Monthly Archives: May 2011

Note de lecture des "Liaisons numériques" sur le site de la FCSSF (mai 2011)

Sur le site Web de la Fédération des Centres Sociaux et Socioculturels de France, Henry Colombani consacre une note de lecture à l’ouvrage d’Antonio Casilli, Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

L’ouvrage d’Antonio A. CASILLI est une véritable réflexion sociologique et anthropologique sur les usages du numérique. La mutation en cours et les enjeux qu’elle fait naître sont abordés ici avec tout l’approfondissement nécessaire, loin de effets trop sensibles ou jugements de valeurs plus ou moins moralisateurs auxquels elle donne trop souvent lieu. Et si l’on peut tout à fait ne pas partager certaines thèses, elles sont suffisamment argumentées pour provoquer un véritable travail et nous stimuler.

Les Liaisons numériques tentent rien moins que de déchiffrer le nouveau et futur lien social généré par la révolution numérique ! Et ce, à travers les trois grands champs dans lesquels se composent la vie de l’individu, la vie sociale et les rapports humains : l’espace – le corps – les liens.

Le second intérêt de ce travail consiste dans sa capacité – en complément aux argumentations intellectuelles – de faire une large place à l’expérience, par des analyses et témoignages issus d’interviewes de diverses catégories de praticiens : blogueurs, artistes, usagers des relations amicales et amoureuses, figures de la militance en ligne… qui démontrent l’infinie variété d’inventions de modalités de lien social.

La thèse principale, réitérée dans chacune des trois parties, consiste à démontrer que contrairement aux apparences et aux jugements hâtifs, les espaces, les corps et les liens, loin d’être virtualisés, désincarnés, déréalisés… sont au contraire traités selon de nouveaux possibles, réappropriés par les habiletés des usagers, selon des rapports et usages nouveaux, et rendus fortement présents ou représentés par de nouvelles articulations entre le réel et le virtuel. L’ère numérique et les réseaux informatiques s’offrent ainsi à la formidable envie de socialité et de présentation de soi des usagers, créant par la capacité de l’hospitalité – don et contre-don – de nouveaux interfaces entre les sphères de l’intime, du privé et du public.

Cette thèse, l’auteur la présente de manière concise en référence à un écrivain américain (Will F. Jenkins) d’avant l’ère Internet qui suggérait que « la société en réseaux pouvait être lue comme un espace social où des corps interagissent pour créer des liens de coexistence. » Ce qui permet de décliner les trois parties de l’ouvrage :

I – Espèces de (cyber)espaces II – Quête de corps, quête de soi III – La force des liens numériques

L’espace : la culture numérique s’est faite porteuse d’un nouveau rapport au territoire : les outils technologiques installés à domicile introduisent l’espace public au sein de l’espace privé, et transforment profondément celui-ci, le mettant directement en relation avec le cyberespace, la blogosphère, les « communautés virtuelles »2. Ainsi, le terme

« glocal » n’a a jamais mieux été utilisé pour désigner cette fusion du local le plus proche avec le global le plus éloigné, qui a pour effet d’élargir la présence à de nouvelles dimensions, et, partant, remettre en cause les notions de proximité/mobilité3.

Le corps qui habite cet espace d’une manière nouvelle – la partie certainement la plus originale et la plus audacieuse du livre ! – loin d’être objet d’un « adieu » par virtualisation, est au contraire constamment mis en présentation – représentation dans les échanges numériques : photos, vidéos, avatars, par toutes sortes de traces corporelles, participent à la recherche d’un corps idéal et expriment un travail sur son identité… avec des risques, c’est évident, mais avec l’espoir de se valoriser, d’être reconnu. « Ces corps ‘virtuels’ deviennent un miroir de ce que nous attendons aujourd’hui de nos corps ‘réels’. Ils sont un catalogue de nos désirs » [p.135] En ce sens, mettre son corps en scène, ce n’est pas le dématérialiser, mais produire une manière complémentaire à son corps de chair et d’os4.

