Monthly Archives: October 2014

Programme 2014/15 de mon séminaire ‘Etudier les cultures du numérique’ #ecnEHESS

ENFIN ! Pour la septième année consécutive (et après avoir risqué d’être annulé d’office par l’EHESS) (et après avoir pris un retard fou), le séminaire Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques (#ecnEHESS) reprend pour l’année universitaire 2014/15. Pour récompenser votre patience, le programme de cette année réserve plus d’une surprise.

semEHESS14

Comme toujours les inscriptions sont ouvertes aux auditeurs libres : il suffit d’envoyer un petit mail gentil via ce formulaire. La première séance aura lieu le mercredi 19 novembre 2014. Les séances successives, le troisième lundi de chaque mois de 17h à 20h. NB: le seminaire a lieu à l’EHESS, 105 bd. Raspail, de 17 à 20h. Pour les dates et les salles, se référer à la page de l’enseignement.

Programme “Etudier les Cultures du Numérique”

 

  • Mercredi 19 novembre 2014
    Antonio Casilli (Télécom ParisTech/EHESS)
    “Le trolling en tant que ‘travail numérique'”
    salle 2, 17h-20h

 

  • Lundi 15 décembre 2014
    Irène Bastard (Telecom Paristech) et Christophe Prieur (Univ. Paris Diderot)
    “Algopol : une expérimentation sociologique sur Facebook”
    salle 2, 17h-20h

 

  • Lundi 19 janvier 2015
    Xavier de la Porte (Rue89)
    “Radio et cultures numériques : Retour sur l’expérience ‘Place de la Toile'”
    salle 5, 17h-20h

 

  • Lundi 16 février 2015
    Benjamin Tincq (Ouishare) et Paola Tubaro (University of Greenwich/CNRS)
    “L’économie collaborative : promesses et limites”
    salle 5, 17h-20h

 

  • Lundi 16 mars 2015
    Ksenia Ermoshina (Mines ParisTech) et Rayna Stamboliyska (IRIS Sup’)
    “Internet et militance en Russie”
    salle 5, 17h-20h

 

  • Lundi 18 mai 2015
    Boris Beaude (EPFL)
    “Numérique : changer l’espace, changer la société”
    salle 5, 17h-20h

Une Magna Carta (italienne et bientôt européenne) pour Internet

Le 16 juin 2014 Laura Boldrini, présidente de la Chambre des Députés italienne, a décidé de créer une Commission “d’étude sur les droits et devoirs sur Internet” pour marquer le semestre italien de la Présidence du Conseil de l’Union Européenne. La Commission, dirigée par Stefano Rodotà et composée de représentants des forces politiques en présence et de personnalités de la société civile, a eu comme mission de rédiger une ‘Magna Carta’ de l’Internet (je sais, c’est la lubie de Tim Berners-Lee, en bon anglais…).

Lundi 13 octobre la version 1.0 de ce document a été publiée par la Chambre des députés. Pour l’instant, je vous livre la version française du texte, telle quelle (les versions italienne et anglaise sont aussi disponibles) :

[pdfjs-viewer url=http://www.casilli.fr/wp-content/uploads/2014/10/declaration-des-droits-sur-internet.pdf viewer_width=450px viewer_height=550px fullscreen=true download=true print=true openfile=false]

