Monthly Archives: February 2019

[Séminaire #ecnEHESS] Ce que les big data et l’IA font aux sciences sociales (Paola Tubaro & Étienne Ollion, 21 févr. 2019, 17h)

Enseignement ouvert aux auditeurs libres. Pour s’inscrire, merci de renseigner le formulaire.

Pour la deuxième des séances d’approfondissement ouvertes aux auditeurs libres de notre séminaire #ecnEHESS Etudier les cultures du numérique, nous aurons le plaisir d’accueillir Paola Tubaro (CNRS/LRI), coordinatrice du numéro spécial de la Revue Française de Sociologie consacré au “moment big data des sciences sociales”, et Étienne Ollion (CNRS/SAGE, chercheur associé à Polytechnique), qui a été parmi les contributeurs.

Le séminaire aura lieu le jeudi 21 février 2019, 17h-19h, salle séminaire 1.1, Institut des Systèmes Complexes, 113 rue Nationale, 75013, Paris.

N’hésitez pas à faire circuler cette information au sein de vos propres contacts et sur les réseaux.


Titre : Du bon usage des big data et de l’apprentissage machine en sciences sociales

Intervenant•es : Paola Tubaro, Étienne Ollion (CNRS).

Résumé : Depuis quelques années, big data, machine learning,  et intelligence artificielle ont colonisé nos imaginaires collectifs, et de plus en plus nos pratiques scientifiques. Comme bien d’autres domaines, les sciences sociales sont profondément touchées par ces débats et invitées à se positionner. Comment ces nouvelles technologies ont-elles transformé nos visions de ce qu’est le savoir, nos méthodes et nos liens avec les autres sciences ? Comment ont-elles changé la société qui fait l’objet de nos recherches ? Le séminaire reviendra sur ces évolutions et les controverses, scientifiques et politiques, qui les ont accompagnées, en explicitant les enjeux sous-jacents. Pour une partie, il s’appuie sur l’expérience de réalisation d’un numéro spécial de la Revue française de sociologie sur « Big data, sociétés et sciences sociales », paru en automne 2018.

A la une de 20 Minutes (11 févr. 2019)

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«Fermier du clic», «robot humain»… Les robots ne volent pas nos «jobs à la con», ils en créent

INTERVIEW LEXICALE Avec l’aide du sociologue Antonio Casilli, nous revenons sur les nouveaux emplois précaires créés par l’intelligence artificielle

Laure Beaudonnet

Digital indique un travail du clic : un travail simple, fait à la main, tâcheronnisé et datafié. Illustration de l'intelligence artificielle.
Digital indique un travail du clic : un travail simple, fait à la main, tâcheronnisé et datafié. Illustration de l’intelligence artificielle. — PIXABAY / geralt
  • Dans En attendant les robots paru début janvier,Antonio Casilli détricote les fantasmes liés à l’intelligence artificielle.
  • L’enseignant-chercheur à Télécom Paristech met au jour les coulisses des algorithmes intelligentes et des grandes plateformes numériques.

En attendant les robots Pourquoi ne pas faire passer l’homme pour une intelligence artificielle et encourager le mythe du remplacement par les machines ? Dans son enquête sur le travail du clic, parue aux éditions Seuil, le sociologue Antonio Casilli, enseignant-chercheur à Télécom Paristech, détricote les fantasmes liés à l’intelligence artificielle.

Il met au jour les coulisses des algorithmes intelligentes et des grandes plateformes numériques. Alimentées par des micro-travailleurs qui effectuent « un travail tâcheronnisé et datafié », elles poussent à l’extrême les logiques tayloristes de fragmentation de l’activité humaine. A côté des « sublimes du numérique » -les data-scientists et les ingénieurs- a émergé une nouvelle forme de travailleurs précaires qui réalisent des activités répétitives à très bas salaire.

Avec l’aide d’Antonio Casilli, nous revenons sur les nouveaux emplois précaires créés par l’intelligence artificielle. Interview lexicale.

« Digital labor »

« En anglais, on utilise le terme “labor” pour parler d’un travail qui s’inscrit dans les rapports sociaux : “travailler pour”, “travailler avec”. Et on parle de “digital”. Non pas pour répondre à la diatribe du français : digital versus numérique. Mais pour rester fidèle à l’étymologie latine d’un travail fait avec le doigt, en latin, digitus. Digital indique un travail du clic : un travail simple, fait à la main, tâcheronnisé et datafié.

J’ai différencié trois types de digital labor. “Le travail à la demande”, comme Uber ou Deliveroo, qui repose sur des applications mobiles et qui produit énormément de données. “Le micro-travail” qui désigne le travail d’une foule de personnes auxquelles sont confiées des tâches très courtes, très limitées dans le temps et très fragmentées. Et “le travail social en réseau” qui illustre ce que chacun d’entre nous réalise sur les plateformes dites “sociales”, comme Facebook, Instagram. Il consiste moins à produire des contenus qu’à produire des méta-données. Et les plateformes se servent de ces données pour automatiser certains processus. »

« Micro-tâcheron »

« Au XIXe siècle, “tâcheron” définissait une catégorie de travailleurs qui se situaient entre l’artisanat et l’industrie. On les appelait aussi les “piéçards”, ces personnes étaient payées à la pièce ou à la tâche. Elles étaient organisées dans des ateliers, elles pouvaient négocier leurs prix. Il y avait une forte volatilité de leurs revenus, mais il y avait des marges de liberté importantes.

