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Interview pour l’Institut Français (14 mai 2019)

RencontreDébat d’idées

Antonio Casilli
Les géants du Net ont le pouvoir de décider ce que nous regardons et apprenons

Au lendemain de l’adoption de la directive portant sur le droit d’auteur en mars 2019, le sociologue français Antonio Casilli, spécialiste des réseaux sociaux et auteur de En attendant les robots, Enquête sur le travail du clic (Seuil, 2019), nous livre son regard sur les géants du Net, l’Intelligence Artificielle et les désillusions provoquées par la transformation digitale globalisée.

Antonio Casilli est maître de conférences en humanités numériques à Télécom ParisTech et chercheur associé au LACI-IIAC de l’EHESS.

Antonio Casilli

Quelle place occupent les géants du Net à l’heure actuelle ?

Il faut bien s’entendre sur ce que l’on appelle les géants du net. En plus des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), il faut inclure d’autres grandes entreprises comme IBM, Baidu et Alibaba côté chinois, Naver – l’équivalent de Google en Corée… Ce sont des plateformes oligopolistiques, c’est-à-dire relativement peu nombreuses et qui ont tendance à phagocyter les concurrents plus petits : elles occupent sur leur marché une position d’hégémonie, avec une concentration des pouvoirs dangereuse d’un point de vue économique et qui menace également les libertés publiques. Qui dit pouvoir économique dit aussi pouvoir sur les imaginaires et sur la production culturelle : ces entreprises ont en effet tendance à standardiser la production culturelle. Elles y parviennent moins en soutenant directement des contenus qu’en mettant en place des pratiques indirectes de sélection « algorithmique », de modération « automatique » et de distribution des œuvres…Ces entreprises ont en effet tendance à standardiser la production culturelle

Comment limiter leur puissance ? La voie législative est-elle une réponse ? 

L’approche par la règlementation ne suffit pas et peut même s’avérer contreproductive, comme l’attestent deux initiatives récentes au niveau européen. La directive dite « copyright » adoptée le 26 mars 2019, qui réglemente le droit d’auteur sur internet ; et le règlement européen pour la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne adoptée en première lecture par le Parlement européen le 17 avril 2019. La première donne aux plateformes un pouvoir de censure sur le contenu qu’elles hébergent. Il ne sera ainsi théoriquement plus possible de partager ne serait-ce qu’une citation sur Facebook, au nom de la protection du droit d’auteur. Que cette crainte s’avère fondée ou non dépend des choix des plateformes numériques, qui ont ici une marge de manœuvre énorme… Le règlement, quant à lui, prévoit que les juges puissent demander de retirer en une heure de n’importe quelle plateforme un contenu qu’ils jugent douteux. Or, aucune plateforme ne pourra respecter cette obligation sans utiliser les outils de filtrage développés par les GAFAM. La censure en ligne se verrait alors massivement gérée par les géants du Net, les sites les plus petits n’ayant pas la capacité de modérer leur contenu eux-mêmes 24 heures sur 24.

La directive a fait couler beaucoup d’encre dans les médias, alors que le règlement est passé quasi inaperçu, ce qui est particulièrement grave considérant que ces nouvelles règles ont toutes deux des conséquences importantes sur ce que l’on peut dire et faire sur internet. Elles donnent aux géants du Net le pouvoir de décider ce que nous allons regarder et apprendre. C’est une démarche qui aurait mérité plus de réflexion de la part de nos hommes politiques : ils viennent d’offrir à ces plateformes un immense pouvoir sur notre culture.Elles donnent aux géants du Net le pouvoir de décider ce que nous allons regarder et apprendre

L’Europe cherchait cependant à contrer les géants américains…

En réalité, la France et les États-Unis vont hélas dans le même sens. Malgré les textes de loi et une posture affichée d’opposition à la Silicon Valley, l’Europe reproduit les mêmes mécanismes oligopolistiques, sans offrir d’alternative. Les initiatives nationales n’ont pas une meilleure éthique que les géants du Net : les startups et les « pépites » du secteur technologique français auront probablement elles aussi recours à des travailleurs sous-payés aux Philippines ou à Madagascar… N’est-on pas  en train de s’inventer une virginité éthique alors qu’au fond, on se heurte aux mêmes contradictions morales, voire politiques – puisque cela touche au droit du travail ?

