Monthly Archives: March 2012

EnemyGraph: blasphème ou ruse de l’amitié sur Facebook ?

On m’a souvent entendu parler d’amitié et d’inimitié dans les réseaux sociaux. De l’amitié à l’heure du numérique, autant dans le chapitre « Mon friend n’est pas mon ami » (v. mon ouvrage Les liaisons numériques, Paris, Seuil, p. 270-277 – que vous trouvez résumées ici) que dans plusieurs interventions publiques  détaillant les tenants et les aboutissants du friending. D’inimitié, plus récemment, dans mon effort de théoriser la conflictualité et les liens négatifs en ligne.

 Donc, quand le toujours admirable @affordanceinfo m’a signalé aujourd’hui le lancement d’EnemyGraph, une nouvelle app qui permet de déclarer des ennemis sur Facebook, j’ai fait un bond de surprise. Créé à la University of Texas par Dean Terry et ses étudiants Bradley Griffith et Harrison Massey, l’application promet de faire le contre-pied de l’ethos de l’amour et de l’amitié forcées de Facebook et de réaliser le rêve longtemps refoulé d’un bouton dislike. Mais comment ça marche ? Selon Terry le tout est basé sur la notion de « dissonance sociale », voire l’évaluation des liens existants entre usagers selon leur désignation de personnes, choses et lieux qui leur déplaisent:

EnemyGraph is an application that allows you to list your “enemies”. Any Facebook friend or user of the app can be an enemy. More importantly, you can also make any page or group on Facebook an “enemy”. This covers almost everything including people, places and things. During our testing testing triangles and q-tips were trending, along with politicians, music groups, and math.
Dean Terry EnemyGraph Facebook Application [visité 26 Mar. 12]

Théorie et pratique du trolling : Podcast d'Antonio Casilli à Place de la Toile (France Culture, 24 mars 2012)

Pour décortiquer la figure du troll en ligne, l’émission Place de la Toile, animée par Xavier de la Porte, a accueilli un trio de choc : le psychanalyste (et geek) Yann Leroux, l’essayiste et vidéaste Pacôme Thiellement, et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Pour écouter le podcast : [audio:http://dl.dropbox.com/u/10267886/10465-24.03.2012-ITEMA_20354849-0.mp3 |titles=Radio France Culture ‘Place de la Toile’ Psycho-politique du troll |artists=Antonio A. Casilli]

En complément, lire Pour une sociologie du #troll, le billet publié par Antonio Casilli, disponible sur son blog Bodyspacesociety. Pour lire et écouter d’autres interventions sur le trolling, cliquer ici.

Psycho-politique du troll – Information – France Culture

Pour une sociologie du #troll

Hello folks ! Si vous êtes arrivés ici après avoir écouté l’émission Place de la Toile “Psycho-politique du troll” du 24 mars 2011, vous trouverez dans ce billet un utile complément d’information. Si vous êtes des lecteurs habituels de ce blog ou de celui consacré à la réception de mon livre Les liaisons numériques (Ed. du Seuil), vous y trouverez une bonne synthèse des contenus que vous connaissez sans doute déjà.

Typologie du troll

Quatre catégories principales de trolls sont identifiables :

1) le troll “pur” : le modèle de base, utilisateur bête et méchant des listes de diffusion ou des médias sociaux qu’il pourrit de commentaires désobligeants et mal adaptés au contexte d’interaction (ex. reconduire tout au sexe dans un forum de discussion sur la religion ou reconduire tout à la religion dans un forum de discussion sur la psychanalyse…). Sa nature est éminemment contextuelle et engage une réaction directe de la part des autres membres de la communauté qui se retrouvent investis de la fonction d’applicateurs de la norme sociale :

“Dans Second Life, je pourrais me faire passer pour un médecin, mais si je me présentais en tant que tel dans un forum de discussion santé ce serait perçu comme une intolérable imposture. À cet égard, la communication en ligne met constamment l’usager, à la première personne, dans une situation de risque de déviance. Il suffit de ne pas avoir bien évalué son environnement communicationnel pour se retrouver dans son tort. Ce qui explique pour quelle raison les internautes ne prônent que rarement l’intervention d’une autorité supérieure. C’est plutôt une ‘modération communautaire’ qui est souhaitée, où les membres eux-mêmes veillent au respect des règles du service informatique.”

Extrait du chapitre “Que va-t-on faire du troll ?” in Antonio A. Casilli (2010) Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Ed. du Seuil p. 319.

