récension

Compte rendu de “Le Phénomène ‘pro-ana'” dans Le Monde (24 oct. 2016)

“Pourtant, pour les deux chercheurs, contrairement aux idées reçues, «il n’y a pas d’apologie de la maigreur, au contraire. Ces communautés se régulent entre elles, il y a même des controverses» , explique Antonio A. Casilli. Deuxième constat: bien souvent, les personnes souffrant de troubles alimentaires ont du mal à en parler à leur entourage, voire le cachent. «Elles trouvent dans ces plates-formes des espaces de parole, en étant comprises sans être jugées, ce qui leur procure une aide» , souligne Paola Tubaro.

Ils arrivent à la conclusion que ces communautés de malades trouvent en ligne des soutiens qu’elles n’ont pas ailleurs et recherchent plutôt un accompagnement pour la vie quotidienne. L’émergence de ces sites est, selon eux, liée au désinvestissement de l’Etat et à une mauvaise répartition des structures hospitalières sur le territoire. De fait, de nombreuses personnes ne sont pas prises en charge. Les auteurs ajoutent que ces sites sont plutôt un prisme par lequel appréhender des enjeux comme l’obsession de l’image du corps, le rapport à l’autorité médicale, etc.”

Source: Les sites « pro-ana » passés au crible

Recension de “Qu’est-ce que le Digital labor” dans La nouvelle revue du travail (mai 2016)

Recensions et notes de lecture

Dominique Cardon et Antonio A. Casilli, Qu’est-ce que le Digital labor ?, Paris, Ina Éditions.

Jean-Pierre Durand
Cardon et Caselli – Qu'est-ce que le Digital Labor ?

1Ce petit ouvrage a au moins deux vertus : nous aider à définir le digital labor et faire dialoguer deux auteurs en désaccord profond sur la portée ou sur les significations de l’émergence de cette nouvelle pratique et de ses analyses scientifique outre-Atlantique (Digital Labor Studies) depuis 2009.

2Antonio Casilli, enseignant à Télécom Paris-Tech et chercheur à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (i3), signe la première partie en s’intéressant aux critiques des usages de l’Internet et des réseaux dits sociaux. Dans l’impossibilité d’une traduction en français du concept, Casilli voit dans ces pratiques technologisées « des formes d’activités assimilables au travail, parce que productrices de valeur, faisant l’objet d’un quelconque encadrement contractuel et soumises à des métriques de performance. Nous appelons digital labor la réduction de nos liaisons numériques” à un moment du rapport de production, la subsomption du social sous le marchand dans le contexte de nos usages technologiques. » (p. 12-13) Ce qui fait que le digital labor est une activité et/ou un travail (soit aussi un objet de recherche que l’on peut tenter de circonscrire), nourrissant un courant théorique (pluraliste) analysant ces pratiques comme productrices de valeur, à l’encontre des opposants à une telle interprétation (voir ci-dessous les contre-analyses de Dominique Cardon). Ce qui est certain est que le digital labor conteste les visions quelque peu naïves qui prévalaient dans la décennie précédente quant à la gratuité ou à la nature des activités collaboratives sur ou par Internet, voire à la création d’un Common que serait Google ou tout distributeur d’images gratuites sur le net.

3La question qui traverse cette analyse porte sur la nature et les principes de la création de valeur par les internautes, le digital labor se présentant comme « une contribution à faible intensité et à faible expertise mise à profit via des algorithmes et des fouilles de données — data mining » par des plateformes numériques. Ainsi, les utilisateurs, en tant que producteurs de données (vendues aux annonceurs) sont à la fois des marchandises et des travailleurs : « Les publics numériques sont des audiences hybrides qui ne peuvent jamais être réduites à la condition de simples spectateurs. Finalement, pour eux, une conscience exacte du moment où le dispositif numérique est en train de commander leur travail, ou de leur accorder un moment d’oisiveté est impossible à entretenir. » (p. 27) Le lecteur voit poindre ici la thèse de la création d’un surplus de travail non rémunéré au bénéfice des plateformes.

