Monthly Archives: July 2012

Dans La Repubblica (Italie, 21 juillet 2012)

 

Le quotidien italien La Repubblica publie une tribune du philosophe Maurizio Ferraris (Université de Turin) sur l’intimité à l’heure des médias sociaux. L’occasion pour citer l’ouvrage Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) d’Antonio Casilli, maître de conférences en Digital Humanities à Telecom ParisTech et chercheur associé au Centre Edgar Morin (EHESS, Paris).

Pour aller plus loin, lire l’interview accordée par Antonio casilli à La Repubblica.

 

Nouvelle enquête : médias, Internet et censure en Iran

Une enquête unique a été conduite sur un échantillon de 1022 citoyens iraniens par une équipe de chercheurs de l’Iran Media Program (Annenberg School of Communications de l’Université de Pennsylvanie) en collaboration avec Gallup. Le rapport final Finding a Way – How Iranians reach for news and information est disponible en ligne. Voilà quelques résultats saillants :

1) Les médias traditionnels (mélangés avec des liens forts “de proximité”) restent les sources d’information majoritaires : la télévision est le premier choix pour 96% des interviewés. La chaîne d’état IRIB demeure la plus regardée (62%), suivie par BBC Persian et Voice of America (accessibles par satellite). La presse suit, mais avec un écart important (45%). Peux après, l’information directe par les pairs, les amis, les voisins, les membres de la famille (38%). Avec ces derniers, on peut supposer que certains échanges se réalisent en ligne – par mail, chat ou sur des médias sociaux (mais ce résultat est mitigé, v. point 2). D’autant plus que la recherche d’information dans des lieux publics (transports, commerces, lieux de culte, etc.) n’est plus vraiment d’actualité à cause du climat politique actuel.

http://iranmediaresearch.org/en/research/pdffile/990

(more…)

Dans Marianne (08 juillet 2012)

Le magazine Marianne publie un article d’Elodie Emery et Jules Fournier sur l’usage de Twitter par les écrivains, avec des extraits d’une conversation avec Antonio Casilli, maître de conférences en Digital Humanities à Telecom ParisTech et auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Or le Web n’attaque jamais aussi fort que lorsqu’on le met en cause frontalement et les twittos déchaînés ont largement été repris dans la presse américaine : «Les vrais écrivains gravent leurs textes sur des tablettes en pierre», ironise l’un d’entre eux. En plus des phénomènes de buzz impossibles à anticiper, Twitter impose une nouvelle relation au public qui en a rebuté plus d’un. «Jusque-là, la critique était réservée aux critiques littéraires qui formaient une institution, analyse Antonio A. Casilli, chercheur en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Grâce à Twitter, on assiste à une banalisation et à une démocratisation de la critique qui est assez saine.»

Saine, sans doute, mais qui expose également les écrivains à des attaques directes auxquelles ils ne sont pas habitués. «La question du trolling, ces lecteurs qui critiquent violemment les auteurs, est liée à la pulvérisation de la ligne qui sépare auteur et lecteur», complète le sociologue. A peine arrivé sur le réseau, le «délicat» David Foenkinos est déjà publiquement attaqué sur ses fautes d’orthographe : «Vous ne savez pas écrire “Houellebecq“, ni “écrivain” dans votre biographie ; pour un auteur, c’est pas banal.» Un accueil rugueux qui en a conduit un autre, Yann Moix, à quitter définitivement le site qu’il a qualifié de «dépotoir de phrases».

Dans Milenio (Mexique, 06 juillet 2012)

Le quotidien mexicain Milenio publie une intervention d’Antulio Sánchez inspirée par l’analyse de la signification socio-politique des tweet clash du sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

El debate electoral y las campañas fueron seguidos por miles de usuarios de las redes sociales que apoyaron a sus respectivos candidatos. Pero a lo largo de las semanas de campaña sobresalieron los ríspidos intercambios entre usuarios, propios de lo que se designa como los tuit clash, un fenómeno caracterizado por la confrontación de las personas en Twitter y que sube de tono en cuestión de minutos.