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Antonio Casilli invité de Citéphilo (CHRU, Lille, 27 mars 2012)

Le mardi 27 mars de 12h30 à 14h, Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) sera l’invité de Citéphilo pour une conférence sur corps, santé et liens sociaux du Web. L’initiative, en partenariat avec le midi philosophique de la médiathèque de la Cité, sera animée par Jean-Michel Hennebel et aura lieu au CHRU de Lille – Hôpital Claude Huriez, salle Multimédia.

Is The Pirate Bay experimenting with drone datacenters?

By now you’ve already heard me speak about activist drones.  This technology is no longer limited to the military. Occupy, Japanese environmentalists and Polish protestors have all been using quadricopters to document police brutality or environmental crimes. So the announcement posted earlier this week on the Pirate Bay blog doesn’t come as an absolute suprise: seems like they are experimenting with airborne Web hosting, launching small drones carrying internet mid-air servers to escape land-based censorship…

https://thepiratebay.se/blog/210

The Pirate Bay – The galaxy’s most resilient bittorrent site

Before you get all excited, let me tell you that my sources seem to indicate that this is a well-orchestrated joke. Apparently Low Orbit Server Stations (LOSS) is nothing but a theoretical belief. But for how long? Experiments with flying wi-fi hotspots are not unheard of in the hacker community, to say nothing about the working prototype of a file-sharing drone network presented last month by artist Liam Young. Just watch the movie here and think of the possibilities…

Electronic Countermeasures @ GLOW Festival NL 2011 from liam young on Vimeo.

"Les pirates, c’est tout le monde": Interview d'Antonio Casilli dans Chronic'art (n. 76, mars/avril 2012)

Dans le numéro 76 du magazine culturel Chronic’art, Cyril de Graeve interviewe Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) : heures et malheures du copyright.

Antonio Casilli est sociologue, maître de conférences en «Digital Humanities» à Télécom ParisTech et chercheur au centre Edgar-Morin de l’EHESS, auteur de Les Liaisons numériques – Vers une nouvelle sociabilité? (Seuil). On l’écoute.

Chronic’art : Quel est votre avis sur ACTA, PIPA, SOPA, Hadopi, toutes ces tentatives de législation qui semblent brider Internet et jeter la suspicion sur l’acte de partager une œuvre ?

Antonio Casilli : J’ai, à plusieurs occasions, déclaré publiquement mon opposition à ces initiatives. Le contexte actuel est caractérisé par le dépassement du Copyright. C’est une dynamique généralisée, répandue dans tous les contextes d’usage du numérique. Je le vois très clairement dans mon activité d’enseignant-chercheur : mes étudiants partagent des MP3 avec moi, mes collègues téléchargent librement mes articles, les institutions qui évaluent mes recherches demandent le partage non commercial de mes travaux. Les pirates, c’est tout le monde : des enfants, des femmes au foyer, des fonctionnaires de l’Etat. SOPA, ACTA et Hadopi visent a restaurer un ordre culturel désormais révolu. Le pire est que le partisans de cette restauration ne se gênent pas pour invoquer des méthodes répressives dignes des pires régimes totalitaires. La censure aujourd’hui se fait appeler «défense du droit d’auteur». Nous ne sommes pas face a un filtrage « souple » des contenus reconnus comme contraires a la loi, comme l’affirme Eli Panser dans son livre The Filter Bubble. Au contraire, c’est le retour de la répression bête et méchante qui passe par la fermeture abrupte des sites Web, les arrestations spectaculaires, l’opprobre jeté sur les militants de l’autre camp. Par delà les convictions personnelles, qui poussent certains de mes collègues a être en faveur de la protection du Copyright, je ne vois pas comment on peut défendre des méthodes pareilles…

Internet, ce nouveau monde dans le monde, n’est-il pas quelque chose de spécifique qui implique un traitement juridique particulier?