4L’intérêt d’un tel point de vue est de montrer comment producteur et consommateur se rejoignent ou se confondent dans une activité unique, certainement au bénéfice des propriétaires de la plateforme, mais aussi du prosumer, ce producteur-consommateur qui « travaille » d’abord pour lui-même et/ou qui prend plaisir à son activité, y compris à travers une démarche collective qui fait sens et qui pousse toujours plus loin son travail. Or, c’est justement à partir de ce travail personnel et de toutes les données qu’il produit que ces plateformes vont disposer d’informations personnelles qu’elles vont valoriser. D’où la revendication d’une rémunération de ce travail selon des voies à définir et que présente A. Casilli, que ce soit sous forme de salaire ou à partir d’une révision du droit commercial ou toute autre voie, y compris celle d’un « revenu de base comme levier d’émancipation et de mesure de compensation pour le digital labor » (p. 39). Pour commencer, on pourrait souhaiter une réforme du droit fiscal afin que ces plateformes commencent à payer les taxes là où elles opèrent, c’est-à-dire là où se situent les millions d’usagers qui réalisent un « travail invisible »

Lire la suite sur le site web de la Nouvelle Revue du Travail.

Dans Le Monde : récension de “Qu’est-ce que le digital labor?” (10 déc. 2015)

Dans le quotidien Le Monde du 10 décembre 2015, David Larousserie nous livre un compte-rendu amusé et amusant de notre ouvrage Qu’est-ce que le digital labor? (INA éditions, 2015).

Eclairages

Quand Internet n’est plus « sympa »

LIVRE DU JOUR
David Larousserie

Qui a dit que les joutes intellectuelles avaient disparu ? En tout cas, pas deux des plus réputés sociologues français spécialistes des usages numériques, comme ils le montrent dans ce vivifiant essai consacré à une question émergente : le digital labor . Autrement dit, ce « travail » gratuit que les utilisateurs de plates- formes de réseaux sociaux, de ventes en ligne, de moteur de recherche effectuent en recommandant, « aimant », lançant des requêtes, interagissant, et que les entreprises monétisent auprès de publicitaires ou d’autres acteurs. L’expression a émergé à partir de 2009 aux Etats-Unis dans le champ académique pour de- venir un domaine de recherche actif. Production de valeur, mesures de performances, cadre contractuel (par les illisibles « conditions générales d’utilisation »), rappel à l’ordre pour pro- duire (par les notifications, alertes ou invitations diverses). Tout cela est bien du travail, décrit Antonio Casilli, sociologue à Télécom ParisTech, dans la première partie du livre. Et, dès lors, avec d’autres, il s’interroge sur les dispositifs d’exploitation, voire d’aliénation à l’œuvre ici comme dans n’importe quelle activité laborieuse. Le ton devient alors plus critique sur ces dérives marchandes qui accaparent la vie privée ou les biens communs.
Dominique Cardon, sociologue aux Orange Labs, dans une deuxième partie, commence par esquiver en prenant un recul original. La notion de digital labor relève plus de la posture que de l’analyse profonde. Elle se place à l’extérieur des sujets d’étude, donc au-dessus des internautes, pour leur dévoiler une aliénation qu’ils ignorent. Il raille donc ce point de vue, tout en détaillant les raisons intellectuelles et sociologiques qui ont amené à ce déferlement de critiques. « Internet était sympa, il ne l’est plus » , comme il le résume ironiquement. Bien sûr, les réseaux d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux d’hier avec marchandisation, espionnage à grande échelle, domination de quelques géants. Mais, face à ce constat sombre, il préfère retenir la grande diversité des usages et la démocratisation de l’expression, qui sont toujours vivantes.
A distance, les mots doux s’envolent entre les deux spécialistes lors d’une troisième partie construite comme un dialogue : « aristocrate ! », « libéral ! », « paternaliste ! », « incohérent ! » . Cependant, les deux tombent d’accord sur un point. Dominique Cardon regrette la mainmise d’une vision « économiciste » dans les analyses (aliénation, exploitation, valeur, etc.). Antonio Casilli aussi en somme, en rejetant les solutions consistant à rétribuer les internautes échangeant sur les plates-formes, comme certains l’ont proposé. Il préférerait une « rémunération » qui « redonne aux communs ce qui a été pris aux communs », par exemple sous forme d’un revenu de base ou bien d’une taxation des entreprises liées aux données qu’elles exploitent. Au fil des échanges se dégage une vision particulièrement riche des mutations à l’œuvre à propos d’Internet et de ses utilisateurs.

Qu’est-ce que le digital labor ?
de Dominique Cardon et Antonio Casilli
INA Editions, 104 p., 6 euros