Aujourd’hui, si vous êtes un salarié, votre situation est différente. Vous avez une rémunération fixe et en échange de cette sécurité économique, vous accordez à votre employeur principal le pouvoir de vous subordonner. Et les micro-tâcherons dans tout ça ? Ils représentent une nouvelle classe de travailleurs des plateformes qui sont dans un état hybride.

Les plateformes mettent en place des stratégies pour les subordonner, et cette subordination est de nature économique et cognitive. Les micro-tâcherons ne réalisent pas des activités sur lesquelles ils peuvent développer des compétences, ou s’organiser entre eux. Ils n’ont pas d’emprise sur leur activité. Au contraire, leur travail est fragmenté, réduit au minimum et de cette manière, ils finissent par être relativement isolés, aliénées, mal payés et peu protégés. »

« Fermier du clic »

« Les fermiers du clic sont des ouvriers de l’Internet, souvent installés dans des pays émergents ou en voie de développement. Ils travaillent depuis des structures qu’on appelle des “fermes à clic” qui peuvent prendre différentes formes. Elles ont parfois pignon sur rue, parfois elles ressemblent à un garage, à la maison d’un particulier, à des usines désaffectées. Chaque fois, des centaines de personnes passent d’un smartphone à l’autre (il y en a des milliers) pour cliquer sur des applications, des contenus, des vidéos ; pour liker des posts sur Facebook, se déclarer fan de tel article ; pour retweeter, follower un compte.

Tout cela moyennant des payements extrêmement faibles (pouvant parfois aller jusqu’à 0,0001 euros). Il y a une forte continuité avec l’activité des micro-travailleurs d’Amazon Mechanical Turk, payés à la pièce, de même qu’avec le travail “actif” d’un utilisateur de Facebook. Ce dernier like aussi des contenus, son like est censé être authentique. Le fermier du clic, lui, ressemble plutôt à un mercenaire de ses usages. Par contre, les deux sont payés 0 euro ou presque 0 euro. Derrière les armées de bots, il y a en réalité des personnes qui cliquent sur énormément de contenus qu’ils n’aiment pas particulièrement. »

« Robot humain »

« Ce terme a été utilisé par Anthony Levandowski, ex-Monsieur véhicules autonomes de Google parti chez Uber. En 2013, il a employé l’expression de “robot humain” pour définir les personnes qui s’occupent de labelliser et de trier à la main les images et les données que les véhicules autonomes ont enregistrées. La voiture autonome est une sorte d’ordinateur sur roues qui enregistre énormément d’informations. Et ces informations ont besoin d’être traitées. Qui fait ce travail ? Ce sont les humains qui se cachent dans les robots.

Le nom commercial Amazon Mechanical Turk fait référence au célèbre canular du turc mécanique, un automate inventé au XVIIIe siècle. Il s’agissait d’un robot, habillé en turc Ottoman, capable de simuler un processus cognitif complexe pour jouer aux échecs. En réalité, il cachait un être humain qui faisait bouger les pièces du jeu d’échecs. Et Amazon a repris cette métaphore, sans aucune ironie. »

« Turker »

« Un Turker est un worker sur Mechanical Turk. Amazon a repris ce terme pour dire : on ne va pas mettre une seule personne à l’intérieur d’un robot mais des foules de micro-travailleurs à l’intérieur de chaque robot. A l’intérieur de chaque entité artificielle, on va mettre des centaines de milliers de personnes qui vont, à la main, parfois simuler le fonctionnement d’un logiciel, parfois entraîner un algorithme, parfois valider et contrôler ce qu’un robot fait. Ils passent derrière pour voir si le robot a bien œuvré. Ce sont des microtravailleurs, payés à la pièce, quelques centimes d’euros pour réaliser ces tâches nécessaires pour entretenir et faire fonctionner les intelligences artificielles actuelles. »

Los trabajadores del clic (Viento Sur, Spain, 11 Feb. 2019)

The Spanish website Viento Sur features a long article penned by Joseph Confavreux reviewing my book En attendant les robots (Seuil, 2019). The French version of this article was originally published by the online magazine Mediapart.

Los trabajadores del clic, nuevos proletarios digitales

¿La perspectiva de la sustitución general del trabajo humano por las tecnologías de la inteligencia artificial es solo un gran bluf destinado a impedir la organización de los nuevos proletarios del sector digital? Analizando los perfiles del digital labor [trabajo digital], el sociólogo Antonio Casilli ha elaborado una gran encuesta sobre el trabajo en el siglo XXI.

Seres humanos que roban el trabajo de los robots, inteligencia artificial que es realmente artificial, un gran engaño tecnológico que es un gigantesco truco de magia ideológico, un trabajo hasta tal punto fragmentado que apenas se ve, “granjeros del clic”, “la parias digitales, produsagers o proletarios del teclado…

Bienvenida al mundo del digital labor, que el sociólogo Antonio Casilli renombra como trabajo del clic en una obra tan amplia como rigurosa, construida como una encuesta basada tanto en las metamorfosis del trabajo en este tiempo digital, como del mismo trabajo digital.