El tuit clash es un fenómeno en donde se mezclan actitudes ancestrales de las disputas humanas. Para Antonio Casilli (www.bodyspacesociety.eu/) este fenómeno es la continuación de una vieja práctica con nuevas interfaces. Ya en el pasado se conocieron en internet los flame wars. Esto fue propio de la última década del siglo XX, cuando en los foros de Usenet un usuario lanzaba un mensaje provocativo o abordaba un tema polémico que se hacía con el fin de generar discusión, y daba paso a respuestas insultantes. A diferencia del pasado en donde se argumentaba con intercambio de respuestas extensas, que incluso podían durar semanas o meses, hoy en las redes sociales son mensajes cortos y de poca duración.

En México hemos visto en estos días, y semanas atrás, que un sector de usuarios se embarca en una participación apasionada en las discusiones políticas, en donde los consabidos bots y troleros pasan a ser parte del coro que da vida a una especie de tragedia griega.

Lo importante de lo que refiere Casilli, y a la luz del entorno poselectoral que vivimos, es que las democracias contemporáneas se basan en la idea de consenso, en los acuerdos y diálogos razonados. Pero desde su punto de vista los tuits dan paso fácilmente a la confrontación, derivado de que las personas buscan, a través de la expresión de sus pasiones personales y políticas, convencer a otros de los méritos de sus posiciones o creencias.

Todo eso, por lo tanto, da lugar a una manifestación de desacuerdos que tiende a potenciarse con los hashtag, que lo mismo ayudan a describir temas que a generar adherencias, reforzar una postura o destacar atributos políticos. Pero al final el reenvío de los mismos sirve para avivar y multiplicar la disputa o confrontación, y en donde se percibe que el convencimiento arrolla cualquier ingrediente de razón y se nutre gracias a una cascada de dogmas.

Etude sur la censure des médias sociaux et les émeutes : la presse internationale en parle

Le sujet est plus que jamais d’actualité : à l’occasion des Jeux Olympiques de Londres, les autorités britanniques redoutes des nouvelles explosions de violence comparables aux émeutes qui ont secoué l’Angleterre l’année dernière. L’étude d’Antonio Casilli et Paola Tubaro sur la censure du Web en cas de violence civile, initialement publiée en 2011 sous forme de blog, vient de paraître dans le numéro 115 de la revue Bulletin of Sociological Methodology sous le titre  “Social Media Censorship in Times of Political Unrest – A Social Simulation Experiment with the UK Riots”.

Les médias internationaux ont relayé l’information. Ici de suite, les liens vers les sources principales.

Communiqué de presse SAGE publications

CNN

The Daily Mail

Yahoo Lifestyle

Technorati

The Times of India

GigaOM

Buzzfeed

Sify News

Phys.org

Science Daily

Zee News TV India

Oman Tribune

The Free Library

L’atelier

Sciencenewsline

Le Soir d’Algérie

Tempo Indonesia

Sur le blog d’Antonio Casilli Bodyspacesociety une version préprint de l’étude est disponible, ainsi qu’à d’autres informations de référence (vidéo, simulations, bios des auteurs, etc.)

Dans Huffington Post (Québec, 5 juillet 2012)

Le quotidien en ligne Huffington Post (édition du Québec) publie une intervention du journaliste de Radio Canada Florent Daudens inspirée par l’analyse de la signification socio-politique des tweet clash du sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Les oiseaux de nuit ont pu assister hier soir à un vif échange sur Twitter entre la présidente de la Fédération universitaire du Québec, Martine Desjardins, et le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, au sujet des droits de scolarité.
À l’origine de ce « tweet-fight », ce message de M. Legault, qui a réanimé son compte Twitter depuis quelques jours : « Lorsqu’on compare avec le financement des universités du reste du Canada et qu’on voit des professeurs quitter, il y a sous-financement ».

La réplique de Mme Desjardins n’a pas tardé, celle-ci estimant qu’il s’agit d’une analyse réductrice. Les deux ont ensuite devisé pendant deux heures, parvenant difficilement à trouver un terrain d’entente.