  1. L’ambition déclarée de délimiter les droits et les libertés fondamentales sur Internet rapproche ce document de la récente Etude 2014 du Conseil d’Etant français. Malheureusement le titre choisi a provoqué quelques malentendu : la presse internationale a cherché à décrédibiliser cette déclaration en l’assimilant à des projet de lobbyistes des industries culturelles telle la “Déclaration des Droits de l’Homme numérique” issue du Forum d’Avignon.
  2. On voit très clairement l’empreinte de Stefano Rodotà, ses thèmes préférés, ses réflexes de militant de la première heure pour les libertés informationnelles ; on retrouve cette approche “historique” de la vie privée envisagée comme quelque chose à protéger sic et simpliciter (ce qui à mon sens fait fi des aspects de négociation collective de la privacy qui deviennent prédominants dans le contexte du numérique).
  3. Points forts : l’alignement de l’Italie sur les positions françaises et européennes sur “l’autodétermination informationnelle” et la neutralité du Net.
  4. Points “meh” : droit à l’oubli envisagé exclusivement comme un droit au déréférencement (quid des dimensions socio-techniques de l’oubli des données, et non seulement du filtrage des contenus par les moteurs de recherche ?), mais surtout toute la partie sur l’anonymat (à mon sens, fruit de compromissions qui ont complètement désamorcé la prise de position forte initialement envisagée : admettre le droit à la communication anonyme et pseudonyme comme vecteur de démocratie et non pas comme simple cible polémique permanente d’une croisade morale, dont nous connaissons par coeur les arguments de prédilection).
  5. Très intéressant, et à développer : le droit à l’éducation.
  6. Absences remarquables : zéro sur le digital labor, zéro peu sur la gouvernementalité algorithmique 1.

A suivre, avec beaucoup d’intérêt parce que prometteur et encore incomplet. Justement, cette déclaration n’est que le kickoff d’un projet plus ambitieux. Dans les prochains jours, les membres des parlements de 27 États membres de l’UE vont se pencher sur ce draft pour le développer.  Une consultation publique, proche de celle déjà lancée en France par le Conseil National du Numérique, va être ouverte le 27 octobre et restera en place pendant quatre mois.

  1. Federico Morando, directeur de la recherche au Nexa Center for Internet & Society du Politecnico de Turin, me signale que le passage sur les “Traitements automatisés” peut être à juste titre considéré comme pertinent à la gouvernementalité algorithmique : “Aucun acte, mesure judiciaire ou administrative, décision de toute manière destiné e à peser significativement sur la sphère personnelle , ne peut être basé uniquement sur un traitement automatisé des données à caractère personnel visant à définir le profil ou la personnalité de la personne concernée.” Je rejoins sa remarque, et j’ajoute que – pour compléter cette section – il serait envisageable de développer trois aspects : 1) étude de comment et dans quelle mesure les algorithmes tendent à remplacer des procédures consensuelles de prise de décision politique ; 2) modalités envisageables de réglementation des algorithmes ;  3) analyse des stratifications, au sein des procédures automatisées de calcul mêmes, de normes morales, culturelles et politiques des concepteurs de algorithmes mêmes.

La fausse vie privée du réseau Ello : Télérama interviewe Antonio Casilli (2 oct. 2014)

Sur Télérama du 2 octobre 2014, le journaliste Olivier Tesquet interviewe le sociologue Antonio Casilli sur la drôle de notion de vie privée prônée par un nouveau média social à la mode : Ello.

Ello : un réseau social protecteur de la vie privée, est-ce vaiment possible ?

L’actu Médias / Net | Un nouveau “rival” de Facebook arrive sur le Net, il s’appelle Ello, et n’est pas à une contradiction près. Le sociologue Antonio Casilli répond à nos questions sur ce réseau.

Le
Olivier Tesquet

Illustration Coloranz d'après Ello avec The noun project
Illustration Coloranz d’après Ello avec The noun project

Ello, is it me you’re looking for ? Depuis quelques jours, la presse, les chercheurs et les internautes zyeutent le décollage d’Ello, un nouveau réseau social racé et épuré, autoproclamé rival de Facebook (sans le nommer). Garanti sans pub, fonctionnant sur un principe d’options payantes (que vouz vouliez des emojis supplémentaires ou le droit à la tranquillité absolue), il entend protéger ses utilisateurs contre les assauts du grand capital : « une plateforme où les interactions et les relations entre les gens ne sont pas considérées, ni conçues, à des fins mercantiles », si l’on en croit Paul Budnitz, son créateur, interviewé par Pixels.