Les liens, enfin, construisant une « coexistence assistée par ordinateur », qui par les multiples reconfigurations des liaisons numériques, « sont traversés par une envie contradictoire : construire une sociabilité forte basée sur des ‘liens faibles’» [p. 248sq]. La notion est ici particulièrement féconde. Alors que la socialité réalisée par la présence, le face à face, établit des liens forts – mais au sein de petites communautés plutôt homogènes et relativement fermées, la socialité virtuelle développe plutôt des liens faibles. Mais il faut mesurer qu’ il y a un « continuum » entre ces deux modèles qui coexistent : les individus sont membres de communautés et dans le même temps connectés à d’autres, étrangers à leur entourage. S’assoient ainsi deux types de liaisons complémentaires – que l’auteur désigne comme l’« individualisme en réseau », articulant des liens faibles et des liens forts : le lien et le pont (en anglais « bond » et « bridge ») ; le premier lie au sens d’attache, le second relier et permet le passage entre des individualités disparates. « La perception des distances sociales se redéfinit ainsi : ce qui paraissait éloigné devient infiniment plus rapproché, presque adjacent. Les liaisons numériques permettent justement de trouver et de maintenir la distance optimale avec les personnes qui peuplent notre vie. » [p. 329] On pressent dans ces formules ce qui est, selon l’auteur, en train de se jouer : rien moins que la recomposition d’un nouvel équilibre qui se cherche entre la cohésion sociale et l’autonomie ; une cohésion qui ne peut plus être le collectif contraint, une autonomie qui ne peut pas être l’individualisme d’isolement et de solitude générés par les sociétés de masse du modèle industriel.

« Si l’effet socialisant des technologies informatiques a été sous-estimé c’est à cause de l’opinion erronée que le Web remplace la communication en face à face… » [p. 244] mais alors pourquoi ne pas en dire autant de la communication par la lettre ou le téléphone, alors qu’il est évident qu’elle est conçue comme complémentaire de la communication en présence, et même augmente le volume des contacts ?

A.A. CASILLI a-t-il, ainsi qu’il l’annonce dans sa conclusion démenti « les trois grands mythes liés à Internet » [p. 327] concernant l’espace, le corps et les liens sociaux ? Il aura, en tout cas, porté la démonstration de la puissance de changement et de mutation de nos modèles les plus habituels inscrite dans ce développement du numérique. Ce faisant, « (il) ne vise pas à défendre à tout prix une nouvelle donne technologique, mais à montrer comment les individus sont capables de composer avec ce cadre nouveau et parfois inquiétant.. » ne serait-ce qu’en considérant que « les usages informatiques sont toujours, dans une certaine mesure, des détournements ». [p. 329]

Si tout cela comporte des risques, à côté des ressources en émergence, mieux vaut ne pas se leurrer en combattant les mythes comme autant de moulins à vent, comme à voir dans le Web un espace transcendant par rapport à notre réalité, au lieu de l’inscrire comme transformant notre réel même. Mieux vaut cibler les dangers là où ils se développent : les puissances de l’argent et de la domination, par exemple, qui voudraient pervertir le système et déposséder les individus de leur propre maîtrise d’usage.

 

Antonio Casilli est l'invité de Curioser (mai 2011)

Une interview, des extraits vidéo et quelques nouveautés dans cette interview d’Antonio Casilli pour Curioser, laboratoire d’études et de communication digitale. L’auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) y parle d’amitié, engagement et petits chatons…

Concernant la méthotodologie, Casilli nous rappelle que si l’on ne s’appuie pas sur ces moyens de récolter des données précises, on tombe vite dans le « data free philosophizing ». L’expression a récemment été utilisée par Howard Rheingold pour décrire cette posture spéculant principalement sur de l’observation in vivo. D’où la nécessité d’étudier cet objet à l’aune des méthodes traditionnelles comme les enquêtes, les statistiques ou les entretiens qualitatifs mais aussi à certaines méthodes inédites comme l’ethnographie en ligne ou l’observation participante en ligne. Pour Casilli, la grande évolution du point de vue de la méthodologie réside dans l’application de « l’analyse des réseaux sociaux » au digital. Elle ne repose non plus sur une logique quantitative ou qualitative mais sur l’approche relationnelle : on étudie la hiérarchisation, les liens, l’étendue, la création du capital social en ligne, etc.

Où en sont ces travaux aujourd’hui ? Casilli déplore une reconnaissance difficile au sein de la communauté scientifique, que ce soit en France ou à l’international. Les enjeux sont réels, il s’agit là de faire partie de ce qu’il appelle le « scientific agenda » et de ne pas être les premiers en ligne de mire lors de restrictions budgétaire. Les chercheurs sont donc confrontés à un double challenge : valoriser les sciences sociales qui ne sont pas considérées comme les plus prestigieuses au sein de la communauté scientifique mais aussi légitimer le digital comme objet d’étude majeur.

