cnrs

Grand entretien dans le Journal du CNRS (24 avr. 2020)

Dans le Journal du CNRS, une interview avec Lydia Ben Ytzhak.

« Il n’existe pas d’application capable de remplacer une politique de santé publique »

24.04.2020, par Lydia Ben Ytzhak

 Valentino BELLONI / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP PartagerLe sociologue Antonio A. Casilli nous livre son regard sur l’utilisation d’outils numériques par de nombreux pays pour accompagner le déconfinement. 

Membre de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation et chercheur associé à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, vous étudiez depuis 2009 les effets des plateformes et des outils numériques sur la société et la vie privée. Alors que l’on commence à préparer le déconfinement en France, quels sont les différents scénarii observés dans le monde ?
Antonio Casilli1 : La première possibilité est de ne suivre que les personnes infectées et d’en restreindre la circulation. C’est le cas en Corée du Sud où les itinéraires des personnes contaminées sont reconstruits grâce aux données des mobiles et des cartes bleues. Hong Kong, quant à lui, impose désormais des véritables bracelets électroniques pour assurer le respect de la quarantaine par les personnes venant de l’étranger.
 
Ensuite, il y a la possibilité de suivre tout le monde. En Chine, cela a été réalisé via les données de géolocalisation des citoyens de Wuhan, obtenues par les télécoms d’État. De son côté, Singapour a mis en place une application, TraceTogether, basée sur le Bluetooth. Même si elle ne géolocalise pas les usagers, elle relève toutes les personnes croisées sur une période de 14 jours. Elle a été très faiblement adoptée, par 12 % de la population. Impossible donc d’en évaluer l’efficacité contre le virus. La France, à l’instar d’autres pays européens, s’oriente vers cette même technologie, avec une application Bluetooth, StopCovid, dont l’installation serait volontaire mais qui aurait vocation à être adoptée par tout le monde, et pas seulement les personnes en quarantaine.
 Système visualisant les données de géolocalisation recueillies pour lutter contre le coronavirus.  Abdesslam MIRDASS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP Partager

Les scenarii de déconfinement sont multiples, et assez cohérents avec les orientations politiques de chaque pays. En France, on assiste par exemple depuis longtemps à une baisse importante des dépenses publiques dans certains secteurs retenus non stratégiques, et notamment dans la santé publique. L’exécutif a promis un plan massif d’investissement pour l’hôpital, mais pourrait aller plus loin dès à présent en misant plutôt et entièrement sur la consolidation des moyens à disposition des personnels soignants.
 
Le recours au pistage numérique n’est-il pas indispensable pour organiser un déconfinement ?  
En vérité, la question de la surveillance numérique et celle du déconfinement sont entièrement décorrélées : cantonner le numérique à des fins de surveillance est un choix politique. Pour moi, le succès du déconfinement est d’abord une question d’investissements dans des dépenses de santé publique, permettant de réaliser des tests massifs, de doter tout le monde de masques et d’optimiser la gestion de lits d’hôpitaux. Dans l’idéal, on pourrait ainsi imaginer un numérique au service du référencement de ces éléments, par exemple une application officielle qui permettrait de savoir combien de tests sont disponibles et où les effectuer autour de moi.

ll a été décidé d’aller dans un sens différent qui fait passer le pistage des êtres humains avant le dépistage de la maladie. C’est une tendance à la généralisation de la surveillance électronique qui se dessine depuis deux décennies, mais qui se retrouve aujourd’hui dans des expériences menées partout dans le monde au nom de la lutte contre le Covid-19.

Mais nous sommes en état d’urgence sanitaire et nos déplacement sont déjà contrôlés. En quoi cette surveillance numérique serait-elle selon vous si problématique ?

