est prêt à payer 5 à 7 euros peut se voir offrir une prestation de concierge jadis réservé aux membres de la haute bourgeoisie. Le principe consiste à «déléguer des tâches minuscules à des myriades de travailleurs», selon la formule du sociologue Antonio Casilli, maître de conférences à Télécom ParisTech et chercheur associé en sociologie à l’EHESS, spécialiste du «digital labor», c’est-à-dire de la manière dont ces plate

Source: Bienvenue dans l’ère des Silicon valets! | Slate.fr

Capitalisme des plateformes : interview dans L’Humanité (26 mai, 2016)

Ces gens-là ne licencient pas, ils « désactivent » !

Entretien réalisé par Pia de QuatreBarbes
Jeudi, 26 Mai, 2016
Humanité Dimanche

Photo : AFP

Pour Antonio A. Casilli, professeur à Télécom ParisTech et chercheur associé à l’EHESS, le capitalisme de plateforme pousse le travail en dehors de l’entreprise. Et surtout, il reporte tous les risques sur le seul travailleur. Entretien.

HD. Pourquoi refusez-vous ce terme d’ubérisation ?

Antonio Casilli. Avant tout parce que c’est un terme de communicants du CAC 40. Il faudrait plutôt mobiliser le concept de « plateformisation ». La plateforme réalise un appareillement algorithmique entre différents groupes humains. Elle met en communication consommateurs et producteurs, travailleurs et recruteurs… C’est un changement de paradigme qui s’étend à toutes les réalités productives. Même les grandes entreprises para-étatiques sont poussées à l’adopter, à travers les initiatives de numérisation, comme celle d’EDF (par exemple le compteur Linky) ou de La Poste. Elles cherchent à se transformer en gestionnaires de flux de données et opérateurs de cette mise en relation de différents groupes humains.

HD. Quelles sont les conséquences sur le travail ?

A. C. On assiste à un phénomène d’éviction des forces productives. Les plateformes poussent l’activité travaillée en dehors de l’entreprise. Elle est effectuée au sein d’un écosystème dans lequel tout le monde est mis sous le régime du travail : les sous-traitants, mais aussi les consommateurs. C’est un travail qui peine à se faire reconnaître, déguisé sous les appellations « socialisation », « partage », « collaboration ». Le travailleur, lui, doit apporter ses moyens de production : son véhicule, son logement, son vélo… Cette responsabilité de se doter de ressources matérielles lui revient. C’est un nouveau travail à la pièce, régi par les plateformes. Nous assistons à une véritable « tâcheronisation numérique ».

Le capitalisme de plateforme reporte sur le travailleur le risque de fluctuation du marché. Si l’activité est interrompue à cause d’une baisse des commandes, l’entreprise ne fait finalement qu’arrêter de donner du travail. Ce risque du marché était la responsabilité historique de l’entrepreneur. Or les plateformes ne le prennent plus, elles s’affichent comme de simples intermédiaires.

La sociologue américaine Gina Neff l’appelle le « venture labour », le « travail risque », constamment soumis au péril de ne pas pouvoir approcher la rémunération promise. C’est le cas des plateformes de microtravail comme Amazon Mechanical Turk (une traduction ou une identification de photos, payées enmoyenne 1,7 euro l’heure – NDLR).

HD. C’est un retour au XIXe siècle sous les airs de la modernité…

A. C. Oui, on est en train de répéter une histoire qui consiste à réaffirmer les droits fondamentaux pour des personnes, non reconnues comme travailleurs. Une plateforme comme Uber ne licencie plus ses travailleurs, elle les « désactive ». Car, pour Uber, il ne s’agit plus d’un salarié, mais d’une figure professionnelle beaucoup plus ambiguë. Nous ne sommes plus dans des situations d’emploi formel, mais de travail implicite.

HD. Comment reconnaître ce travail implicite ?

A. C. Les plateformes présentent souvent l’activité comme ludique, mais il y a toujours quatre éléments qui relèvent de l’activité travaillée classique. D’abord, elle produit de la valeur. Deuxième critère, il y a un encadrement contractuel, notamment sous la forme des conditions générales d’usage. Elles établissent qui fait quoi pour qui et qui profite des activités sur la plateforme. Autre élément : le traçage. Nous sommes soumis à des métriques de performance comme le temps de connexion, le nombre de contacts, la réputation.

Le dernier aspect, de plus en plus visible, est la dimension de subordination. Le système légal français ne reconnaît que la subordination juridique. Mais, dans d’autres pays, la loi a introduit la notion de la parasubordination : la dépendance économique, les sujétions particulières… En France, on ne voit pas qu’une subordination aujourd’hui s’installe à travers l’utilisation du système technique même. Le chef donneur d’ordres a été remplacé par l’algorithme envoyeur de notifications. C’est lui qui dit au chauffeur Uber où aller, au coursier Deliveroo où livrer.

« Qu’est-ce que le digital labor ? » d’Antonio A. Casilli et Dominique Cardon, éditions INA, 2015.