Mal financement contre sous-financement

La présidente de la FEUQ a martelé la position qu’elle défend depuis le début du conflit étudiant : les universités sont mal financées, et non sous-financées. Elle estime pouvoir dégager des économies de 189 millions de dollars avec une meilleure gestion.

De son côté, François Legault soutient que les universités québécois accusent un écart de financement d’au minimum 500 millions de dollars avec celles du reste du pays. Il propose que les étudiants paient 200 millions et les contribuables 300.

Martine Desjardins a émis des doutes sur ces chiffres, affirmant au passage que les étudiants ont déjà dû payer 350 millions de plus ces cinq dernières années. Elle reproche au chef de la CAQ de ne pas disposer d’objectifs précis, notamment au niveau du nombre de professeurs nécessaires. « Pourquoi ne pas définir vos objectifs? Vérifier la gestion des universités? Au lieu d’augmenter l’endettement des étudiants et des familles? », écrit-elle.

Au fil de cet échange qui est resté courtois, chacun a tenu sa ligne; François Legault a insisté sur la comparaison avec les universités canadiennes, Martine Desjardins sur l’évaluation de la gestion des universités québécoises.

Toutefois, cette discussion publique a permis à plusieurs internautes de prendre connaissance des arguments des deux protagonistes, voire même de participer aux échanges.

« Une théatralisation du débat démocratique »

On a d’ailleurs pu assister à plusieurs échanges sur Twitter de la classe politique québécoise ces dernières semaines. Une tendance que l’on peut voir dans de nombreux pays, surtout dans l’arène politique. Interrogé à ce sujet par Owni, le sociologue Antonio Casilli estime que « le tweet clash théâtralise un débat démocratique en pleine mutation ». « Tout le jeu politique moderne est basé sur la recherche de consensus et de compromis. De ce point de vue, le tweet clash peut être lu comme la résurgence d’une forme de discorde démocratique ancienne », estime le sociologue.

Les différents partis politiques québécois tentent d’ailleurs de se positionner sur les réseaux sociaux alors que les rumeurs d’élections s’intensifient. À l’instar de François Legault qui s’est remis à twitter dernièrement, l’équipe du premier ministre Jean Charest a investi Facebook. Ce dernier n’est pas sur Twitter, tout comme Pauline Marois, tandis qu’Amir Khadir s’y trouve aussi.

Sur InternetActu (05 juillet 2012)

Le site d’information InternetActu publie une analyse d’Hubert Guillaud sur le numérique, ses partisans et ses détracteurs. Le travail sur la conflictualité en ligne du sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil), y est cité en exemple de la recomposition du débat démocratique du Web.

L’internet est la nouvelle chienlit de notre société, disait ironiquement Jean-Marc Manach. Il cristallise tous les maux de notre société, parce qu’il les révèle, les fait saillir, resurgir… Partout, il est le bouc émissaire, car il semble le symptôme d’une transformation qu’on ne comprend pas. Et qu’il est plus facile d’accuser l’internet que de comprendre ce que l’internet renforce, souligne, surligne, déforme dans l’évolution actuelle de nos sociétés.