C’est une question délicate, qui renvoie a une doctrine juridique très controversée : l’exceptionnalisme d’Internet. Elle consiste a dire que le Web est une réalité sociale à part, où les règles du «vrai monde» ne peuvent pas s’appliquer. Mais mes travaux vont dans un autre sens. Internet n’est pas un univers séparé de notre quotidien. Au contraire, il est l’un de nos contextes d’interaction sociale. Si des nouveaux comportements s’affirment en ligne, ils s’affirment aussi dans le monde hors-ligne. ll faut plutôt envisager la question en termes d’exclusivité des biens. En économie, on appelle « biens rivaux» tout ceux dont la consommation par un acteur implique l’exclusion d’autres acteurs : si je mange un fruit, j’exclus la possibilité que d’autres en mangent. D’autres biens sont «non rivaux» : les infrastructures, les biens publics… Or, les biens numériques sont principalement non-rivaux : si je regarde une vidéo, cela n’empêche pas d’autres de la regarder. C’est pourquoi certains considèrent le Web comme un bien commun à part entière et prônent l’abrogation du Copyright et la mise en place d’un système de Creative Communs.

“Anamia” social networks and online privacy: our Sunbelt XXXII presentations (Redondo Beach, March 18, 2012)

[This is a joint post with Paola Tubaro’s Blog]

So, here we are in the (intermittently) sunny state of California for Sunbelt XXXII, the International Network for Social Network Analysis (INSNA) annual conference. This year the venue is Redondo Beach and the highlights are both old and new stars of social network analysis:  David Krackhardt, Tom Valente, Barry Wellman, Emmanuel Lazega, Anuška Ferligoj, Ron Burt, Bernie Hogan, Carter Butts, Christina Prell, etc.

Here are our presentations, both delivered on Sunday 18th, March 2012.

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Séminaire EHESS de Pierre Mounier “Quels enjeux pour les digital humanities ?” (21 mars 2012, 17h)

Dans le cadre de mon séminaire EHESS Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques j’ai le plaisir d’accueillir Pierre Mounier, professeur certifié à l’EHESS et directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte (CLEO), pour une séance consacrée aux humanités numériques.

Le séminaire aura lieu le mercredi 21 mars 2012, de 17 h à 19 h (salle 587, bât. Le France, 190-198 av de France 75013 Paris). Pour s’inscrire, c’est par ici.

Quels enjeux pour les digital humanities ?

Depuis plusieurs années, l’intensification des usages des technologies numériques à tous les niveaux de la recherche en sciences humaines et sociales fait l’objet d’une attention croissante à l’intérieur et à l’extérieur de la sphère académique. La popularité grandissante du terme “digital humanities” et de ses traduction diverses (“humanités numériques”, “humanités digitales”) en est un des signes. En prenant la suite d’une tradition désormais ancienne de relations entre informatique et sciences humaines ou sociales, les digital humanities présentent cependant certaines ruptures par rapport aux mouvements précédents (“litterary and linguistics computing”, “humanities computing”). Elles se caractérisent par l’émergence de débats qui lui sont propres. Trois d’entre eux semblent plus centraux que d’autres :

– la structuration, la définition et le périmètre de ce champ dont le statut de discipline émergente est discuté ;
– la redéfinition des relations en terme d’accès, d’exploitation et de visualisation que la recherche en sciences humaines et sociales établit avec ses sources primaires, désormais constituées comme de larges ensembles de données numériques ou numérisées ;
– le développement de nouvelles pratiques de communication scientifique, de nouvelles compétences à la frontière du scientifique et du technique, de nouveaux modes d’organisation de l’activité de recherche et leur (non)-reconnaissance au sein des structures académiques institutionnelles.

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Robots, bots, drones, automates… Podcast d’Antonio Casilli (France Culture, La Grande Table, 06 mars 2012)

Podcast de La Grande Table, le magazine culturel de la mi-journée sur France Culture, en collaboration avec le magazine Books qui publie ce mois-ci un dossier sur l’usage militaire des robots et des drones. Pour en parler avec Caroline Broué, Tobie Nathan, Olivier Postel-Vinay et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Pour écouter d’autres podcast d’Antonio Casilli sur France Culture.

Les drones, avions télécommandés sans pilote, font parler d’eux. De plus en plus souvent employés dans des actions militaires en Somalie, en Libye, au Pakistan, ils jouent désormais un rôle de premier plan dans les stratégies antiterroristes. Mais la société civile s’approprie cette technologie, et la détourne à des fins de progrès social. Pas plus tard que le mois dernier le New York Times révélait que des associations écologistes s’en servaient pour surveiller la chasse illégale à la baleine au Japon, et que des groupes militants tels Occupy avaient construit des prototypes de drones actionnés via smartphone pour dénoncer les bavures policières.