 

e-G8 : la conscience d’un internaute, combien ça coûte ?

Sur Mediapart, le guru du numérique Nova Spivak a dénoncé l’effort d’embrigadement du Net opéré par l’administration Sarkozy. Invité au forum e-G8 qui s’est ouvert le 24 mai 2011 à Paris, il a mis en ligne “dans un souci de transparence” les documents qui lui ont été envoyés par la Présidence de la République française : invitation, note de cadrage et agenda des deux jours.

Le même souci de transparence et le même esprit rock’n’roll me poussent, chers lecteurs, à mettre en ligne le contenu complet de la sacoche (en polyester, couleur noire, 35 x 40 cm, Made in China) qui m’a été remise à l’accueil dudit forum.

Photo (c) Cyril Attias via Flickr

A vous d’en tirer les leçons politiques qui s’imposent :

– 1 cahier modèle « William Sheller » (16 x 21 cm) spiralé, 180 pages blanches, avec logo eG8 forum, pour prise de notes – prix unitaire 6,69 € ;

(more…)

Vidéo de l’intervention d’Antonio Casilli au Parlement du Futur (Assemblée nationale, Paris, 27 mai 2011)

Vendredi 27 mai 2011, à 17h le sociologue Antonio A. Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) interviendra à l’Assemblée Nationale, dans le cadre du colloque Parlement du futur “Entre desirs et dechets : jusqu’ou irons-nous avec l’electronique ambiante ?” (Salle Victor Hugo, 101 rue de l’Université, 75007 Paris). Sa conférence introduira la séance “L’électronique à l’assaut des corps et des esprits”. Pour plus de renseignements, consulter le site Web VivAgora (formulaire d’inscription en ligne disponible ici).

Un événement VivAgora/Fondation Internet nouvelle génération (Fing). Avec : Joël De Rosnay, Françoise Berthoud, Laurent Alliod, Daniel Stern, Nicolas Buclet, Stéphane Bernhard, Catherine Martial, Olivier Seznec, Guillaume Moenne-Loccoz, Brigitte Demeure, Stéphane Elkon, Michèle Rivasi, Francis Chateauraynaud, Sylvette Mazy, Daniel Le Métayer, Jean-Charles Froment, Laurent Gille, Marc Fossier, Daniel Kaplan, Michel Arnaud, Christophe Bénavent, Pierre-Antoine Chardel, Antonio Casilli, Jean-Pierre Quentin, Natacha Roussel, Marc-Eric Bobillier Chaumon, Françoise Roure, Antoinette Rouvroy, Franck Poirier, Gérard Dubey, Philippe Lemoine.

Parution de "Cultures du numérique" (Ed. du Seuil)

Le voilà entre mes main : le premier exemplaire de « Cultures du numérique » que j’ai dirigé et dont j’ai le plaisir de vous annoncer la parution aux Editions du Seuil.

Il s’agit du numéro 88 de la revue Communications, un numéro spécial qui marque le cinquante ans de cette glorieuse publication fondée en 1961 par Roland Barthes et Edgar Morin. Nous en sommes tous très fiers, et à juste titre. Ce numéro est appelé à devenir un ouvrage de référence pour les étudiants et les chercheurs qui – en nombre croissant – s’intéressent au Web et à ses conséquences sociétales, culturelles, politiques.

« Cultures du numérique » propose un panorama des études francophones sur les usages des technologies de l’information et de la communication. Vingt-trois chercheurs, venant des domaines les plus disparates, ont participé : psychologues, philosophes, médecins, économistes, sociologues, experts de digital humanities et de sciences de la communication.

Voilà la table des matières complète, (more…)

"Corps en ligne, corps hors ligne" : entretien avec Antonio A. Casilli dans Poli n. 4 (mai 2011)

La revue Poli – Politique de l’image publie une interview avec Antonio A. Casilli à propos de son ouvrage Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil). “Virtualisation” du corps, avatars, identité en ligne, amitié et intimité dans les réseaux sociaux d’Internet : voilà quelques uns des sujets traités dans le long entretien conduit par Marion Coville. Ici, la première partie de l’interview : la lecture se poursuit dans le numéro 4 de la revue.

CORPS EN LIGNE CORPS HORS LIGNE

Entretien avec Antonio A. Casilli – propos recueillis par Marion Coville

Dans votre ouvrage, Les Liaisons Numériques vous indiquez que le web reconfigure notre manière de faire société. Pourriez-vous définir cette nouvelle forme de sociabilité ? Y a-t-il une différence entre une communauté réelle et une communauté en ligne ?

