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Aaron Swartz, le suicidé de l’édition scientifique commerciale [Updated 19 janv. 2013]

[English translation here]

[Mise à jour du 19 jan. 2013 18h59. NB : ce billet a été repris par le Huffingtonpost, et a fait l’objet d’une émission sur France Culture (écoutez ici le podcast de Place de la Toile avec Xavier de la Porte).  Entre temps les hommages en ligne se multiplient. A lire, le billet publié par Cory Doctorow sur Boing Boing, le “j’accuse” de Larry Lessig, la petite poésie de Tim Berners Lee et l’épisode spécial de l’émission Democracy Now. Dans un style complètement différent, les hommages “par le fait” d’anonymes et sympathisants du libre accès scientifique. Sur Twitter, les universitaires ont distribué gratuitement leurs articles scientifiques sous le hashtag #pdftribute. Et sur Archive.org tous les documents relatifs à la procédure légale dont Aaron Swartz faisait l’objet ont été mis en ligne.]

La nouvelle tragique est tombée à 2h15 la nuit du 12 janvier 2013 : l’activiste et informaticien Aaron Swartz n’est plus.

http://tech.mit.edu/V132/N61/swartz.html?comments#comments

Les raisons de son geste restent pour l’instant enveloppées dans le mystère. Mais certaines voix s’élèvent déjà pour mettre en relation son suicide avec l’action en justice que le Procureur des Etats Unis lui avait intentée en 2011. Les faits contestés ? Avoir téléchargé via un serveur MIT et mis à disposition en ligne presque 5 millions d’articles scientifiques commercialisés par le portail scientifique JSTOR. Acte de piratage éditorial ou démarche radicale de libération des fruits de la recherche, cette affaire aurait pu couter 35 ans de prison à Swartz. Le jeune informaticien a toujours clamé son innocence, mais n’a pas pu empêcher de devenir le porte-étendard du Guerilla Open Access, mouvement de désobéissance civile prônant la réappropriation collective de l’information scientifique en contournant par tous les moyens nécessaires les barrières artificielles à l’accès créées par les éditeurs commerciaux.

“Aaron… was one of our very best. We will not forget. #openscience ” [Commentaire anonyme sur le site tech.mit.edu 3h51 12 janv. 2013]

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"Les pirates, c’est tout le monde": Interview d'Antonio Casilli dans Chronic'art (n. 76, mars/avril 2012)

Dans le numéro 76 du magazine culturel Chronic’art, Cyril de Graeve interviewe Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) : heures et malheures du copyright.

Antonio Casilli est sociologue, maître de conférences en «Digital Humanities» à Télécom ParisTech et chercheur au centre Edgar-Morin de l’EHESS, auteur de Les Liaisons numériques – Vers une nouvelle sociabilité? (Seuil). On l’écoute.

Chronic’art : Quel est votre avis sur ACTA, PIPA, SOPA, Hadopi, toutes ces tentatives de législation qui semblent brider Internet et jeter la suspicion sur l’acte de partager une œuvre ?

Antonio Casilli : J’ai, à plusieurs occasions, déclaré publiquement mon opposition à ces initiatives. Le contexte actuel est caractérisé par le dépassement du Copyright. C’est une dynamique généralisée, répandue dans tous les contextes d’usage du numérique. Je le vois très clairement dans mon activité d’enseignant-chercheur : mes étudiants partagent des MP3 avec moi, mes collègues téléchargent librement mes articles, les institutions qui évaluent mes recherches demandent le partage non commercial de mes travaux. Les pirates, c’est tout le monde : des enfants, des femmes au foyer, des fonctionnaires de l’Etat. SOPA, ACTA et Hadopi visent a restaurer un ordre culturel désormais révolu. Le pire est que le partisans de cette restauration ne se gênent pas pour invoquer des méthodes répressives dignes des pires régimes totalitaires. La censure aujourd’hui se fait appeler «défense du droit d’auteur». Nous ne sommes pas face a un filtrage « souple » des contenus reconnus comme contraires a la loi, comme l’affirme Eli Panser dans son livre The Filter Bubble. Au contraire, c’est le retour de la répression bête et méchante qui passe par la fermeture abrupte des sites Web, les arrestations spectaculaires, l’opprobre jeté sur les militants de l’autre camp. Par delà les convictions personnelles, qui poussent certains de mes collègues a être en faveur de la protection du Copyright, je ne vois pas comment on peut défendre des méthodes pareilles…

Internet, ce nouveau monde dans le monde, n’est-il pas quelque chose de spécifique qui implique un traitement juridique particulier?

C’est une question délicate, qui renvoie a une doctrine juridique très controversée : l’exceptionnalisme d’Internet. Elle consiste a dire que le Web est une réalité sociale à part, où les règles du «vrai monde» ne peuvent pas s’appliquer. Mais mes travaux vont dans un autre sens. Internet n’est pas un univers séparé de notre quotidien. Au contraire, il est l’un de nos contextes d’interaction sociale. Si des nouveaux comportements s’affirment en ligne, ils s’affirment aussi dans le monde hors-ligne. ll faut plutôt envisager la question en termes d’exclusivité des biens. En économie, on appelle « biens rivaux» tout ceux dont la consommation par un acteur implique l’exclusion d’autres acteurs : si je mange un fruit, j’exclus la possibilité que d’autres en mangent. D’autres biens sont «non rivaux» : les infrastructures, les biens publics… Or, les biens numériques sont principalement non-rivaux : si je regarde une vidéo, cela n’empêche pas d’autres de la regarder. C’est pourquoi certains considèrent le Web comme un bien commun à part entière et prônent l’abrogation du Copyright et la mise en place d’un système de Creative Communs.

Some modest remarks on the role of citizen lobbying in defeating #SOPA

So apparently SOPA is dead, for now. If you’ve been following the recent events surrounding this infamous anti-piracy (and anti-free speech) law, you know that’s good news for a lot of people – me included. The way this thing will go down in history is pretty much that “an iniquitous piece of legislation was to be voted, but a 7 million-strong Google petition, a rally in San Francisco and a massive online campaign (including a spectacular 24-hour blackout) defeated it”. Unfortunately, this means downplaying the role of another important element of this story: lobbying.

If you are not aware of how US lobbying works (or, worse, if you are European), let me break it down for you. Lobbying basically means talking to the right persons and influence them in following a certain political line. Sometimes this line is instantiated by a clear gain in terms of funding for politicians – to be used to be re-elected, to promote new policies, public works programmes, or political activity in general. Government resources are scarse, so this keeps the machine running, although in some cases it borders on buying votes. Telecommunication and electronics companies are among the biggest “buyers”.

Communication and electronics sector displays one of the highest and fastest increasing lobbying spending. Source: Sunlight Foundation

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