Ces travailleurs sous-payés font partie de ces « travailleurs du clic » que vous évoquez dans votre dernier ouvrage, En attendant les robots… 

Les travailleurs du clic vont de l’utilisateur lambda qui signale un contenu jugé illégal au modérateur bénévole payé en nature ou micropayé quelques centimes et délocalisé aux Philippines… Ils permettent d’améliorer la qualité des contenus, à l’image de ce que fait YouTube, qui identifie et supprime les contenus vidéos les plus controversés, mais se fait aussi police et juge de la propriété intellectuelle quand elle fait supprimer des contenus dont le droit d’auteur n’est pas respecté. Or les plateformes prétendent effectuer ce travail à l’aide de robots intelligents – les fameux « bots ». Il s’agit en réalité d’une exploitation du travail humain.

Le droit d’auteur peut-il s’appliquer à l’Intelligence Artificielle ?

Croire qu’une Intelligence Artificielle puisse ressembler à l’intelligence humaine et développer une capacité créative est un pur fantasme. La création vient exclusivement de l’inventeur de cette Intelligence artificielle, et c’est donc cette personne, humaine, qui en est l’auteur. Si l’on pousse la réflexion encore un peu plus loin, on peut dire que ce n’est pas seulement l’ingénieur ou le propriétaire qui en est l’auteur mais que ce sont tous les collectifs, voire les foules de travailleurs du clic qui permettent à l’IA de fonctionner en lui fournissant des données en permanence. D’ailleurs, le terme Intelligence artificielle devrait être remplacé par celui de machine learning qui décrit mieux le phénomène.Le terme Intelligence artificielle devrait être remplacé par celui de machine learning

Quel conseil donneriez-vous aux dernières générations d’internautes ?

Il y a un travail d’information et d’éducation à mener, pour les plus jeunes mais aussi pour les enseignants et les parents. Le numérique doit être enseigné car personne n’est en réalité « natif du numérique ». Ma recommandation : éduquez-vous, et renseignez-vous.

Bye bye, La Grande Table

Le vendredi 19 juillet 2013, Caroline Broué a accueilli une délégation des chroniqueurs de La Grande Table pour un dernier épisode avant la fin de la saison – et avant de démobiliser « la brigade ». Par ce terme on a désigné, dans le jargon propre à l’émission, le groupe d’une cinquantaine d’écrivains, artistes, chercheurs et intellectuels assortis qui a animé la première partie du magazine culturel du midi sur France Culture. Je l’avais intégré en 2011, sur invitation de Caroline même, et de Raphaël Bourgois, producteur de l’émission. Une expérience enrichissante, qui m’a permis de rentrer dans l’actualité des débats intellectuels français et internationaux, de sortir quelque peu de mon rôle de “docteur ès geekeries”, de côtoyer des personnes que j’admire, et – parfois – de me disputer avec eux à l’antenne 😉

La Brigade de la Grande Table dans les locaux de France Culture. De gauche à droite : (debout) Tobie Nathan, Pascal Ory, Gérard Mordillat, Mathieu Potte-Bonneville, Fabienne Servan-Schreiber, Antonio A. Casilli, Caroline Broué, Dominique Cardon, (assis) Christophe Prochasson, André Gunthert, Raphaël Bourgois.

 

C’est le moment donc de remercier tou(te)s : les autres brigadistes/brigadiers, les journalistes, les producteurs, les stagiaires et les techniciens (la quantité de gens nécessaire pour faire marcher une émission…). Et je vous laisse avec une petite sélection de podcasts d’épisodes de La Grande Table auxquels j’ai eu le plaisir de participer :

L’accès ouvert aux revues en sciences humaines et sociales – 15.04.2013

Beppe Grillo et le populisme 2.0 en Italie – 28.03.2013

Guy Debord à la BNF – 22.03.2013

A propos du rapport de l’Académie des Sciences L’enfant et les écrans – 08.02.2013

Pour les 30 ans du protocôle TCP/IP – 29.01.2013

– A l’occasion de la parution de Karaoke Culture de Dubravka Ugresic – 31.12.2012

A l’occasion du colloque BNF Comprendre le phénomène pro-ana – 29.11.2012

Nouvelles mythologies : de la voiture au smartphone – 04.10.2012

La NSA et le loi LOPPSI : extension du domaine de la surveillance sur Internet – 23.05.2012