Le sociologue Antonio Casilli explique bien ce problème quand il revient sur le phénomène des Trolls, que le gouvernement britannique se propose de poursuivre. Chercher à punir les perturbateurs de communautés, ces commentateurs impolis voire grossiers, montre bien une fois encore qu’on a du mal à comprendre le phénomène social (plus qu’individuel) en cours. “Les gens trollent pour provoquer des modifications dans le positionnement structurel des individus au sein des réseaux”, rappelle le sociologue, afin de remodeler les hiérarchies établies dans les forums ou les médias en ligne. Contrairement à ce que l’on pense facilement en accusant le côté désinhibant des médias électronique, la bêtise de nos contemporains ou la baisse générale du niveau d’éducation et appelant à mettre fin à l’anonymat en ligne via des lois liberticides pour résoudre le problème, les Trolls ont une fonction particulière très précieuse, rappelle-t-il : ils aident les communautés en ligne à évoluer. “Le trolling ne doit pas être considéré comme une aberration de la sociabilité sur l’internet, mais comme l’une de ses facettes”, rappelle Casilli. En fait, la radicalité des Trolls est une réponse aux blocages des formes d’expression publiques, qu’elles soient en ligne ou pas. On s’énerve pour affirmer son propos, pour le faire exister, pour se faire entendre des autres. “L’existence même des trolls montre que l’espace public est largement un concept fantasmatique”, insiste avec raison le sociologue. Les Trolls (réels comme virtuels) risquent surtout de se développer à mesure que le dialogue démocratique se ferme ou se recompose. A mesure qu’on l’utilise, internet recompose les objets mêmes sur lesquels il agit, parce que la technologie porte en-elle des valeurs et pesanteurs qui lui préexistaient et qui sont loin d’être compatibles avec les promesses d’une société connectée idéale.

Hartmut Rosa dans son livre, Accélération, une critique sociale du temps, ne dit pas autre chose. Selon lui, la technique n’est pas la seule responsable de l’accélération du temps que nous vivons. Notre désir d’autonomie (ce “projet de la modernité”) est également en cause. Est-ce tant la technique qui nous aliène, que la façon dont nous nous l’approprions (et donc la façon dont nous la façonnons dans ce but) ? Est-ce la technologie ou l’idéologie technicienne chère à Jacques Ellul que nous avons fait nôtre, la cause première, comme le dénonce TechnoLogos ? Est-ce la technique ou la “la quête d’une (illusoire) efficacité maximale en toute chose” ? Est-ce la technologie ou les valeurs avec lesquelles elle est conçue (le travail, l’utilité, l’efficacité, la gestion, la croissance économique, le progrès…) qui sont en cause ? Le décalage ne vient-il pas du fait que les valeurs du système technicien ne sont pas nécessairement en adéquation avec les valeurs communautaires que porte internet (connaissance, fluidité, cherchabilité, égalité d’accès…), comme l’expliquait Dominique Cardon ?

La prochaine fois que vous entendrez quelqu’un s’en prendre au numérique – tout comme son exact inverse, ceux qui proposent un outil numérique pour résoudre un problème -, demandez-vous plutôt pourquoi il le fait, ce que sa proposition a pour conséquence et toujours, essayez d’extraire le numérique du problème. Vous verrez alors que bien souvent le numérique n’en fait partie qu’à la marge. Comme le disait Jacques-François Marchandise, “pour comprendre la plupart des domaines de notre monde, le numérique n’est souvent pas la bonne entrée, en tout cas il n’est jamais la seule”. Plus qu’une rupture, plus qu’une révolution, l’internet dessine bien souvent une continuité… qui a finalement plus tendance à renforcer les maux dont nos sociétés souffraient déjà qu’à leur trouver des solutions magiques.

Sauf que demain, il n’y aura pas de solutions aux problèmes que l’internet accentue… sans l’internet.

Censorship and social media: some background information

[Update July 27, 2012: so far, our study has been featured in a number of media outlets in UK, India, Algeria, US, Oman, Indonesia… These are just the ones we know of: The Daily Mail, Yahoo Lifestyle, CNN, Technorati, The Times of India, GigaOM, Buzzfeed, National Affairs, Sify News, Phys.org, Science Daily, Zee News TV India, Oman Tribune, The Free Library, L’atelier, Sciencenewsline, Le Soir d’Algérie, Tempo Indonesia. We’re particularly impressed by this response, and would like to thank the researchers, journalists and activists who’ve been spreading the news.]

Hello everyone,

You have probably reached this page after reading in the international press about our study “Social Media Censorship in Times of Political Unrest – A Social Simulation Experiment with the UK Riots” (published in the journal Bulletin of Sociological Methodology, vol. 115, n. 1). This post will provide some background information.

Read the study

First of all, if you are interested in reading the paper, you can purchase the article from SAGE website. Anyhow, here’s a preprint version you can download for free. Just saying.