Un término que el libro de este investigador permite por otra parte utilizar sin que se le pueda acusar de anglicismo ya que se trata, para él, de estudiar el trabajo del dedo, sobre la pantalla o el ratón, comparable con el trabajo manual, mientras que el digital labor es a menudo confundido con el trabajo inmaterial. De ese modo se pone el acento en el elemento físico, “el movimiento activo del digitus, el dedo que sirve para contar, pero también que apunta, clica, apoya sobre el botón”, por contraste con la inmovilidad abstracta del numerus, el número en tanto que concepto matemático”, lo que para el investigador es una forma de liberarnos “de una visión de lo numérico entendida exclusivamente como un trabajo de expertos y de sabios”.

Al equiparar el título de su nuevo libro, En attendant les robots (Esperando a los robots, ndt), con la célebre obra de Samuel Beckett, Antonio Casilli nos sumerge en un mundo absurdo, en el que el saqueo del trabajo y la inanidad de la condición humana están organizados por los grandes grupos de la economía digital, que permiten multiplicar las actividades creadoras de riquezas pero no de ingresos.

Ahora bien, el investigador aporta una tesis especialmente sugerente, que va contra las decenas de artículos que nos describen la inteligencia artificial (IA) como el porvenir de humanidad en general y del trabajo en particular. En efecto, según él, la mayor parte de las inteligencias artificiales se asemeja mucho al Turco mecánico descrito por Walter Benjamin en sus Tesis sobre el concepto de historia, en la que un enano, jorobado y jugador de ajedrez, manipulaba las piezas, dando la ilusión de que se trataba de una máquina mediante un juego de cuerdas y un espejo [foto del artíclo].

En materia de IA, los fallos de la innovación son en realidad numerosos y deben ser constantemente paliados mediante un recurso intensivo al trabajo humano para, a su vez, entrenar, enmarcar y suministrar a las máquinas datos fiables y utilizables. Lo que conduce a una situación en la que frecuentemente la IA muestra que no es otra cosa que una “mezcla de becarios franceses y precarios malgaches”; justo lo contrario a la extendida imagen tecnológica y futurista.

El investigador nos obliga así a entender la automatización bajo otro ángulo: “Esta no supone la sustitución de trabajadores humanos por inteligencias artificiales eficaces y precisas, sino por otros trabajadores humanos: -ocultados, precarios y mal pagados”. En efecto, para Casillo no son “las máquinas quienes hacen el trabajo de las personas humanas, sino los humanos quienes se ven obligados a realizar un digital labor para las máquinas”. Esto es particularmente cierto para los vehículos autónomos cuya autonomía es en realidad muy relativa.

Para describir esta situación, Antonio Casillo llega hasta a hablar de gran “bluf tecnológico”, de estrategia de “camelo”, incluso de “IA Washing [lavado, ndt]”, tomando en especial el ejemplo de Google. En efecto, mientras que se pueden leer decenas de artículos sobre las teorías desarrolladas por Ray Kurzweil, escritor transhumanista y empleado en Google, en los que propone trazar el camino de una IA fuerte que obtenga resultados superiores a los sistemas biológicos, su patrón se ha lanzado a una producción de masa de IA débil y “estrecha” que utilizan ampliamente el digital labor de los “parias digitales”.

A pesar del hecho de que a instancias de Godot, la IA que reemplazará al trabajo humano tiene el riesgo de no llegar nunca, sin embargo, se sigue considerando al digital labor como transitorio, en la idea de que “actualmente las máquinas tendrán necesidad de él para aprender a prescindir del mismo mañana”.

Pues si en la actualidad está de moda esta tesis del “gran reemplazamiento tecnológico”, el investigador demuestra que es menos en razón de los avances de la tecnología que de los usos que permite. En efecto, “la automatización, fantasma constantemente agitado por los industriales, produce efectos desde el momento en que simplemente es considerada: ejerce una constricción sobre los trabajadores e introduce una verdadera disciplina en el trabajo. El trabajo se ve amenazado y mal pagado y cada trabajador es potencialmente supernumerario”.

Sin embargo, un estudio de la OCDE basado en 21 países en 2016 mostró la sobreestimación de la posibilidad de automatizar las actuales profesiones. Estimaba ciertamente que aproximadamente el 50% de las tareas son susceptibles de verse considerablemente modificadas por la automatización. No obstante, subrayaba que solo el 9% de los empleos serían realmente susceptibles de ser eliminados por la introducción de inteligencias artificiales y procesos automáticos.

Para Casilli, el capitalismo de las plataformas actuales “recurre abundantemente al mismo truco que utilizaban los propietarios manufactureros del pasado siglo: evacuar las variables sociales de un proceso de innovación tecnológica para hacerle aparecer como una fase necesaria de un progreso indefinido”. Y los robots “solo son en esta operación los avatares cómodos de la voluntad de los propietarios de las plataformas de obstaculizar la constitución de un movimiento de oposición”.

En consecuencia, estima el investigador, “la automatización es ante todo un espectáculo, una estrategia de distracción de la atención, destinada a ocultar las decisiones empresariales que pretenden reducir la parte relativa de los salarios (y más generalmente de la remuneración de los factores productivos humanos) en relación con la remuneración de los inversores”.

Como el horizonte de la completa automatización “aparece inalcanzable, es legítimo interrogarse sobre la función ideológica de ese escenario”, concluye el investigador, estimando que se construye una visión del mundo y del trabajo en la que el “proletariado digital no tendría necesidad de pensarse, de organizarse, ni de imaginar un proyecto colectivo ya que no sería más que la porción residual de un mundo del trabajo humano destinado a la desaparición”.