Antonio Casilli : Le web prolonge certaines structures et modalités de notre manière de faire société : il propose des compléments de sociabilité. Ce n’est pas simplement une complémentarité quantitative. Le web nous aide à imaginer de nouvelles formes de relations entre êtres humains, comme le friending, l’amicalité, l’interconnexion entre deux profils sur des réseaux sociaux comme Friendster, MySpace ou Facebook. Le clivage entre communauté en ligne et communauté hors ligne a été établi à la fin des années 80, lorsque notre compréhension des  interactions assistées par ordinateur était différente, dominée par la juxtaposition d’un monde soi-disant réel et d’un monde virtuel complètement dématérialisé. Certains théoriciens des technologies communicantes, comme Howard Rheingold, avaient voulu montrer que le web ouvrait la voie à une utopie que nous n’étions pas parvenus à réaliser dans la vie hors ligne, celle de créer des communautés « pures », harmonieuses et socialement durables. Ceci avait été le rêve des sociologues pendant plus d’un siècle. Mais il avait été aussi le rêve des contre-cultures américaines des années 60 et 70 pour qui la communauté aurait dû être un maillage social dans lequel les individus étaient unis par un sentiment d’appartenance, de cohésion extrêmement forte et intime. Il s’agit d’un idéal de sociabilité dont, avec Internet, certains ont vu la réalisation dans les forums en ligne, les listes de diffusion, et, plus tard, les mondes immersifs puis les réseaux sociaux. Cependant, j’insiste sur le fait que nous sommes face à un discours qui exprime tout un ensemble de desiderata d’ordre social, sans pour autant en être une instanciation ou une actualisation.

Durant vos recherches, vous avez interrogé et observé une adepte des rencontres érotiques, dont justement, le comportement en ligne influence la vie matérielle…

J’ai choisi de passer par l’étude du cas de Sonia pour illustrer les retombées possibles de la mise en scène de soi en ligne sur le corps et la sensibilité. À un tournant de sa vie, cette jeune femme française d’une vingtaine d’années considère que sa façon d’interagir avec les autres n’est pas satisfaisante, qu’elle n’arrive pas à avoir le type de rencontres érotiques et le type de relations humaines et sexuelles qu’elle souhaite avoir. Elle s’inscrit alors sur un réseau en ligne et, en se mettant en scène d’une certaine manière, évocatrice d’une démarche de séduction et de recherche du plaisir, elle parvient à avoir un succès incomparable à celui qu’elle avait auprès des hommes dans sa vie hors ligne. Elle doit cela au personnage qu’elle a inventé pour le web, qu’elle décide d’appeler Olivia. Ce prénom introduit d’ores et déjà une certaine promesse de sensualité, par l’évocation d’un imaginaire méditerranéen. Elle structure son personnage d’une manière fine et sophistiquée, comme un double soi qu’elle prend le temps de décrire dans le détail, en répertoriant dans un tableau comparatif les différences entre son corps en ligne et hors-ligne. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas simplement d’une projection fantasmatique, mais d’un masque social, créé et présenté par Sonia : ce personnage et ce corps ne sont pas simplement des représentations imaginaires, mais des stratégies de reconnaissance. Elle s’expose à la validation des autres membres de la communauté dont elle fait partie. Ces derniers vont la rencontrer et réaliser un retour sur elle, en indiquant si cette femme est Olivia ou Sonia, si elle est capable d’assumer l’identité numérique qu’elle a choisie. Paradoxalement, ce masque est un élément d’authenticité, voire d’authentification que la communauté en ligne accorde à ce personnage et à ce corps mis en scène.

D’ailleurs, Jean-Claude Kaufmann, dans son ouvrage Sex@mour écrit, je cite, qu’« Internet a bouleversé le paysage des rencontres amoureuses, que la sexualité (…) s’est banalisée au point de devenir une sorte de nouveau loisir ». Pour reprendre le célèbre slogan d’un site de rencontre : les règles ont changé ?