About the authors

If you are looking for the authors’ bios:

 Antonio A. Casilli, is an associate professor of Digital Humanities at Telecom ParisTech and a researcher in sociology at the Edgar Morin Centre (EHESS), Paris, France. He is the author of the social media theory book Les liaisons numériques [Digital Relationships], published by the Editions du Seuil. He blogs at Bodyspacesociety.eu, tweets as @bodyspacesoc, and is a regular commentator for Radio France Culture. You can contact him here.

 Paola Tubaro, is a senior lecturer in Economic Sociology at the Business School of the University of Greenwich, London, UK, and associate researcher at the Centre Maurice Halbwachs (CNRS) Paris, France. Economic sociologist with interest in social networks and their impact on markets, organisations, consumer choice and health, her research also includes work in the philosophy and methodology of economics and social science. Her blog is here, plus you can contact her here.

The story, so far

In the wake of the August 2011 UK uprisings, Casilli and Tubaro built a rapid response study. Using computer simulation, the investigators showed that any move by the government to censor social media was likely to result in more civil unrest, higher levels of violence, and shorter periods of social peace. Released as a joint post on their websites and subsequently available as a working paper on SSRN (Social Science Research Network), the study was widely shared online and in the press.

Such an enthusiastic response prompted them to continue their research. Presently, they are launching follow-ups and new developments, both empirical and theoretical, in other European and MENA countries. They are members of the scientific committee of Just-In-Time Sociology (JITSO), an EPFL Geneva-based program gathering international researchers that try “to understand social phenomena as they unfold”.

TEDx talk, simulations and other stuff

If you want to watch a video presentation of the study, here’s Antonio Casilli’s TEDx talk (in French, with English subtitles), “Studying censorship via social simulation”, TEDx Paris Universités, May 19, 2012.

If you want to know more about our ongoing research, Internet Censorship and Civil Unrest (ICCU), here’s the project’s wiki.

If you want to download the computer simulation, here you’ll find a detailed technical description of the model. The model file (Netlogo and Java applet versions) is available here . You should: 1) unzip and save all three files in the same directory; 2) either open the .nlogo file from your computer in Netlogo, or open the .html file in your browser).

Enjoy!

"Où est passée la biopolitique ?" (France Culture, La Grande Table, 03 juillet 2012)

Podcast de La Grande Table, le magazine culturel de la mi-journée sur France Culture, sur les transformations récentes de la notion de biopolitique popularisée par Michel Foucault et Giorgio Agamben. Pour en parler, sur le plateau de Caroline Broué, Mathieu Potte-Bonneville, François Cusset et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Pour écouter d’autres podcast d’Antonio Casilli sur France Culture.

Les questions de santé ont-elles reculé dans le débat public ? A travers les discours récents de responsables politiques, nous nous interrogeons sur les liens entre les politiques publiques sur la drogue et la prostitution, et leur application dans le champ social et sanitaire. La santé publique, victoire ou recul de la “biopolitique”, comme l’appelait Foucault ?

François Cusset : “Le thème foucaldien lié à la biopolitique, selon lequel l’Etat s’occupe trop du bien-être des corps, évolue : l’Etat choisit en effet des politiques répressives, tandis que la prise en charge de la santé est moins le fait de l’Etat que de l’extension des logiques de marché à tous les aspects de la santé…”

Matthieu Potte-Bonneville : “Le citoyen est pris dans une double pince, entre l’hégémonie des discours sur la santé, et la faiblesse des moyens mis en oeuvre pour la santé publique. L’aspect de santé publique comme hygiénisme individualisant semble l’emporter sur l’idée que les questions de santé publique sont des vecteurs de politisation : le fond de l’affaire est social.”