Bref qu’il s’agisse de conflits sociaux ou de conflits géopolitiques, les robots sont partout. Mais ceci ne représente pas forcément une nouveauté. Déjà il y a un siècle, quand le dramaturge Karel Čapek inventa le mot « robot » ils représentaient le pendant imaginaire des ouvriers en lutte dans les usines. Et à l’aube de la première guerre mondiale, les artistes futuristes saluaient les guerres modernes dans lesquelles les combats d’humain allaient être remplacés par des chorégraphies de machines, d’automates et d’engins explosifs.

La nouveauté est ailleurs, dans le fait qu’une guerre d’un autre type se prépare, combattue par une nouvelle génération de robots. La guerre, est celle de l’information. Et les robots ont troqué leurs engrenages pour des lignes de code. Désormais devenus des êtres purement logiciels, ils se font appeler tout simplement « bots ». Ils sont devenus des intelligences artificielles parcourent la Toile à la recherche d’information et de vulnérabilités de sécurité. Les bots espionnent les ordinateurs des scientifiques iraniens, ils lancent des attaques synchronisées contre la marine américaine en ou le parlement d’Estonie. Et une autre guerre se combat aussi sur les marchés financiers, où des algorithmes ultrarapides observent les marchés financiers 24h/24 et permettent de gagner de l’argent en quelques millisecondes. Aux E-U, où ces robots ont désormais remplacé presque 70% des traders humains, l’inquiétude monte face à la possibilité que des états voyous puissent interférer dans leur fonctionnement et précipiter l’occident dans une banqueroute financière irréversible.

Peut-on dire, pour paraphraser von Clausewitz, que « la robotique est la continuation de la guerre par d’autres moyens » ?

Petites données vs. grandes données (compte rendu du séminaire EHESS d'Antonio Casilli, RSLN, 05 mars 2012)

Dans Regards sur le Numérique, le magazine en ligne de Microsoft France, Claire Abrieux propose un compte rendu de l’intervention d’Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) dans le cadre du séminaire EHESS Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques. Pour voir les slides du séminaire, cliquer ici.

 

Small data contre Big Data : quand David rencontre Goliath

Qu’apportent les Big Data aux sciences sociales ? Ces énormes masses de données sont-elles fiables et permettent-elles une analyse fine ? Comment les exploiter ?

C’est à ces questions que s’est attaché Antonio Casilli, sociologue, maître de conférences en digital humanities à ParisTech, chercheur associé au Centre Edgar-Morin (EHESS) – et que vous connaissez bien si vous nous lisez régulièrement -, lors d’une séance de son séminaire « étudier les cultures numériques » le 15 février dernier.

Au programme : une méthode analytique particulière, la méthode ethno-computationnelle, qui se conjugue avec une approche alternative des données.

Plébiscités dans de nombreux domaines, de l’esthétique à l’urbanisme, les Big data semblent pourtant rencontrer de la résistance en sciences sociales. Pourquoi ?
> Les limites des Big Data en sciences sociales

Pour Antonio Casilli, l’enthousiasme des chercheurs pour les Big Data – cette avalanche de données disponibles, notamment grâce à l’open data – est tout sauf unanime.

Avec Paola Tubaro, il en critique, notamment les limites en sciences sociales. Et ce n’est pas le seul : danah boyd a également appelé récemment à plus de distance et de critique vis-à-vis de ces données.

Une des premières questions posée par les Big Data est celle de leur objectivité : l’exploration automatique de grandes quantités de données pour en extraire un ou plusieurs fils conducteurs n’est pas sans poser la question de l’origine et de la qualification des données existantes.

Les données sont souvent présentées comme « brutes », mais ne le sont jamais complètement. Pour lui, traiter automatiquement les données revient à partir avec un biais méthodologique. Données dont, de plus, la qualité n’est pas toujours vérifiable. Surtout les data venant de grandes bases propriétaires (produites, par exemple, par les géants du Web et les médias sociaux) ne sont pas suffisamment documentées et finissent par générer un effet de boite noire.

L’exploitation de ces Big data pose également problème : elles s’accordent mal avec les techniques traditionnelles en sciences sociales en raison de la masse des informations disponibles. Comme le note Antonio Casilli, les Big data modifient la théorie mais ne doivent en aucun cas l’évacuer. Pour ne pas toujours céder à une recherche dirigée par les données (data-driven), il est important de préserver le rôle essentiel de la théorie dans le travail des chercheurs (theory-driven).