Pour le centenaire d’Alan Turing – 25.04.2012

L’affaire Megaupload : le début de « l’Internet de plomb » ? – 08.02.2012

L’intimité à l’épreuve des réseaux sociaux numériques – 05.01.2012

La BnF, Guy Debord et le spectacle schizophrène du droit d'auteur

[Mise à jour du 01 avril 2013 10h29. Ce billet a été republié sur le Huffingtonpost et traduit en anglais sur le site Web Notbored.org. Parmi les blogs ayant repris l’information, je signale celui d’Olivier Ertzscheid (Affordanceinfo) et celui d’Olivier Beuvelet (Mediapart). A lire aussi, le blog de la section FSU de la BnFà propos du “rayonnement en interne” de mon texte…]

Il y a quelques jours je me suis rendu – avec une petite délégation de France Culture – à la Bibliothèque Nationale de France pour visiter l’exposition Guy Debord : Un art de la Guerre. L’ouverture officielle n’étant que le 27 mars 2013, l’idée était de jeter un œil à cette collection en cours de montage de notes, photos, films et textes du père du Situationnisme, afin de préparer cette émission de La Grande Table avec Caroline Broué consacrée à l’héritage de Guy Debord.

Seul hic : nous avons été accueillis par des responsables de la communication externe de la BnF, qui n’ont visiblement pas apprécié mon initiative de prendre quelques photos pour les publier éventuellement sur mon fil Twitter et sur mon blog. Peur du (mauvais) buzz ? Difficulté à saisir les logiques des médias numériques ? Pas du tout : la raison invoqué est – un roulement de tambour, s’il vous plait ! – le droit d’auteur. Ma requête s’est donc heurtée à un refus catégorique une première fois en face-à-face, ensuite par téléphone. Le reste de la dispute s’est déroulé par mail 48 heures durant.

L’essentiel de nos échanges, dont je ne reproduis pas ici le verbatim pour d’évidentes raisons de respect de mes interlocuteurs, mérite d’être consigné dans ce blog. Il nous aide à comprendre le fonctionnement d’une grande institution étatique comme la BnF à l’heure des enclosures des biens communs de la connaissance, et jette une lumière crue sur sa schizophrénie manifeste à l’égard de la question du droit d’auteur : sur-protégé quand il s’agit de ses œuvres ; dédaigné quand il s’agit de celles des autres.

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"Les pirates, c’est tout le monde": Interview d'Antonio Casilli dans Chronic'art (n. 76, mars/avril 2012)

Dans le numéro 76 du magazine culturel Chronic’art, Cyril de Graeve interviewe Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) : heures et malheures du copyright.

Antonio Casilli est sociologue, maître de conférences en «Digital Humanities» à Télécom ParisTech et chercheur au centre Edgar-Morin de l’EHESS, auteur de Les Liaisons numériques – Vers une nouvelle sociabilité? (Seuil). On l’écoute.

Chronic’art : Quel est votre avis sur ACTA, PIPA, SOPA, Hadopi, toutes ces tentatives de législation qui semblent brider Internet et jeter la suspicion sur l’acte de partager une œuvre ?

Antonio Casilli : J’ai, à plusieurs occasions, déclaré publiquement mon opposition à ces initiatives. Le contexte actuel est caractérisé par le dépassement du Copyright. C’est une dynamique généralisée, répandue dans tous les contextes d’usage du numérique. Je le vois très clairement dans mon activité d’enseignant-chercheur : mes étudiants partagent des MP3 avec moi, mes collègues téléchargent librement mes articles, les institutions qui évaluent mes recherches demandent le partage non commercial de mes travaux. Les pirates, c’est tout le monde : des enfants, des femmes au foyer, des fonctionnaires de l’Etat. SOPA, ACTA et Hadopi visent a restaurer un ordre culturel désormais révolu. Le pire est que le partisans de cette restauration ne se gênent pas pour invoquer des méthodes répressives dignes des pires régimes totalitaires. La censure aujourd’hui se fait appeler «défense du droit d’auteur». Nous ne sommes pas face a un filtrage « souple » des contenus reconnus comme contraires a la loi, comme l’affirme Eli Panser dans son livre The Filter Bubble. Au contraire, c’est le retour de la répression bête et méchante qui passe par la fermeture abrupte des sites Web, les arrestations spectaculaires, l’opprobre jeté sur les militants de l’autre camp. Par delà les convictions personnelles, qui poussent certains de mes collègues a être en faveur de la protection du Copyright, je ne vois pas comment on peut défendre des méthodes pareilles…

Internet, ce nouveau monde dans le monde, n’est-il pas quelque chose de spécifique qui implique un traitement juridique particulier?