Antonio Casilli : “La biopolitique ne recule pas : elle se reconfigure et devient plus complexe. Alors que le risque continue d’être produit collectivement, l’individu est seul pour le gérer. La politique de santé s’installe dans des réglages que les individus sont obligés de faire eux-mêmes, les politiques d’incitation par exemple…”

"Tweetclash : Nadine Morano contre Sophocle" : interview d'Antonio Casilli (Owni, 02 juillet 2012)

Quel est le sens caché du tweetclash ? Une simple version 2.0 des flamewars des forums de discussion des années 1990 ou bien une “tragédie grecque en 140 caractères” ? Sur Owni, Claire Berthelemy et Pierre Leibovici interviewent Antonio Casilli, sociologue et auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Editions du Seuil).

Guerre et tweet

Sur la planète Twitter, surgissent de temps à autre des conversations qui dérapent ou des affronts interpersonnels qui prennent les dimensions d’une guerre. Jamais étudiés jusqu’à présent, ces tweet clashes sont pourtant de plus en plus médiatisés. Dans un entretien avec Owni, le chercheur Antonio Casilli identifie le sens caché de ces joutes publiques.

Twitter, un îlot de partage, de pacifisme et de bienfaisance… Cette conception idéale du réseau de micro-blogging semble avoir fait son temps. Car, de plus en plus, le gazouillis s’énerve.

19 mai 2012, Audrey Pulvar interroge Harlem Désir sur le plateau de l’émission de France 2 On n’est pas couché. Le journaliste Jean Quatremer1 lance alors une courte joute verbale sur Twitter :

Clairement mise en cause, Audrey Pulvar réagit. S’entame alors une guerre entre les deux twittos, sous les yeux de leurs quelques milliers de followers.

Autre exemple ce lundi 2 juillet, et dans un autre registre, avec les journalistes Denis Brogniart et Pierre Ménès. Les deux hommes s’affrontaient sur l’annonce du départ de Laurent Blanc de son poste de sélectionneur des joueurs de l’équipe de France après une provocation de Pierre Ménès:

Le débat est suivi par des milliers d’internautes qui défendent tour à tour l’un ou l’autre des protagonistes. Bienvenue dans l’ère du tweet clash ! Un phénomène qui voit s’affronter deux abonnés sur Twitter en seulement quelques minutes et, conformément à la règle, pas plus de 140 caractères. Un phénomène, aussi, qui mélange les codes ancestraux de la conflictualité humaine à ceux du réseau des réseaux. Un phénomène, surtout, qui n’a jamais eu droit à une analyse sociologique. Antonio Casilli2, maître de conférence à l’Institut Mines Telecom et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), déchiffre le phénomène. Interview pacifique.

Est-ce que tout est nouveau dans le tweet clash ?

Pas tout à fait. D’après moi, le tweet clash s’inscrit dans la continuité de ces formes de conflictualité en ligne que l’on connait depuis les années 1990. A une époque, on les appelait les “flame wars”, ces batailles entre internautes sur des vieux forums de discussion ou sur Usenet. Un utilisateur provoquait un groupe d’autres utilisateurs, qui à leur tour argumentaient par de longues réponses. L’échange pouvait durer des jours, voire plusieurs mois.

J’aurais tendance à dire que les tweet clash sont une sorte de réédition de ces “flame wars”, mais à une cadence beaucoup plus rapide. Et avec beaucoup moins d’asymétrie entre locuteurs, bien sûr. Seulement quelques minutes, parfois quelques secondes, entre deux tweets… Le temps de latence entre le message agressif de celui qui lance l’attaque et la réponse de son interlocuteur se fait bien plus court et la bataille elle-même est plus brève. C’est en cela que le tweet clash est un fait inédit. Sa temporalité est plus dense, plus concentrée.

D’un autre côté, on n’a pas affaire au même public qu’il y a vingt ans…

Exactement ! La question du public est très intéressante, mais je l’élargirais même à celle des acteurs sociaux qui composent le cadre de l’affrontement entre deux personnes sur Twitter.

Le tweetclash est une tragédie grecque où les répliques font à peine 140 caractères. Tous les éléments du genre tragique sont réunis : un protagoniste, un “antagoniste”, un chœur et, enfin, le public. Le chœur, c’est un noyau d’individus qui permettent de comprendre pourquoi deux personnes se disputent, ils donnent les éléments de contexte du tweet clash.