Vient enfin, la question éthique : le fait de stocker des grandes masses de fichiers relatifs à des populations vulnérables ou à des questions sensibles va souvent à l’encontre des normes sur l’informatique et les libertés. De plus, comment avoir accès aux données sur les populations qui ne sont pas connectées ? Ou qui sont très faiblement représentées ? Pour Antonio Casilli, les Big Data ont le désavantage d’exposer les chercheurs à ce qu’il appelle « une fracture des données ». Au point d’empêcher peut-être demain certains n’ayant pas accès à ces données, de réaliser un travail pertinent ?

Mais ces limites ne doivent pas occulter le potentiel des Big data, qui ont beaucoup à apporter dans d’autres domaines, poursuit le chercheur : pour la recherche en sciences « dures », en particulier en génomique ou en sciences de la terre. En ce qui concerne les sciences sociales, le potentiel est là mais il reste à inventer un autre modèle de création et d’analyse des données.
> La méthode ethno-computationnelle : une alternative aux Big data ?

Antonio Casilli et Paola Tubaro adoptent une méthode dite « ethno-computationnelle » qui a entre autres l’avantage de prendre en compte certaines des limites des Big Data. Cette méthode est basée sur une approche particulière de l’agent based modeling. L’agent based modeling est une méthode utilisée pour simuler les interactions d’agents autonomes et pour visualiser leurs effets sur un système social. A partir de données ethnographiques récoltées sur le terrain –données qualitatives, denses et dirigées- les chercheurs créent des simulations multi-agents.

Voilà ce que cela donne en pratique :

Source : Tubaro, P., & Casilli, A. A. (2010). ‘An Ethnographic Seduction’: How Qualitative Research and Agent-based Models can Benefit Each Other Bulletin de Méthodologie Sociologique, 106 (1), 59-74

Comment la méthode ethno-computationnelle fonctionne-t-elle ?

1- A partir d’un phénomène social observé (social process), les chercheurs émettent des hypothèses de recherche (hypotheses).

2- Les données sont ensuite collectées sur le terrain (empirical data).

3- A partir de ces données, les chercheurs formulent une théorie (theory).

4- Vient alors la phase de construction d’un modèle basé sur les actions et interactions des agents. En clair, la méthode propose de partir de « petites » données pour construire un modèle (agent-based model).

5- Ce modèle est testé et les résultats obtenus sont vérifiés à l’aune des données empiriques de départ (test).

6- Les chercheurs simulent de plus grands jeux de données en décompressant des petites données à l’aide du modèle construit. Ils peuvent alors obtenir des « Big Data » à partir de « Small data ».
> Les avantages d’une méthode non-prospective

Le principal avantage de cette méthode est de permettre de conduire des terrains qualitatifs, et par conséquent de collecter des ensembles de données denses et dirigées. Mais elle a d’autres avantages :

« En général, les simulations multi-agents sont utiles pour étudier des phénomènes sociaux complexes, qui ne procèdent pas de manière linéaire » explique Antonio Casilli.

Prenez le cas des émeutes de Londres, Paola Tubaro et Antonio Casilli avaient alors utilisé la méthode ethno-computationnelle pour simuler les conséquences négatives de la censure des médias sociaux … sans devoir attendre que la censure soit effectivement mise en place – et nous l’avaient expliqué en détails.

Cette méthode permet également d’étudier des populations sensibles, qu’il est difficile d’approcher ou sur lesquelles il est complexe d’obtenir des données.

« Dans le cadre de notre projet « Les sociabilités Anamia », nous étudions des communautés de personnes souffrant de troubles alimentaires qui créent des réseaux d’entraide en ligne. Nous ne pouvons pas les investir par une fouille de données massive : ceci ne serait pas éthique et aurait des biais trop importants. D’où l’intérêt de travailler avec des « small data » et à partir de là d’effectuer des simulations.»

Enfin, il s’agit d’une méthode qui sert avant tout à effectuer des expériences de pensée. Elle produit des scénarios alternatifs par rapport à la réalité empiriquement observée, mais ces scénarios ne sont guère des prédictions :

« Ils représentent des alternatives possibles qui, croisés avec les données des observations, nous fournissent des comparaisons additionnelles qui nous aident à repenser – à re-incadrer théoriquement – les phénomènes sociaux étudiés. De ce point de vue-là, les simulations multi-agents sont, pour reprendre l’expression du géographe Arnaud Banos, des béquilles pour l’esprit humain. »