Les règles se sont adaptées. Il y a un certain timing de la rencontre amoureuse qui s’est désormais installé, capable de prendre en compte l’apparition des usages technologiques en général : du moment de la recherche d’un partenaire jusqu’au moment de la rencontre, du premier échange, du premier baiser, jusqu’au happy ending final, qu’il soit prolongé ou occasionnel. On est arrivé à insérer les applications connectées et les échanges en ligne pratiquement à chaque pas de ce processus : parler sur Skype, envoyer des mails, tchatter, échanger des commentaires sur Facebook… De nouvelles temporalités émergent. Dans Les Liaisons Numériques, j’évoque l’exemple d’une utilisatrice brésilienne, qui introduit dans son répertoire amoureux de nouveaux usages, aujourd’hui assez communs. Lors d’une fête, elle rencontre un jeune homme qui lui plaît et elle collecte rapidement quelques éléments qui l’aideront à l’identifier. Une fois rentrée chez elle, elle effectue une recherche Google à partir du nom de cette personne, de sa ville. Elle dispose ainsi d’informations assez précises qui lui permettent ensuite de cibler la communication : le relancer par mails, lui laisser un message sur son répondeur, articuler les échanges en ligne et hors ligne… Un partenaire potentiel, il faut désormais non seulement le « draguer » mais aussi le « traquer » – pister ses traces sur le web. Continuer à entretenir le lien après le début de l’histoire, ou avant, à travers une articulation d’usages informatiques et de rencontres « en vrai ». De ce point de vue je suis d’accord avec Jean-Claude Kaufmann : il y a une manière de repenser la rencontre. Il faut s’éloigner de cette idée bête que d’autres ont eue d’imaginer qu’avec l’arrivée d’Internet, le bouleversement allait être le remplacement des rencontres réelles par des rencontres virtuelles. Cela n’a jamais été le cas, même avant Internet. Avec le Minitel rose par exemple : c’était un minitel de rencontres, qui aboutissait, surtout dans le cas de la communauté gay et d’autres sexualités alternatives, à des rendez-vous bien réels. Il y avait des limitations techniques mais à la fin de l’histoire, il y avait un moment de face à face, et une articulation, une mise en boucle de la rencontre hors ligne et de la rencontre en ligne.

Plus généralement, on associe souvent Internet et la question du virtuel, du numérique à la disparition du corps. Vous écrivez, au contraire, que « les communications Internet (…) grouillent de traces corporelles », quelles sont-elles ?

La question de la désincorporation, de la dématérialisation du corps, a dominé le discours public entourant l’informatique de masse à partir de la seconde moitié des années 80. Plusieurs auteurs ont commencé à aborder ce thème. Je pense surtout à John Perry Barlow, un grand activiste, bien sûr, mais avant tout un poète et parolier de Grateful Dead, ou encore à William Gibson, auteur reconnu de science-fiction. Aucun d’entre eux n’était un spécialiste du corps. Ces auteurs ont appelé « manque de corps » quelque chose relevant d’une certaine mise en représentation de ce dernier. Dire que le corps se dématérialise car il est face à son avatar 3D, c’est un peu comme dire que le corps d’un visiteur de musée se dématérialise car il est face à un tableau : ça n’est pas le cas, on est simplement dans un rapport observateur / observé. Bien sûr, ce rapport se complexifie lorsque l’on a à faire à des modélisations 3D interactives, parce que là il n’y a pas de spectateurs du corps, mais des interacteurs. Le corps est constamment invité à participer : les réalités virtuelles étaient basées sur des capteurs de mouvements, et, encore aujourd’hui, les consoles de jeu tout comme les claviers ou les souris convoquent un geste et une corporalité, sans cesse impliqués dans le processus de communication en ligne. Le corps de l’usager est constamment engagé dans l’interaction avec la machine, il est donc forcément projeté sur l’écran. On trouve différents types de traces corporelles. Tout d’abord, les traces mono dimensionnelles, comme les émoticônes, qui reproduisent certains gestes ou expressions du visage, et donc, une émotivité, du simple « 😉 » pour exprimer le sourire, le clin d’œil de complicité, ou encore «  o/ » pour les bras levés. Cela devient encore plus intéressant dans d’autres pays, où d’autres codes de communication s’imposent, comme les émoticônes de type manga «  ( ^ – ^ ) / » qui permettent non seulement d’avoir une expressivité corporelle, mais également d’établir une différence entre un corps qui se veut asiatique et un corps occidental. Il y a ici des possibilités d’adoption de codes qui prennent en compte des éléments qui, normalement, ne sont pas modulables dans l’interaction en face à face.