Sin duda, si el gran reemplazo tecnológico del trabajo no tendría lugar, está claramente en marcha su gigantesco desplazamiento, a la vez geográfico y numérico. En efecto “La inquietud contemporánea sobre la desaparición del trabajo es un verdadero síntoma de la verdadera transformación en marcha: su digitalización”, estima el sociólogo.

Esta digitalización de las tareas humanas empuja al extremo dos tendencias profundas, “la estandarización y la externalización de las tareas”. En efecto, “la especificidad de las tecnologías informacionales actuales en relación con sus antecedentes industriales consiste en la relación que mantienen con el espacio. Como la producción se puede organizar en cualquier lugar, el lugar físico en el que se despliega la automatización no es fijo, ni limitado al perímetro de la empresa”.

Este desplazamiento delega en realidad un “cierto número de tareas productivas a no-trabajadores (o a trabajadores no remunerados y reconocidos como tales”. Y las plataformas adoptan entonces un estilo particular “de gestión de las actividades productivas, que consiste en poner a trabajar a un número creciente de personas, pero situándolas fuera del trabajo, ya que su figura se sitúa fuera de las modalidades clásicas de la relación de empleo”.

El fenómeno que se describe conlos términos de digital labor se hace “posible por dos dinámicas históricamente manifestadas: la externalización del trabajo y su fragmentación”. Estas dos tendencias han conocido puntos de partida y ritmos diferentes, pero “las tecnologías de la información y de la comunicación las reconcilian”. De forma que el “trabajador de las plataformas se encuentra aplastado entre las proclamaciones de independencia y las condiciones materiales que le exponen a bajas o inexistentes remuneraciones, a ritmos y a finalidades heterodeterminadas, a una separación entre su gesto productivo y el fruto de éste”.

Y es justamente porque está fragmentado, parcelado y externalizado, que este trabajo “escapa a la categorías utilizas clásicamente para analizarlo” y que “ya no reconocemos el trabajo que tenemos delante de los ojos”,

“Inflexible flexibilidad del trabajo a petición”

Para aprender a reconocer el trabajo en la época del capitalismo de las plataformas y en la era de lo digital, Antonio Casillo propone estudiar el digital labor como un “movimiento de organización en tareas (tâcheronnisation) [no existe término equivalente en castellano; podría traducirse por tareanización, ndt] y de organización en datos (datafication) [no existe término equivalente en castellano, ndt] de las actividades productivas humanas en la hora de la aplicación de las soluciones de inteligencia artificial”.

A la vez que permanece lúcido sobre el hecho de que este tipo de trabajo amalgama fenómenos diferenciados y “se sitúa en el cruce complejo de formas de empleo no estándar, del freelancing, del trabajo a destajo micro-remunerado, del amateurismo profesionalizado, de ocios monetizados y de la producción más o menos visible de datos”. No se trata pues, o no solamente, de un trabajo gratuito, sino de un “continuum entre actividades no remuneradas, actividades mal pagadas y actividades remuneradas de forma flexible”.

Para clarificar las cosas, el investigador propone distinguir tres tipos de actividades que se subsumen corrientemente bajo los términos de digital labor. En primer lugar, el “digital labor por pedido”, que reagrupa las actividades creadas por las aplicaciones de tipo Uber o Deliveroo, cuyas prestaciones suministran no solo tareas manuales sino que pasan también mucho tiempo produciendo datos.

Para Casilli, aunque en su origen la economía por pedido fue asimilada a fenómenos diferentes, tales como la economía colaborativa, la economía de reparto o la economía circular, en realidad se trata de una actividad de otra naturaleza, marcada por la “inflexible flexibilidad del trabajo por pedido”, que generaliza el trabajo atípico más que abrir una nueva era a la autonomía humana.

A continuación el micro-trabajo, utilizado prioritariamente por las pseudo-inteligencias artificiales que confían a micro-sirvientes lo que era realizado por trabajadores regulares. El investigador utiliza el ejemplo de un trabajo que ocuparía 20 años a un asalariado equipado de un ordenador, un año entero a 20 asalariados en CDD [contrato de duración determinada, ndt] o seis meses a 40 becarios y puede ser realizado todavía de forma más rápida y barata gracias a la fragmentación de las tareas.

La encarnación de este nuevo tipo de trabajo es el servicio de Amazon, bautizado Turco Mecánico, gracias al cual la empresa puede, por ejemplo, publicar un anuncio pidiendo a 500.000 personas que transcriban dos líneas cada una. Tal servicio permite “reclutar a centenares de miles de micro-sirvientes situados en todos los lugares del mundo para filtrar vídeos, etiquetar fotos y transcribir documentos que las máquinas no son capaces de realizar”.

Contrariamente a las plataformas de trabajo por pedido, en las que los recientes conflictos sociales han permitido, puntualmente, hacer reconocer la relación de sujeción entre el prestatario y las empresas que organizan el trabajo en el siglo XXI, las reglas de gestión algorítmica del trabajo y las condiciones de contractualización del micro-trabajo oscurecen todavía aquí las pistas.

En efecto, en los “en los ecosistemas de micro-trabajo -escribe Casilli-, la actividad de producción de valor se hace discreta y, debido al estallido geográfico, los trabajadores no encuentran interlocutores patronales frente a ellos, como en el caso de Uber y otros Deliveroo”. Amazon encarna perfectamente el “papel de plataforma neutra, de útil técnico de puesta en contacto que desintermedia el trabajo y desaparece en tela de fondo”, como si fuera un “tercer beneficiario”.