C’est une question délicate, qui renvoie a une doctrine juridique très controversée : l’exceptionnalisme d’Internet. Elle consiste a dire que le Web est une réalité sociale à part, où les règles du «vrai monde» ne peuvent pas s’appliquer. Mais mes travaux vont dans un autre sens. Internet n’est pas un univers séparé de notre quotidien. Au contraire, il est l’un de nos contextes d’interaction sociale. Si des nouveaux comportements s’affirment en ligne, ils s’affirment aussi dans le monde hors-ligne. ll faut plutôt envisager la question en termes d’exclusivité des biens. En économie, on appelle « biens rivaux» tout ceux dont la consommation par un acteur implique l’exclusion d’autres acteurs : si je mange un fruit, j’exclus la possibilité que d’autres en mangent. D’autres biens sont «non rivaux» : les infrastructures, les biens publics… Or, les biens numériques sont principalement non-rivaux : si je regarde une vidéo, cela n’empêche pas d’autres de la regarder. C’est pourquoi certains considèrent le Web comme un bien commun à part entière et prônent l’abrogation du Copyright et la mise en place d’un système de Creative Communs.

La guerre du copyright. Podcast d’Antonio Casilli (France Culture, La Grande Table, 08 févr. 2012)

Podcast de La Grande Table, le magazine culturel de la mi-journée sur France Culture, consacré à l’affaire Megaupload et à la guerre du copyright. Pour en parler avec Caroline Broué, les historiens Pascal Ory et André Gunthert et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Pour écouter d’autres podcast d’Antonio Casilli sur France Culture.

Alors que le débat sur la loi SOPA (Stop Online Piracy Act), en cours d’examen par le Congrès des États-Unis, fait rage dans la presse, le FBI s’octroye une petite partie de plaisir à Hong Kong et en Nouvelle Zélande, pour aller fermer une entreprise, Megaupload, qui héberge et diffuse des fichiers – souvent sans se soucier si les usagers qui partagent sont les ayants droit de ces contenus. D’où les frasques avec la justice étasunienne, qui conduisent à l’arrestation de son PDG Kim Dotcom.

La fermeture du célèbre site de partage marque le coup d’envoi d’une nouvelle saison de conflictualités politiques portant sur la propriété intellectuelle et sur le rôle des cultures numériques. Les lobbys des géants de l’industrie musicale et le président Sarkozy saluent l’opération du FBI comme une victoire de la “logique Hadopi”. Les Anonymous ménent des attaques en masse contre le site Web de l’Élysée, bloquent celui du FBI et mettent en ligne le cataloque Vivendi Universal. D’autres acteurs de la société civile se désolidarisent de Megaupload, accusé de exploiter à des fins commerciaux les fichiers partagés par les internautes.

Bref, nous assistons à une radicalisation (et en même temps à une fragmentation) des positions des acteurs impliqués : les Anonymous, les Partis Pirates, les industries culturelles, les télécoms adoptent des stratégies et des postures de plus en plus radicales et de plus en plus divergentes. Dans cette situation, certains voient le début d’une guerre de tous contre tous, une World War Web, une guerre civile dans laquelle les fossées idéologiques se creusent, et les actions se font de plus en plus violentes.

Et certains, tels Rick Falkvinge, fondateur du parti pirate suédois, envisagent sans détours de passer à la lutte armée : « Si l’on doit en arriver là après des années de protestation et de dur labeur, alors je m’adapterai. Je me battrai pour la liberté autant que je le peux, et j’aiderai les autres à s’organiser autour de la cause. Je suis passé de la préparation mentale à une réelle préparation à l’effrayante et douloureuse possibilité que la situation puisse devenir vraiment moche. La photo qui illustre cet article, le pistolet et la cible (…) a été prise de mon bureau, à cinquante centimètres de là où je suis assis. » Derrière les films et la musique partagés en ligne, se cachent peut-être des enjeux beaucoup plus lourds de conséquences. Ces événements sont peut-être les signes précurseurs d’un ‘internet de plomb’…

 

Pourquoi je ne porterai pas plainte contre ceux qui piratent mon livre (texte d'Antonio Casilli)

Texte initialement publié sur Bodyspacesociety le 6 février 2012. Suivre aussi la discussion de ce billet dans l’émission La Grande Table (France Culture).