On trouve également des traces bidimensionnelles : les photos, vidéos, textes qui contiennent des portraits des utilisateurs. Ces traces sont le fruit d’un travail beaucoup moins synthétique : on s’interroge sur le cadrage, sur les détails qui doivent être montrés, si le corps doit être nu ou habillé, selon le service en ligne dans lequel on évolue. Le troisième type de trace corporelle, malgré son côté folklorique, est moins répandu que ce que l’on imagine : c’est l’avatar 3D que l’on retrouve dans les jeux vidéo, les univers immersifs, ou dans les mondes persistants en ligne. C’est la représentation typique du corps dans l’imaginaire d’internet, alors qu’elle est assez rare car elle demande un niveau relativement avancé de connaissances informatiques, ainsi qu’une implication très importante en termes de temps investi dans la personnalisation et dans l’entretien de ce corps.

On peut d’ailleurs remarquer que de nombreux jeux vidéo proposent un marché afin de personnaliser au maximum les avatars. Je pense notamment à Little Big Planet, où, même si l’avatar ne ressemble pas au joueur, il peut être façonné à l’effigie d’autres personnages de la culture populaire (comics, films, etc. …)

On peut effectivement se demander quel doit être le rapport entre le corps en deçà de l’écran et le corps au-delà de l’écran. Sur Second Life, par exemple, malgré toutes les limitations techniques d’un service de ce type, chaque utilisateur est face à deux possibilités : créer un avatar totalement différent de soi, ce qui peut être une sorte de sublimation de son identité, ou réaliser une création photoréaliste. On retrouve d’ailleurs des services (des îles), qui proposent une « chirurgie plastique » de l’avatar, pour le rendre cohérent, au détail près, avec le corps de son utilisateur, en y ajoutant même les détails qui ne relèvent pas des critères de beauté physique, comme les rides ou la calvitie. C’est la question de la véridicité qui se joue ici, mais la question du rapport entre le corps « réel », physique, tangible et le corps représenté ne se réduit pas à cela.

D’ailleurs, les interactions en ligne ne permettraient-elles pas d’interroger, voire d’intervenir sur les constructions sociales du corps ?

On intervient effectivement sur ces constructions, ainsi que sur la définition de ce qui est normal et pathologique, d’un corps habile et d’un corps « handicapé ». Sur Internet, le handicap se construit socialement d’une manière différente : une personne malentendante par exemple, avec une interaction textuelle (un chat, un mail…), peut choisir le moment où elle dévoilera son handicap, alors qu’elle serait obligée de le faire au début d’une interaction en face à face. Mais il ne s’agit pas que de cela : le fait d’être interconnectés en ligne, d’appartenir à des communautés de personnes partageant une même spécificité physique ou, du moins, un même cadre de vie, peut permettre un positionnement face au handicap et à sa définition. Par exemple, si je suis malentendant, ces communautés peuvent m’aider à entrer en contact avec d’autres individus comme moi et donc, à faire face à d’autres cas de figure qui m’aident à comprendre exactement ma position sociale en tant que personne handicapée. On peut même trouver des sites de rencontre en ligne comme disabledpassions.com qui permettent de sélectionner des partenaires sur la base du sexe, de l’âge, de l’emplacement géographique, mais également du type et degré de handicap. La sélection de personnes partageant les mêmes enjeux est alors affinée grâce aux outils proposés.

[Continuer la lecture sur Poli n. 4]

The number of my online friends and Dunbar's not-so-hidden scientific agenda

First of all, you might want to read this remarkably insightful blog post featured in Paola Tubaro’s Blog – about a recent article on social network size, online friending and Dunbar’s number published in Cyberpsychology. Here’s the complete reference to the article:

ResearchBlogging.orgPollet, T., Roberts, S., & Dunbar, R. (2011). Use of Social Network Sites and Instant Messaging Does Not Lead to Increased Offline Social Network Size, or to Emotionally Closer Relationships with Offline Network Members Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 14 (4), 253-258 DOI: 10.1089/cyber.2010.0161

As for the analysis, let me just quote from Paola (it’s not that I’m lazy, but I tend to agree with pretty much evertything she says, especially because she draws heavily on previous posts and conferences of mine dealing with the same subjects ;P)

https://paolatubaro.wordpress.com/2011/05/14/how-many-friends-do-you-have/

How many friends do you have? « Paola Tubaro’s Blog

What I would like to add here is just that the article might not be all that interesting, weren’t it authored by Robin “Dunbar’s number” Dunbar himself. (more…)