A. C. : Avec le confinement, nous avons fait l’expérience d’une assignation à résidence collective ; avec les applications de surveillance, nous risquons d’assister à la banalisation du bracelet électronique. Autrement dit : si la surveillance numérique est la condition pour recommencer à circuler dans l’espace public, nous ne sommes pas face à la fin d’une restriction temporaire de nos libertés, mais à la continuation du confinement par d’autres moyens.
 Un passager munis d'un bracelet électronique après avoir été testé au COVID-19 à l'aéroport de Hong KongUn passager munis d’un bracelet électronique après avoir été testé au COVID-19 à l’aéroport de Hong Kong  ISAAC LAWRENCE / AFP Partager

Or, rendre visible dans l’espace public les personnes malades comporte des risques, avec différentes dérives possibles. En Chine, il existe ainsi une application de livraison de repas qui affiche la température des coursiers. En Corée du Sud, on a vu la prolifération d’applications non officielles qui permettent le traçage ciblé de personnes positives au virus, avec tous les risques de harcèlement que cela induit. Par exemple, l’appli « Corona 100m » vous permet de savoir si autour de vous quelqu’un a été déclaré positif au Covid-19. Outre la violation du secret médical, cette information est inutile puisqu’elle ne dit même pas si cette personne est encore contaminante, ou désormais immunisée…
 
Et puis pour chaque usage, des problèmes importants de consentement des usagers se posent. Lorsque par exemple des start-up proposent de construire des cartographies de la mobilité des Français au temps du Covid-19 en récupérant à notre insu les données d’applications en apparence aussi anodines  qu’un jeu sur mobile ou des applis GPS, comment être sûr que ces mouchards respectent bien la loi ?

Justement quelle est plus précisément la voie envisagée en France ?
A. C. : Le déploiement en Europe du « tracking », utilisé dans de nombreux pays où il permet grâce aux données mobiles ou à la reconnaissance faciale de suivre les déplacements des personnes et de mettre une amende en cas d’éloignement du domicile, n’est pas facile en Europe à cause des législations comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive ePrivacy. De même, l’utilisation des données de géolocalisation (la liste des antennes-relais auxquelles nos téléphones se connectent au fil de la journée) a été proposée par certains acteurs de télécommunications comme Orange. Quels que soient les efforts pour anonymiser ces données, ceci est impossible une fois qu’elles ont été collectées.
 
Ce que proposent Google et Apple et qui est sérieusement débattu en France est un système de « contact tracing » par Bluetooth. Là, si vous êtes testé positif, toutes les personnes qui auront été à proximité de votre smartphone recevront une notification du type : « au cours des deux dernières semaines vous avez été en contact avec une personne contaminée ». Il s’agit de la version numérique d’une méthode qui existait bien avant l’arrivée des smartphones et qu’utilisaient les soignants pour enquêter sur les chaînes de contaminations en cas d’épidémie de tuberculose par exemple, et prévenir les personnes concernées si besoin.
 L’application de “contact tracing” par Bluetooth TraceTogether a été déployée à Singapour à partir du 20 mars 2020.  Catherine LAI / AFP Partager

Confier cette mission à une application mobile élimine le discernement des professionnels et introduit un fort risque de faux positifs. Si j’oublie le smartphone dans mon manteau, toute personne qui passe à proximité sera-t-elle notifiée ? Cela pourrait rendre le système inefficace. De plus, il deviendra possible de discriminer les personnes qui n’installeront pas l’application ; ce qui constitue un risque notable en termes de libertés publiques. Imaginez qu’une telle application soit obligatoire pour monter dans les bus. Cette obligation pourrait être étendue indéfiniment, tout comme le plan Vigipirate, qui à l’origine devait être limité dans le temps. D’où l’importance d’avoir maintenant un débat au Parlement sur ce sujet .
 
N’est-il pas possible d’établir des garde-fous pour limiter les atteintes aux libertés et à la vie privée ?
A. C. : On peut les limiter, oui, mais pas les éliminer. En France on envisage que l’application StopCovid produise des pseudonymes, des identifiants éphémères. De cette manière si je croise un individu, mon smartphone ne détecte pas son identité. Mais ces pseudonymes devraient être envoyés à une base de données centralisée. Et c’est là que, selon des experts en informatique, une ré-identification reste possible. En effet, dès que vous êtes déclaré positif, les personnes dans votre entourage sont informées; sous certaines conditions, ceci peut suffire à retrouver votre identité. Par ailleurs, ce genre d’application est très vulnérable au piratage et aux détournements: on peut notamment imaginer l’apparition d’applications « parasites » capables de croiser les données Bluetooth avec d’autres informations, voire des « blagues » informatiques où des plaisantins s’amuseraient à désanonymiser les identifiants de leurs voisins et de leurs connaissances testées positives.
 