« You are not a product », claironne-t-il dans un manifeste, comme une référence explicite à cette antienne rabâchée sur le Web : « Si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Un peu dépassé par l’agitation autour de son bébé, l’entrepreneur américain revendique jusqu’à 45 000 demandes d’inscription par heure (le site n’existe encore qu’en version bêta sur invitation). Et soulève presque autant de questions, tandis que certains pointent déjà la duplicité d’Ello en l’accusant de mentir sur ses intentions. Pour y voir plus clair, nous avons sollicité Antonio Casilli, sociologue des réseaux et enseignant à Télécom ParisTech.

A qui Ello s’adresse-t-il ?
Il y a une énorme visibilité des utilisateurs LGBT, qui se sont inscrits parce qu’Ello autorise les pseudonymes. C’est une communauté à l’avant-garde de tout un ensemble d’usagers qui partagent les mêmes préoccupations et les mêmes intérêts, mais elle réagit davantage dans l’urgence : plus que d’autres, elle a subi les dérives des grands réseaux sociaux généralistes, qui ont lancé la guerre au pseudonymat à travers leur politique dite « des vrais noms » [au terme de discussions tendues avec des associations transsexuelles aux Etats-Unis, Facebook vient d’ailleurs d’assouplir son rapport aux pseudonymes, ndlr].

Ello est-il capable de tenir ses promesses, notamment en matière de protection de la vie privée et de refus de la publicité ?
La plateforme porte d’abord une énorme contradiction dans sa politique vis-à-vis des données d’utilisateurs : on leur garantit que leurs données ne seront pas utilisées à des fins publicitaires, tout en leur précisant dans les conditions d’utilisation que celles-ci pourront être partagées avec des entreprises tierces à l’avenir.

Si c’est un réseau qui n’est pas basé sur la pub, c’est qu’il envisage le freemium, c’est à dire que les utilisateurs payants maintiennent la gratuité de l’ensemble, comme sur le réseau LiveJournal par exemple [Ello a déjà listé certaines de ses futures options payantes, notamment celle qui permettra de bénéficier… d’un compte privé, ndlr & CQFD]. Dans ces conditions, la vie privée n’est plus monétisée, mais elle devient payante, ce qui n’est guère différent.

C’est l’idée de la « privacy as a service », dérivée du « software as a service », selon laquelle un internaute ne dispose d’aucune donnée sur son ordinateur mais doit se connecter à un service pour y accéder. Si on file la métaphore jusqu’à la vie privée, cela veut dire qu’elle n’est plus entre vos mains, mais qu’elle est nichée sur une plateforme, en l’occurrence Ello. C’est une forme de privatisation de la vie privée, puisqu’une entreprise possède de facto un droit de propriété sur vos données.

Au sujet de la vie privée, vous écrivez que ce doit être une négociation collective, fruit d’un rapport de forces entre les internautes et les plateformes. Ello la rend-elle impossible ?
Ello propose une négociation selon ses propres règles, alors même qu’elle se collectivise de plus en plus. Prenez l’exemple de Max Schrems, cet étudiant autrichien qui est parti en guerre contre Facebook. Il a agrégé autour de lui plusieurs groupes, à tel point qu’en août, sous la bannière « Europe vs Facebook », il a lancé un recours collectif avec 25 000 internautes, le tout financé par un cabinet d’avocats allemand.

Aujourd’hui, Ello se trouve un peu dans la même situation que Facebook en 2006, lors de l’introduction du fil d’actualités, le fameux newsfeed. A l’époque, les protestations avaient été si vives que la chercheuse danah boyd avait parlé de « déraillement de la vie privée ». Si nous prêtons tant d’attention aux tâtonnements d’Ello, c’est qu’à la différence d’autres réseaux sociaux alternatifs tels que Diaspora ou App.net, ils ont lieu en pleine lumière, à la vue de tous.