Source: Ces gens-là ne licencient pas, ils « désactivent » ! | L’Humanité

[Slides séminaire #ecnEHESS] “Le partage de la valeur à l’heure des plateformes” (J. Rochfeld, V. Benabou 2 mai 2016, 17h)

Pour la séance de mon séminaire EHESS Etudier le cultures du numérique du 2 mai 2016 j’ai eu le plaisir d’accueillir Judith Rochfeld (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Valérie-Laure Benabou (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), pour un débat autour de leur ouvrage A qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’ère du numérique (Ed. Odile Jacob, 2015).

[pdfjs-viewer url=http://www.casilli.fr/wp-content/uploads/2016/05/Presentation-EHESSVLBenabou-et-JRochfeld.pdf viewer_width=500px viewer_height=300px fullscreen=true download=true print=true openfile=false]

Titre : Le partage de la valeur à l’heure des plateformes

“Comment définir juridiquement les notions de plateforme et de contenus ? On essaiera d’interpréter la première au prisme des régulations concurrentielles et consuméristes, tandis que pour la seconde nous nous attacherons à mesurer la difficulté de saisir l’immatérialité du concept de contenu, mais aussi son rapport avec la notion de travail et de production (oeuvres/données/avis…). Dans un second temps, il s’agira de réfléchir à l’adéquation de la figure propriétaire pour appréhender la circulation des intangibles. Quelle résistance de la notion de propriété telle qu’envisagée dans le code civil, ou plus largement comme méta-concept juridique ? Enfin, fortes du constat de la nécessité de faire « bouger les lignes », on déclinera les propositions avancées dans l’ouvrage “À qui profite le clic ?” au prisme de l’expérience déjà tentée dans le domaine du droit d’auteur (réponse technique, réponse collective, mise à l’écart ou régulation du consentement…), de ses échecs et de ses réussites pour déterminer d’éventuels mécanismes généraux permettant d’appréhender la distribution immatérielle dans ses diverses dimensions et organiser un plus juste partage de la valeur entre les acteurs.”

 

 

 

[Slides] Séminaire #ecnEHESS “Combien vaut un clic ?” (4 janv. 2016)

Dans le cadre de mon séminaire EHESS Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques, le 4 janvier 2016 nous avous eu le plaisir d’accueillir Geoffrey Delcroix (pilote des projets de prospective, Direction des Technologies et de l’Innovation, CNIL), Martin Quinn (Telecom Paristech, Chaire VPIP) et Vincent Toubiana (service de l’expertise technologique, CNIL) pour une séance sur la valorisation des données personnelles dans les industries culturelles et par le biais des plateformes d’optimisation d’achat et de vente d’espaces publicitaires.

 

Retrouvez le livetweet du séminaire sur Twitter : hashtag #ecnEHESS.

Titre : “Combien vaut un clic ? Données, industries culturelles et publicité”.

Intervenants : Geoffrey Delcroix (CNIL), Martin Quinn (CVPIP), Vincent Toubiana (CNIL)

Résumé : Dans le domaine des contenus culturels, la création de valeur semble se concentrer autour des enjeux de personnalisation et de recommandation. Derrière la magie des algorithmes, quelle « valeur » est réellement créée pour l’utilisateur, au cœur de quels modèles économiques ? Que veut dire lire, écouter, regarder et jouer à l’heure de la personnalisation, des algorithmes et du big data ?
Quels modèles économiques coexistent et s’hybrident autour du rôle des données (à la fois par les contenus créés par l’utilisateur et par les traces « inconscientes ») dans ces secteurs pionniers ? Par ailleurs, et pas seulement dans le seul domaine culturel, lorsque l’internaute consomme des contenus en ligne (gratuits ou payant), il crée aussi de la valeur pour les éditeurs (en alimentant ses algorithmes ou par  la publicité ciblée). Dans certaines conditions cette valeur peut être très précisément observée, et nous permet ainsi de mieux comprendre les algorithmes qui gouvernent par exemple l’affichage publicitaire. Quelle valeur représente un internaute spécifique dans une situation précise ? Quels comportements individuels et collectifs les annonceurs adoptent dans le but de maximiser leurs profits?

Compte- rendus des séances précédentes :

Prochaines séances :

  • 1 février 2016Yann Moulier-Boutang “Capitalisme cognitif et digital labor”.
  • 7 mars 2016Jérôme Denis (Télécom ParisTech) et Karën Fort (Université Paris-Sorbonne) “Petites mains et micro-travail”.
  • 4 avril 2016Camille Alloing (Université de Poitiers) et Julien Pierre (Université Stendhal Grenoble 3) “Questionner le digital labor par le prisme des émotions”.
  • 2 mai 2016Judith Rochfeld (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Valérie-Laure Benabou (UVSQ) “Le partage de la valeur à l’heure des plateformes”.
  • 6 juin 2016Bruno Vétel (Télécom ParisTech) et Mathieu Cocq (ENS) “Les univers de travail dans les jeux vidéos”.