Voulons-nous vraiment abolir le secret médical ? Il faut casser ce modèle dystopique auquel le discours ambiant semble nous avoir destinés. Cette surveillance numérique est présentée comme inéluctable, alors qu’elle peut s’avérer inefficace, discriminatoire et atteindre la vie privée des citoyens si on ne permet pas aux citoyens de protéger leur vie privée et la confidentialité de leurs informations médicales.
 
En réalité, il ne s’agit pas de lutter contre une maladie difficile à détecter en renonçant à nos libertés, mais en nous efforçant de la détecter ! La question centrale est celle des tests, des masques et du nombre de lits d’hôpitaux, et il n’existe pas d’application « magique » capable de remplacer une solide politique de santé publique. ♦Notes

  • 1.Antonio Casilli est chercheur à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (I3 – CNRS/École polytechnique/Mines ParisTech/Telecom Paris) et chercheur associé à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC – CNRS/EHESS).

Entretien dans Le Journal du CNRS (24 mai 2019)

Ces microtravailleurs de l’ombre

24.05.2019, par Laure Cailloce

56% des microtravailleurs sont des femmes, qui effectuent ces tâches le soir, après leur journée de travail.
A. Nakic / Getty Images

La toute première étude sur le microtravail en France vient d’être dévoilée. 260 000 «travailleurs du clic» effectueraient ces petites tâches rémunérées de quelques centimes à quelques euros, destinées pour la plupart à alimenter les nouveaux outils numériques. Les sociologues Antonio Casilli et Paola Tubaro nous en disent plus.

Vous publiez aujourd’hui un rapport complet sur le microtravail en France. Pouvez-vous nous dire ce qu’on entend par microtravail ?
Paola Tubaro1 : Ce sont des tâches courtes, répétitives et assez rébarbatives, effectuées pour la plupart devant un ordinateur : identifier des objets sur une image, étiqueter des contenus, enregistrer sa voix en lisant de courtes phrases, traduire de petits bouts de texte… De façon plus marginale, photographier des étiquettes de prix avec son Smartphone ou l’emplacement de produits dans un supermarché, effectuer de petites tâches proposées via une application (comme, depuis tout récemment, recharger à son domicile des trottinettes électriques, NDLR), relèvent aussi du microtravail. Ces activités faiblement rémunérées, de quelques centimes à quelques euros la tâche, ne supposent pas de qualifications particulières. Elles sont proposées par des plateformes spécialisées dans le microtravail, qui font office d’intermédiaires entre les microtravailleurs et les entreprises pour lesquelles ces opérations sont exécutées.

Le microtravail recouvre un ensemble de tâches courtes, répétitives, effectuées pour la plupart devant un ordinateur.
Illustration : C. Buée – Source DiPLab

À quoi servent ces microtâches, exactement ?
Antonio Casilli2
 : Une grande partie d’entre elles sont destinées à alimenter les technologies dites « intelligentes ». Ainsi, pour préparer un assistant vocal comme Alexa d’Amazon, capable de comprendre les demandes qu’on lui adresse, il faut produire une masse d’exemples de langage naturel humain, avec une pluralité d’accents et de bruits de fond, dans les langues de tous les pays où l’outil va être commercialisé… On parle beaucoup de “machine learning”, mais cela n’est possible que si on fournit à la machine des données qu’elle sait utiliser. Et ce sont des humains, en l’occurrence les microtravailleurs, qui produisent les exemples nécessaires à cet apprentissage.

Même chose pour la voiture autonome sur laquelle beaucoup d’entreprises travaillent : il faut fournir à l’intelligence artificielle des décryptages d’images toujours plus fins, identifier les feux rouges, les passages piétons, les devantures de magasins… de toutes les formes et dans tous les contextes possibles. On parle beaucoup de machine learning, d’« apprentissage machine », mais cela n’est possible que si on fournit à la machine des données utilisables qu’elle saura reconnaître et ranger. Et ce sont des humains, en l’occurrence les microtravailleurs, qui produisent les exemples nécessaires à cet apprentissage. Ce sont aussi eux qui testent ces outils intelligents et vérifient qu’ils interprètent correctement les données.
 