En fin, el sociólogo distingue el “trabajo social en red” realizado por cualquiera que alimenta en datos, por el uso que hace de internet, los gigantes de la economía numérica. Antono Casilli da cuenta del debate que opone, sobre el tema, a dos perspectivas representadas por los “laboristas” y los “hedonistas”.

La primera “entiende la participación sobre los medios sociales como una relación social relacionada con el trabajo y caracteriza la apropiación por las grandes plataformas del valor que resulta como una relación de explotación. La otra interpreta el produsage como la expresión de una búsqueda de placer y una participación libremente consentida en una nueva cultura del amateurismo y, a por ello, niega la pertinencia misma de la noción de digital labor”.

Para Casilli, esta diferenciación se presenta, de forma demasiado tajante, como un conflicto de obediencias, “en la que los dos campos se acusan recíprocamente de ser, cada uno, una cábala de universitarios marxistas o una emanación de la investigación industrial del sector de lo numérico”. En una perspectiva próxima al marxismo, en el sentido en que este último define como trabajo todo lo que fecunda al capital, el investigador considera que “encerrando a sus usuarios en el papel de amateurs felices y desinteresados, los medios sociales buscan también mantener aparte uno de los elementos constitutivos de la dialéctica entre trabajo y capital: la conflictualidad”.

Una posición que permanece discutida, incluso cuestionada, por otros investigadores que trabajan sobre la economía numérica, especialmente los que prefieren hablar de extracción de valor que de trabajo, en la medida en que sigue siendo difícil medir el valor de un like o considerar sus fotos de vacaciones en Facebook como trabajo, incluso aunque ello contribuya a valorizar la empresa de Mark Zuckerberg.

Cualquiera que sea la extensión que se prefiera dar al perímetro del digital labor, Antoine Casilli pone el dedo sobre varios efectos importantes de la recomposición del trabajo en la era digital. El primero consiste en el hecho de que “el recurso a la deslocalización con el objetivo de una compresión de costes o de una racionalización de la cartera de las sedes de una empresa no solo afecta exclusivamente a las multinacionales. En lo sucesivo, el offshoring [externalización, deslocalización, ndt] es un proceso en cascada”.

Se produce así una nueva división internacional del trabajo ya que las tareas menos nobles “son habitualmente delegadas en los países asiáticos o africanos”, contribuyendo a que el digital labor sea muy frecuentemente invisible “para los ojos europeos”. Esta situación de hecho obliga a reactualizar el debate sobre las desigualdades Norte/Sur, aún cuando Casilli no endosa los términos de neocolonialismo numérico que circulan a veces para describir la actividad de los gigantes del sector, aunque solo sea porque “los países del Norte no son los únicos motores de la economía numérica” y que China, especialmente, forma parte de los que explotan los nuevos servidores de lo numérico.

El segundo es la “nivelación por abajo de las condiciones de trabajo y de remuneración a escala mundial” que el investigador muestra que coincide con una recomposición importante del capitalismo globalizado en este último decenio. En efecto, escribe, “el desarrollo de las plataformas numéricas ha coincidido con la crisis de la deuda y la crisis financiera de finales de los años 2000, marcada por un elevado desempleo, una congelación de los salarios, un declive de las protecciones sociales y una profundización de las desigualdades”.

El intento de hacer bajar todavía más el precio del trabajo mediante las deslocalizaciones ha podido enfrentarse “a políticas disuasivas de fiscalidad y a los costes de las inversiones necesarias para la apertura de instalaciones físicas en terceros países”. Y las soluciones, masivamente utilizadas durante los Treinta Gloriosos [se entiende con este término al período de mayor desarrollo del capitalismo en los países desarrollados, comprendido entre el final de la II Guerra Mundial, 1945, y la crisis petrolera de 1973, ndt], de introducción de la mano de obra extranjera, han caído “bajo el golpe de políticas migratorias cada vez más draconianas”.

La plataformización ha supuesto pues “una salida a esta doble constricción, al instaurar una libertad de circulación ‘virtual’ de la mano de obra planetaria” y permitiendo “transferencias no presenciales de poblaciones”. De hecho, “lejos de suavizar la dureza de las políticas migratorias de los países americanos y europeos respecto a la mano de obra inmigrada, el digital labor desempeña un papel perverso de facilitador de una explotación a distancia”.

El investigador estima pues que para los “capitalistas de las plataformas”, que hacen creer a los jóvenes occidentales que no tienen más que practicar un ocio productor de valor y condenan a la precariedad toda una parte de la fuerza de trabajo global, se trata de “fragilizar el trabajo para mejor evacuarlo, a la vez como categoría conceptual y como factor productivo a remunerar”.

¿Se puede, entonces, escapar de esta constatación tan desesperante como inquietante? Casilli describe algunas iniciativas y luchas para el reconocimiento de las yt los trabajadores de las plataformas, que se anudan esencialmente alrededor de dos estrategias. Una se esfuerza de ensanchar al digital labor las conquistas sociales que precedentemente habían estado ligadas con el empleo, como han hecho algunos repartidores de Deliveroo o chóferes de Uber, pero exige, estima, “tomar en consideración la dimensión planetaria del digital labor”.