Le meilleur exemple de contextualisation d’une dispute sur Twitter, c’est le hashtag. Il est avant tout une étiquette posée sur une conversation, un titre qui permet de la décrire et en même d’en agréger les morceaux. Mais il sert aussi pour donner le pouls de la situation ou pour faire des petits apartés sans pour autant interrompre le flux du tweetclash. Exactement comme le chœur des tragédies de Sophocle, les twittos résument, glosent, prennent parti…

Ceci est aussi lié à la taille d’un média généraliste comme Twitter, où le public est bien plus large que du temps des “flame wars”. Et à la “structure de son graphe social“, qui rappelle un archipel de petits groupes de locuteurs. Malgré la promesse commerciale de “pouvoir poser des questions à n’importe quelle personnalité sans intermédiation”, la grande masse des usagers est davantage en position d’observation. Mais quand les passions humaines se déchaînent le temps d’un tweetclash, ils sortent de cette passivité.

Comment expliquez-vous cette passion des uns pour le conflit avec les autres ?

Et bien justement, c’est un mécanisme qui permet de ne pas être des simples spectateurs. Pendant un affrontement en ligne, les usagers qui composent le public sont animés par l’envie d’être parties prenantes. Parce qu’il ne s’agit pas tant d’un “conflit” mais de “discorde”. La discorde, c’est un moyen de jouer du fait d’être dans l’espace public. Dans la Grèce antique, la discorde était une des forces motrices de la démocratie. Ses manifestations – parfois destructrices – permettaient de faire venir à la surface des tensions et des intérêts qui seraient restés autrement inexprimés. Et, dans la forme idéale de la démocratie athénienne, cette discorde s’harmonisait pour finalement donner une polyphonie politique.

Dans nos démocraties contemporaines, la situation est tout à fait différente : on n’assume pas que quelqu’un puisse être en désaccord avec nous. Tout le jeu politique moderne est basé sur la recherche de consensus et de compromis. De ce point de vue, le tweet clash peut être lu comme la résurgence d’une forme de discorde démocratique ancienne. Ce qu’on cherche avant tout, à travers l’expression des passions politiques et personnelles, c’est à convaincre les autres du bien-fondé de nos positions. Tout cela aboutit donc à une manifestation – du désaccord – qui aide à caractériser les positions parfois trop floues des hommes politiques.

Pour vous, en fait, le tweet clash est une sorte de continuité du débat démocratique sur le réseau ?

Je dirais plutôt que le tweet clash théâtralise un débat démocratique en pleine mutation. Aujourd’hui, le maître-mot est transparence. Et les hommes politiques utilisent le tweet clash comme une occasion pour donner l’impression d’être transparents dans leurs désaccords, et ainsi multiplier leurs chances de se démarquer.

Soyons clairs, Twitter est bien plus passionnant et dramatique, au sens grec du terme, qu’une émission sur La Chaine Parlementaire. Lors d’un tweet clash, on met en scène les passions et on personnalise donc sa position sur tel ou tel enjeu politique. Exemple, Nadine Morano twitte une énorme bêtise et un opposant réagit. Il y a une sorte de déclaration de guerre mais aussi un objectif : celui qui déclare la guerre veut avoir raison. À l’issue de cette guerre, le public et les médias, qui créent une caisse de résonance, vont décider qui des deux avait raison.

Bien sûr, il y a un écho différent entre un clash qui concerne des personnes médiatisées ou publiques et celui qui concerne le citoyen lambda. Pour ces derniers, les échanges restent plus ou moins en ligne le temps nécessaire pour que Twitter se renouvelle et fasse disparaître ces propos. Dans le cas des célébrités, l’issue est autre : par exemple, l’auteur décide de retirer ce qu’il avait dit au départ du clash. Le fait qu’un message soit retiré ou pas est un très bon indicateur de l’issue d’un tweetclash. Le message initial représente le casus belli, l’acte de guerre. Le fait de le retirer équivaut à une forme de reddition. Il signe la défaite.