De quand date le phénomène du microtravail ?
P. T. : Le phénomène a commencé aux États-Unis au milieu des années 2000 avec le lancement par Amazon de Mechanical Turk, première plateforme de microtravail. Mais il n’a réellement débuté en France que dans les années 2010. Depuis, le microtravail a pris de l’ampleur : nous avons dénombré 23 plateformes de microtravail dans l’Hexagone, dont 14 sont de nationalité française, à l’image de la plus grosse d’entre elles, Foule Factory, aussi connue sous le nom de Wirk, sur laquelle nous avons interrogé près de 1 000 microtravailleurs dans le cadre de notre étude.

Mechanical Turk, la plateforme de microtravail d’Amazon, est une allusion au Turc mécanique, une supercherie du XVIIIe siècle : un automate censé jouer aux échecs, mais qui en réalité dissimule un humain. Humboldt-Universitaet zu Berlin / Bridgeman Images Partager

Sait-on combien il y a de microtravailleurs en France ?
A. C. : Ne pouvant nous reposer sur les seules déclarations des plateformes, nous avons croisé plusieurs méthodes, qui nous ont permis d’aboutir à trois estimations différentes : en France, 15 000 personnes seraient très actives et se connecteraient chaque semaine sur les plateformes de microtravail ; 50 000 seraient des microtravailleurs réguliers et se connecteraient au moins une fois par mois ; enfin, nous avons dénombré 260 000 microtravailleurs occasionnels, qui constituent une véritable « armée numérique de réserve » pour les plateformes en cas de besoin. Il faut savoir que les microtravailleurs inscrits sur ces plateformes ne connaissent généralement pas le nom de l’entreprise pour laquelle ils effectuent ces tâches, ni le projet dans lequel elles s’inscrivent, ce qui peut générer pas mal de frustration et une vraie perte de sens. D’autant que les plateformes généralistes commencent à céder la place à des structures en couches encore plus opaques : une plateforme s’occupe de la contractualisation, une autre met en relation avec le client, une troisième gère le paiement et c’est encore sur une autre plateforme que le microtravailleur effectue les tâches. Ces chaînes longues, qui entraînent une dilution complète du lien de subordination – parfois les différentes plateformes ne sont même pas dans le même pays ! –, apparaissent du fait des exigences des grandes entreprises clientes qui essaient de se protéger au maximum du regard de la concurrence, notamment dans le domaine très stratégique de la voiture autonome.

Quel est le portrait-robot du microtravailleur ?
A. C. : Notre enquête révèle une géographie sociale marquée par la précarité, dont certains aspects sont assez alarmants. Le microtravailleur est d’abord une microtravailleuse, souvent chargée de famille et possédant un emploi principal à côté. 56 % des microtravailleurs en France sont en effet des femmes ; 63 % des microtravailleurs ont entre 25 et 44 ans, et 64 % ont un emploi principal. Ils travaillent dans les secteurs de la santé, de l’éducation, ou encore dans les services publics… et utilisent le microtravail comme revenu de complément. Le microtravailleur est d’abord une microtravailleuse, souvent chargée de famille et possédant un emploi principal à côté. De façon assez surprenante, pour des tâches dont on dit qu’elles ne demandent aucune qualification, il est plus diplômé que la moyenne de la population.

L’investissement des femmes dans le microtravail, assez important dans certains cas, montre un glissement de celles-ci vers la « triple journée » : l’activité sur les plateformes de microtravail vient s’ajouter à un emploi à temps plein et aux tâches ménagères et familiales. À noter que 22 % des microtravailleurs sont au-dessous du seuil de pauvreté, ce qui confirme un réel problème de précarité économique dans notre pays. Enfin, et c’est assez surprenant pour des tâches dont on dit qu’elles ne demandent aucune qualification, les microtravailleurs sont plus diplômés que la moyenne de la population. Ainsi, 43 % ont un diplôme supérieur à Bac+2. Leur motivation principale pour le microtravail est avant tout l’argent, mais aussi la flexibilité qu’il autorise : on peut se connecter à n’importe quelle heure et y passer le temps que l’on souhaite puisque l’on est généralement payé à la pièce.