La otra, todavía emergente, se basa en repensar la relación “entre usuarios-trabajadores e infraestructuras de colecta y tratamiento de datos al criterio de la gobernanza de los comunes para concebir modalidades nuevas de distribución de los recursos”. En el marco de esta estrategia, sería posible “otra plataformización”, a la manera de Coopify, cooperativa de trabajadores al pedido alternativo en TaskRabbit, de AllBnB sustituto de AirBnB, o también de CoopCyicle que los repartidores prefieren a Foodora.

Sin embargo, para Casilli, “ni el arsenal sindical ni la respuesta liberal aportan solución satisfactoria al problema de la remuneración del digital labor”. El investigador propone pues no escoger entre una y otra estrategia sino, de forma más real, establecer un “ingreso social numérico” que estaría basado en el impuesto y también sobre la restitución a los comunes de lo que “se produce socialmente”.

Forzando a las plataformas actuales a renunciar a su opacidad y a su voracidad, e inspirándose en la tradición mutualista, sería posible pasar a modelos no depredadores de plataformas que entonces no tendrían ninguna razón para agitar el espectro de la automatización para disciplinar la fuerza de trabajo.

Para Casilli, estas plataformas renovadas cumplirían así su función original: “La sustitución de la propiedad privada por la propiedad social, sobrepasar el trabajo forzado por un trabajo sin coerción y reemplazar los enclaustramientos por infraestructuras verdaderamente comunes”.

Esperando la realización de este amplio programa es tiempo ya de plantearse sobre la forma como firmamos ciegamente las famosas CGU, o “Condiciones Generales de Utilización”, que muestran ser, en realidad, contratos leoninos que fijan los marcos de nuestra alienación.

Como recuerda Antonio Casilli, la plataforma de jobbing [trabajador a destajo, ndt] de estudiante americano Sweeping o las de tareas domésticas a pedido TaskRabbit llegan hasta a amenazar a sus usuarios con la reclamación de indemnizaciones si presentan denuncias para exigir la reclasificación de sus actividades o solicitar las cotizaciones sociales no pagadas…

https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/100119/les-travailleurs-du-clic-nouveaux-proletaires-du-numerique

Dans Les Echos (8 févr. 2019)

Dans Les Echos, un compte rendu de mon ouvrage En attendant les robots (Seuil, 2019).

L’IA ne menace pas le travail, mais le salariat

REMY DEMICHELIS

LIVRE. Dans son dernier ouvrage, le sociologue Antonio Casilli explore une face méconnue de l’intelligence artificielle : celle du travail humain qu’elle requiert. Mais pas celui des ingénieurs, celui de millions de tâcherons.

Derrière les robots se cachent parfois… des humains. De la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe, un automate connu sous le nom de « Turc mécanique » a ainsi dupé les grands de ce monde : il pouvait soi-disant jouer (très bien) aux échecs. Sauf qu’il dissimulait un humain qui le manipulait. Aujourd’hui, Amazon Mechanical Turk revendique la filiation en proposant de prendre en charge toutes les menues tâches pour lesquelles il est encore besoin de l’intelligence humaine.

Toutes plates-formes confondues, ce sont des millions (5,8 millions pour les microtâches) de tâcherons du clic qui s’activent ainsi à modérer des contenus, les classer, les noter. Soit ils se font passer pour des robots, soit ils entraînent des algorithmes d’apprentissage automatique. Leur rétribution moyenne est de deux dollars de l’heure, avec l’espoir lointain et illusoire de rémunérations plus importantes et d’une liberté vis-à-vis de l’employeur.

« Leur ‘soif de liberté’ […] n’a manifestement pas plus de chances d’être étanchée que leur quête de stabilité dans l’emploi d’être atteinte » , écrit le sociologue Antonio A. Casilli.

Il perçoit ce phénomène comme consubstantiel de l’exploitation des données produites par les internautes qui, eux, ne sont pas rémunérés malgré la valeur qu’ils peuvent générer, mais aussi de l’externalisation : quand le site leur demande de prendre en charge une tâche autrefois effectuée par l’entreprise. « L’automation consiste principalement en de la plateformisation et la plateformisation essentiellement en de l’outsourcing. »

Il plaide ainsi pour que le droit intègre pleinement ces travailleurs du clic, qu’ils soient conscients ou non d’effectuer une tâche pour la plate-forme. Quant à la rémunération des personnes, elle peut passer autant par une rétribution directe qu’un « revenu social numérique » , il faudra dans tous les cas mieux garantir la portabilité des données pour que l’usager puisse revendiquer plus de liberté.

« En attendant les robots », Antonio Casilli, Seuil, 2019, 400 pages, 24 euros.

Grand entretien dans l’Humanité (1 févr. 2019)

Dans le quotidien L’Humanité, je m’entretiens avec la journaliste Kareen Janselme à propos de mon ouvrage En attendant les robots : Enquête sur le travail du clic (Éditions du Seuil, 2019).

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« Avec l’intelligence artificielle, le travail devient plus volatil, plus précaire » Antonio A. Casilli

Entretien réalisé par Kareen Janselme

Derrière le mirage et l’illusion de l’IA, se cachent en réalité une multitude d’opérateurs humains fragilisés qui constituent les nouveaux prolétaires d’aujourd’hui, dénonce le sociologue et maître de conférences dans son livre passionnant et très documenté En attendant les robots, enquête sur le travail du clic (Seuil).