En même temps, tout le monde n’a pas envie de montrer ses opinions politiques sur le réseau. Est-ce qu’on peut faire des portraits-type de tweetclasheur ?

J’aurais plutôt tendance à classer les individus qui s’adonnent à des tweet clash sur la base des stratégies qu’ils mettent en place. Il ne faut pas croire que le côté passionnel du tweet clash évacue complètement les éléments de rationalité stratégique. Au contraire, ces affrontements sont très raisonnés, moins improvisés qu’on ne le croie. Évidemment, il y a des moments où ça dérape, où l’action échappe aux interlocuteurs, mais on doit tout de suite supposer qu’il y a derrière ce dérapage une intentionnalité et une rationalité de l’acteur.

Dès lors, pour faire une sorte de typologie des tweet clasheurs, il faut s’interroger sur leur réseau personnel respectif, sur leur cercle de connaissances, c’est-à-dire sur leurs followers et ceux qu’ils “followent”.

Quelqu’un dont le réseau est très peu développé, qui suit et est suivi par des personnes de son milieu social, ira plutôt chercher le clash avec quelqu’un qu’il ne connaît pas. Dans ce cas, on est plutôt dans une logique de trolling, de l’inconnu qui vient vous déranger avec des propos forcément décalés parce qu’il est traversé par des préoccupations personnelles ou sociales qui sont éloignées des vôtres.

Mais d’autres usagers affichent des comportements, et des structures relationnelles, très différents. Si on regarde le profil d’un homme politique ou d’une personnalité médiatique, on se retrouve face à quelqu’un qui a un réseau forcément très élargi, avec des personnes qu’il ne “maîtrise” pas toujours. Il n’a pas besoin de s’éloigner pour rechercher le clash : ceci aura lieux chez lui, pour ainsi dire, dans son cercle de followers. Ces clashs sont différents, ils sont plutôt des prolongements d’échanges professionnels, à la limite. Mais ils ne sont pas avec des inconnus, ils sont avec des personnes avec qui ils partagent un certain point de vue, un noyau de compétences, de valeurs…

C’est pourquoi, si Audrey Pulvar s’en prend à un journaliste de Libération, le tweet clash aura lieu entre deux personnes qui se connaissent et dont les cercles de connaissances se recoupent. Le tout est basé sur un type de stratégie affichée. Alors que dans le type d’attaque qui se fait entre deux personnes n’appartenant pas à la même sphère ou au même réseau, il y a forcément un élément d’impertinence, de manque de conscience des enjeux de la dispute.
En parlant d’homme ou de femme politique, comment être sûr de l’identité de celui qui prend part à un tweet clash ?

En fait, il faut toujours se poser cette question : “qui parle au travers d’un fil Twitter” ? La question peut paraitre simple. Mais, sur Twitter, on part du principe que malgré le grand nombre de pseudonymes et de noms fantaisistes, les personnes qui parlent sont celles qu’elles disent être.

Les interactions sur Twitter valident l’authenticité de celui qui parle. Même les comptes officiels de certains personnages publics qui sont alimentés par des équipes de comm’, doivent inventer des stratagèmes pour vaincre la méfiance, pour induire une “suspension volontaire de l’incrédulité” des autres usagers. Par exemple, sur le compte du président des Etats-Unis, il est précisé que les tweets signés “BO” sont rédigés par Barack Obama en personne.

Le tweet-clash participe de cet effet d’authenticité au fur et à mesure que l’on s’engage dedans. C’est un outil de validation de l’identité de celui qui twitte. On a la preuve que c’est bien lui qui parle. Sa passion constitue le gage de son identité.

À qui feriez-vous plus confiance : à quelqu’un dont le discours reste toujours figé, ou bien à quelqu’un qui de temps à autre se laisse aller à une saine colère ? Je ne serais pas surpris qu’on révèle, d’ici quelques années, que certains clashs étaient des mises en scène pour valider les identités des propriétaires de leurs comptes Twitter, pour les montrer sous un jour plus humain, plus accessible.