Photographier des produits dans des supermarchés pour alimenter des bases de données, une tâche parmi d’autres du microtravail, rémunérée quelques centimes d’euros par produit. P. Turpin / Photononstop Partager

Sous quel statut ces « travailleurs du clic », comme on les appelle aussi, travaillent-ils ? Et quels sont leurs revenus ?
P. T. : On ne peut pas parler de statut, puisque les microtravailleurs ne signent pas de contrat de travail et ne sont pas non plus entrepreneurs indépendants. Leur activité est régie par des formes de contrats diverses, qui vont du simple « accord de participation » à l’adhésion aux conditions générales d’utilisation. Ils ne bénéficient d’aucune protection, ne cotisent pas à la retraite ou au chômage… Et n’ont actuellement aucun moyen de faire valoir cette expérience dans le cadre d’un parcours professionnel. Le microtravail a la particularité d’être, de façon générale, invisible, effectué à la maison, ce qui rend très difficile sa valorisation, mais aussi toute forme d’organisation collective. Les risques inhérents à cette activité existent pourtant, notamment les risques psycho-sociaux, même s’ils sont difficiles à évaluer. Nous parlions tout à l’heure de perte de sens, mais cela peut aller plus loin : certains microtravailleurs ont pu se retrouver en situation de modérer des contenus violents pour les réseaux sociaux – par exemple, des vidéos de nature terroriste –, ou de discriminer des photos à caractère pornographique ou non…

A. C. : Les revenus perçus sont en moyenne de 21 euros par mois, ce qui masque évidemment des réalités différentes, entre celui qui travaille occasionnellement et celui qui se connecte trois fois par semaine. Mais il ne faut pas espérer gagner un salaire avec cette activité, même en y passant huit heures par jour.
  Le microtravail a la particularité d’être invisible, effectué à la maison, ce qui rend très difficile sa valorisation, mais aussi toute forme d’organisation collective. Les risques inhérents à cette activité, notamment psycho-sociaux, existent pourtant.

Si les plateformes rémunèrent les tâches en référence au SMIC horaire – à la condition expresse que celles-ci soient validées par le client, ce qui n’est pas toujours le cas –, les microtravailleurs passent en réalité autant de temps à essayer de comprendre les consignes et à échanger sur les forums de microtravail qu’à réaliser effectivement les tâches. Or ce temps n’est pas rémunéré. Même chose pour les qualifications que les plateformes demandent aux microtravailleurs pour réaliser certaines activités, comme de petites traductions. Pour passer une qualification en arabe, par exemple, il faut accomplir un certain nombre de tâches qui ne seront pas payées… Et ces qualifications ne sont valables que sur une seule plateforme, il faudra donc tout recommencer avec la suivante.

Derrière les voitures autonomes, se cache une armée de microtravailleurs qui fournit à l’intelligence artificielle des décryptages d’images au pixel près. M. Handrek-Rehle / Bloomberg via Getty Images Partager

Selon vous, quel est l’avenir du microtravail en France ?
P. T. : Nous pensons qu’il ne s’agit pas d’un phénomène temporaire, car les besoins du secteur du numérique et de l’intelligence artificielle ne cessent de croître et d’évoluer. Il y a quelques années, on demandait aux robots de pouvoir distinguer un chien d’un chat… Aujourd’hui, ils font ça très bien, mais d’autres demandes beaucoup plus complexes sont apparues. Pour les voitures autonomes, qui occupent beaucoup les plateformes de microtravail depuis deux ans, les clients veulent désormais des images annotées au pixel près… Le mythe selon lequel l’automatisation allait supprimer les emplois peu qualifiés se révèle faux : derrière l’intelligence artificielle, il faut certes des ingénieurs et des informaticiens, mais il faut également une armée de microtravailleurs qui n’est pas près de disparaître. C’est pour cette raison que la société doit aujourd’hui s’en préoccuper. Elle doit se demander quelle place sociale elle veut réserver au microtravail et comment mieux l’encadrer. Les syndicats, et notamment Force ouvrière qui est partenaire de cette étude, commencent à s’emparer de la question. La présence de France Stratégie (organisme public d’études et de prospective, placé sous l’autorité du Premier ministre, NDLR) parmi nos financeurs montre que les services de l’État prennent aussi conscience du phénomène. ♦
 