Dans ce livre au titre provocateur à la Beckett, vous tentez de lever le voile sur le grand bluff de l’intelligence artificielle et de son pendant : la peur qu’elle inspire au monde du travail, qui s’inquiète d’un remplacement des êtres humains par les robots. Pourquoi le travail ne va-t-il pas disparaître ?

Antonio A. Casilli Quand on évoque l’intelligence artificielle (IA) dans le langage courant, on entend la plupart du temps « machine learning ». Cet « apprentissage machine » est un sous-domaine en train d’exploser. Or les machines ont besoin de millions d’exemples pour pouvoir apprendre. Et ce sont les êtres humains qui entraînent, qualifient, précisent, départagent les faux exemples des bons, etc. Plus vous introduisez sur un marché des solutions intelligentes, plus vous avez besoin d’êtres humains qui entraînent ou valident ces mêmes solutions technologiques. Du coup, vous faites monter la demande de travail humain. L’humain est inéliminable. L’automation complète est logiquement impossible, car telle qu’elle est structurée aujourd’hui, l’IA vise à mettre en place une « intelligence artificielle faible » soit tout au plus des assistants de la décision humaine (comme les commandes vocales Siri, Cortana). On est en train de construire quelque chose de différent de ce que l’on nous promet : une intelligence artificielle vraiment artificielle. Les machines sont en fait bel et bien des hommes qui calculent. Je fais le pari intellectuel qu’il y aura donc de plus en plus de travail humain, mais plus précaire, plus volatil, moins protégé. Déjà, le discours marketing des entreprises productrices d’IA consiste à l’invisibiliser. On ne parle pas de travail, mais de « collaboration » chez Uber. Chez Amazon Mechanical Turk, on appelle les travailleurs des « participants » ; sur Facebook, on évoque des usagers, des you-tubeurs, des contributeurs… Tout un éventail de termes pour mettre à distance le travail, pour le désarmorcer en tant que force sociale. Celle-ci a une histoire de plusieurs siècles, avec des personnes organisées, des institutions et des droits gagnés grâce à des siècles de luttes sociales. C’est comme si les producteurs d’IA voulaient tout effacer. En désamorçant la terminologie même du travail, on cherche à mettre à distance toutes les possibilités de reconnaissance et d’organisation du travail.

Qu’est-ce donc que ce « digital labor » que vous divisez en trois familles ?

Antonio A. Casilli Le « digital labor » est un travail tâcheronisé et datafié. Il pousse à l’extrême les logiques tayloristes de fragmentation de l’activité humaine et de standardisation de ces mêmes gestes productifs jusqu’à arriver à la microtâche la plus simple du monde : le clic sur une souris d’ordinateur, opéré par un doigt, le « digitus » d’où ce nom de « digital labor » et non pas de travail numérique. Vient ensuite le critère de datafication. Ce travail produit de l’information sous forme de données. Dans la seconde moitié du XXe siècle, on a introduit des systèmes de surveillance de l’activité et de comptage de la production que les plateformes exacerbent aujourd’hui en faisant émerger un nouveau type de travail. Un travail tellement fragmenté, tellement datafié qu’on n’arrive presque plus à le reconnaître en tant que tel car il est fondé sur des activités non ostensibles. Dans mon livre, j’identifie trois familles principales : le « digital labor » à la demande (Uber, Deliveroo), le travail social en réseau (Facebook, Instagram) et le microtravail. J’insiste beaucoup sur l’exemple des microtâcherons. Des plateformes comme Amazon Mechanical Turk, Clixsense, Upwork mettent en relation des entreprises – appelées des « requérants » et jamais des « employeurs » – avec des microtravailleurs qui réalisent des microtâches. Celles-ci peuvent durer quelques minutes à peine et sont payées quelques centimes. Ces tâches sont importantes parce qu’elles sont le nerf de la guerre autour de l’IA, servant à enseigner aux machines. Il existe aussi des microtâcherons d’un type particulier, qui produisent de la fausse viralité ou du faux visionnage de vidéo sur YouTube… On rentre dans une espèce de marché noir de ce marché invisible et la situation devient plus complexe, les conditions de travail sont encore plus désatreuses et plus précaires. Et les rémunérations sont très faibles, jusqu’à 0,0006 centime la tâche…

Ces petites mains du Net sont présentes partout sur la planète, mais où se concentrent-elles ?

Antonio A. Casilli La répartition géographique est extrêmement parlante. Nos données pointent une véritable polarisation entre des pays du Nord qui recrutent des microtravailleurs situés dans des pays émergents ou en voie de développement. Il semblerait qu’il y ait une reproduction de certains déséquilibres asymétriques de nature coloniale. Mais la situation est plus complexe : ainsi l’Inde et la Chine ne sont pas simplement les proies des plateformes capitalistes du Nord, mais elles-mêmes possèdent des plateformes imposantes et importantes en termes d’effectifs. En Chine, le marché des Weikey (marché de l’information à la demande) concernerait 300 millions de personnes. Qui attire-t-il ? Aux États-Unis, ce sont plutôt des femmes ayant déjà un travail, avec un bon niveau socio-économique et culturel, travaillant chez elles dans des zones urbaines. La situation est différente dans les pays du Sud. On y trouve une majorité de personnes s’identifiant comme hommes avec une haute qualification, mais aussi des personnes à peine capables d’écrire et de lire, dont c’est la première source de revenus, qui s’organisent pour travailler ensemble dans des zones rurales ou périurbaines. Ils travaillent suivant le rythme des annonces de microtâches publiées sur ces plateformes. Quand la journée de travail se termine en Europe ou aux États-Unis, elle commence en Inde ou en Indonésie. Les journées de travail ne s’arrêtent jamais sur ces plateformes. On appelle cela un cycle solaire de 24 heures, avec un marché du travail qui ne dort jamais. On y trouve des tâches abrutissantes, parfois de modération de contenus problématiques : imaginez que vous êtes un travailleur indien, musulman, et que vous devez regarder à longueur de journée des vidéos porno pour les modérer. Sans parler des lieux de travail : des cybercafés, ou des usines à clic situées dans d’anciens hangars désaffectés transformées en fermes de microtravail en Chine, où des personnes doivent cliquer manuellement sur des milliers de smartphones.