L’intégralité du rapport sur le microtravail est téléchargeable à l’adresse : diplab.eu

Rendez-vous :
Conférence de restitution du rapport sur le microtravail, organisée par France Stratégie et la Maison des sciences de l’Homme Paris Saclay.
Le 13 juin de 9 h à 17 h 30. Lieu : France Stratégie, Paris 7e

  • 1. Paola Tubaro est sociologue au Laboratoire de recherche en informatique (CNRS/Université Paris-Sud/CentraleSupélec).
  • 2. Antonio Casilli est sociologue à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (CNRS/Mines ParisTech/Télécom ParisTech/École polytechnique). Il a publié « En attendant les robots, enquête sur le travail du clic » aux éditions du Seuil en janvier 2019.

Le CNRS et l'Université Paris Descartes lancent une chaire "Liaisons numériques"

Une chaire CNRS-Université Paris Descartes “sur la sociologie des liens sociaux ‘virtuels’ et sur les liaisons numériques” vient d’être créée.

Voilà la description du profil recherché :

“La personne devra situer ses travaux dans la perspective des liens sociaux, et maîtriser les nouvelles techniques pour approcher les liens ‘virtuels’. Plus précisément elle doit reconnaître, sans négliger la force de certains processus de délitement social, la vigueur renouvelée des relations sociales, l’importance quotidienne et la force des liens relationnels. Elle doit revenir, avec le laboratoire, à la force de la préoccupation fondatrice de la sociologie afin d’interroger si, derrière ce qui est en apparence censé affaiblir le lien social, voire le détruire, sont ou non en action de nouvelles formes de sa production et de son renouvellement. Elle tiendra compte tout particulièrement des ‘liaisons numériques’ pour comprendre le renouvellement des formes du lien social. La chaire donne la possibilité à des maîtres de conférences d’être accueillis en délégation au CNRS pour y exercer une activité de recherche pendant 5 ans en bénéficiant d’une décharge de 2/3 de leur service d’enseignement, d’une prime d’excellence scientifique et d’un environnement scientifique approprié.”

La date limite d’envoi du dossier est le 7 mars 2012. Pour plus d’informations, suivre le lien vers « Galaxie », le portail des enseignants-chercheurs.

Le CNRS et l’Université Paris Descartes lancent une chaire “Liaisons numériques”

Dear all,

une chaire CNRS-Université Paris Descartes “sur la sociologie des liens sociaux ‘virtuels’ et sur les liaisons numériques” vient d’être créée.

Voilà la description du profil :

“La personne devra situer ses travaux dans la perspective des liens sociaux, et maîtriser les nouvelles techniques pour approcher les liens ‘virtuels’. Plus précisément elle doit reconnaître, sans négliger la force de certains processus de délitement social, la vigueur renouvelée des relations sociales, l’importance quotidienne et la force des liens relationnels. Elle doit revenir, avec le laboratoire, à la force de la préoccupation fondatrice de la sociologie afin d’interroger si, derrière ce qui est en apparence censé affaiblir le lien social, voire le détruire, sont ou non en action de nouvelles formes de sa production et de son renouvellement. Elle tiendra compte tout particulièrement des ‘liaisons numériques’ pour comprendre le renouvellement des formes du lien social. La chaire donne la possibilité à des maîtres de conférences d’être accueillis en délégation au CNRS pour y exercer une activité de recherche pendant 5 ans en bénéficiant d’une décharge de 2/3 de leur service d’enseignement, d’une prime d’excellence scientifique et d’un environnement scientifique approprié.”

La date limite d’envoi du dossier est le 7 mars 2012. Pour plus d’informations, suivre le lien vers « Galaxie », le portail des enseignants-chercheurs.