Trouve-t-on en France des « tâcherons du clic » ?

Antonio A. Casilli Oui. Parce qu’on trouve des plateformes qui font du microtravail en France : Fullfactory est une plateforme française de microtravail qui déclare comme effectif 50 000 personnes et qui cherche à respecter tout un ensemble de règles françaises. Mais les plateformes n’assument pas leur rôle d’employeurs principaux et reportent la responsabilité de la protection sociale sur les travailleurs. Ça nous invite à la même vigilance que nous exerçons sur les plateformes internationales. Ce qui se passe aujourd’hui en France avec ces microtâcherons du clic payés à la pièce nous renvoie à une situation qu’on croyait avoir dépassée, celle du XIXe siècle, avec l’omniprésence du marchandage. Ce système était plutôt organisé comme une espèce d’artisanat très répandu dans lequel il y avait des micro-artisans, des tâcherons, des piéçards qui réalisaient du travail payé à la pièce. Ce type d’exploitation posait problème et on a décidé de tourner la page en passant à un autre système : l’institution salariale, encadrée formellement avec un ensemble de droits et de responsabilité. Elle est aujourd’hui mise en danger par ces acteurs économiques qui se définissent comme des plateformes numériques.

Comment éviter cette déviance et agir pour défendre les travailleurs ?

Antonio A. Casilli Mon livre n’est pas optimiste, même si je dis que les humains ne vont pas remplacer les robots. La mauvaise nouvelle, c’est que d’autres humains moins bien payés et plus exploités vont remplacer les personnes qui sont au travail aujourd’hui. Mais des issues existent déjà. La première, c’est le renouveau d’une approche syndicale à ce type de travail. Il y a des recours collectifs de centaines de personnes contre Google qui ont utilisé pendant des années ReCAPTCHA (1) et qui veulent être requalifiées en salariées. Récemment, la décision de la cour d’appel de Paris considérant les livreurs Uber comme des salariés est intéressante. Les grandes centrales syndicales FO, CGT, SUD, CGIL en Italie, IGMetall en Allemagne sont extrêmement présentes et depuis longtemps sur ces métiers-là, mais avec des disparités qui apparaissent au sein de ces organisations. Des coordinations de base, plus ou moins spontanées, de guildes, d’associations de travailleurs ou de simples usagers des plateformes créent aussi leur propre syndicat pour faire accepter certaines revendications. Une deuxième piste consiste à construire des plateformes qui ne soient pas exclusivement basées sur des logiques capitalistes, d’où l’idée du coopérativisme de plateforme. Ce mouvement existe depuis 2015, avec des personnes qui me sont proches comme Trebor Scholz, ou d’autres en Europe, qui cherchent à revitaliser les coopératives existantes en les aidant à se saisir des outils numériques, et à coopérativiser ou mutualiser les plateformes pour qu’elles acceptent, par exemple, une participation collective à la gestion des algorithmes, à la répartition de la valeur, à l’établissement de certaines règles et comportements et de conditions d’utilisation. Enfin, une troisième idée très intéressante serait de revenir à l’esprit originaire des plateformes du XVIIe siècle, soit un projet politique qui vise à dépasser la propriété privée, à dépasser le travail subordonné et à assurer une gestion commune, un faisceau de droits bien organisés pour l’accès à ces plateformes, à ces informations, à ces valeurs. Une plateforme respectueuse autant des communs numériques que des communs naturels.

Vous terminez votre livre en apportant votre pierre aux discussions sur le revenu universel…

Antonio A. Casilli Il y a vingt ans, le revenu universel n’intéressait que quatre gauchistes et quelques libertaires. Aujourd’hui, vous vous retrouvez avec Marc Zuckerberg et le Mouvement 5 étoiles en Italie, qui met en place un revenu universel, en fait une petite aide pour les chômeurs, voire même plutôt pour les entreprises qui vont les embaucher… Il y a vraiment une énorme confusion. Moi, j’insiste sur un revenu universel inconditionnel, versé, toutes prestations sociales égales par ailleurs. Mais à quelle ressource productive faut-il le relier ? À mon sens, c’est la quantité énorme de données, de richesses et de services qu’on produit sur ces plateformes qui doit être considérée pour mettre en place une fiscalité du numérique adaptée à ces plateformes, et ne pas les imposer sur la base exclusive de leurs profits parce qu’il y a mille manières d’y échapper, mais plutôt sur la base du nombre d’usagers pour chaque pays. En 2013, le rapport Collin et Colin de Bercy parlait déjà du travail invisible des usagers des plateformes et de la mise en place d’une fiscalité sur cette base. Je fais un pas supplémentaire en disant que cette fiscalité doit servir à payer un revenu universel numérique.