« Le jour où l’écrivain découvre que son livre a été piraté et est désormais disponible en téléchargement illégal sur Mediafire, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole ».

Bon, je sais… ce n’est pas la phrase *exacte* que Charles Baudelaire avait consignée dans les pages de Mon coeur mis à nu (1887), mais elle décrit assez bien le mélange de sentiments qui m’anime en retrouvant la version piratée de mon ouvrage Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociablité ? tantôt sur un blog de critique littéraire (« je l’ai lu pour vous, retrouvez-le par ici »), tantôt sur un forum de gamers (« version pdf : achievement unlocked! ») tantôt sur le site même de l’Hadopi (on me l’avait signalé mais depuis la page a été supprimée…).

Mauvaise nouvelle pour mon éditeur. Mais sans aucun doute bonne nouvelle pour moi. En tant qu’auteur, je ne peux qu’être flatté par le fait que quelqu’un ait pris le temps de craquer les DRM de la version ebook ou de scanner (comme dans un cas remarquable, vu en ligne il y a quelques mois) les 336 pages de la version papier ! C’est du boulot, ça. Tout comme c’est du boulot le fait de le mettre en ligne, de l’héberger, de le partager avec d’autres lecteurs, d’écrire des billets ou des messages dans des listes de diffusion pour le faire savoir aux autres.

J’ai donc tendance à interpréter ces activités comme autant de signes d’appréciation. Quelqu’un a considéré les thèses présentées dans mon ouvrage assez méritoires pour prendre la peine de faire tout cela – et pour prendre aussi le risque que l’ayant droit porte plainte contre lui.

Rassurez-vous. L’ayant droit, ce n’est pas moi. Moi, je suis celui qui est intéressé à voir ses idées circuler. Et qui pour cela est content de se voir piraté tout comme il a été – je crois à juste titre – content de voir que son livre a été bien vendu, bien lu, bien présent dans les classements des meilleures ventes, et tout le baratin. En tant que défenseur d’un modèle d’industrie culturelle qui s’efforce de co-produire de la connaissance avec les lecteurs plutôt que de les poursuivre en justice, je considère le partage non-commercial de mon livre non pas comme un accident de parcours, mais comme une attestation de la pénétration culturelle de mes idées.

De la même manière que les recensions dans les revues savantes, les citations dans les colloques scientifiques, les papiers dans la presse ou les interviews dans les médias… Si aujourd’hui on m’encourage à inscrire tous ces résultats dans mon curriculum d’universitaire, pourquoi ne pourrais-je ajouter aussi « Livre piraté sur… » dans la rubrique valorisation de la recherche et rayonnement de l’activité scientifique ?

Pourquoi je ne porterai pas plainte contre ceux qui piratent mon livre

“Le jour où l’écrivain découvre que son livre a été piraté et est désormais disponible en téléchargement illégal sur Mediafire, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole”.

 

Bon, je sais… ce n’est pas la phrase *exacte* que Charles Baudelaire avait consignée dans les pages de Mon coeur mis à nu (1887), mais elle décrit assez bien le mélange de sentiments qui m’anime en retrouvant la version piratée de mon ouvrage Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociablité ? tantôt sur un blog de critique littéraire (“je l’ai lu pour vous, retrouvez-le par ici”), tantôt sur un forum de gamers (“version pdf : achievement unlocked!”) tantôt sur le site même de l’Hadopi (on me l’avait signalé mais depuis la page a été supprimée…).

Mauvaise nouvelle pour mon éditeur. Mais sans aucun doute bonne nouvelle pour moi. En tant qu’auteur, je ne peux qu’être flatté par le fait que quelqu’un ait pris le temps de craquer les DRM de la version ebook ou de scanner (comme dans un cas remarquable, vu en ligne il y a quelques mois) les 336 pages de la version papier ! C’est du boulot, ça. Tout comme c’est du boulot le fait de le mettre en ligne, de l’héberger, de le partager avec d’autres lecteurs, d’écrire des billets ou des messages dans des listes de diffusion pour le faire savoir aux autres.

J’ai donc tendance à interpréter ces activités comme autant de signes d’appréciation. Quelqu’un a considéré les thèses présentées dans mon ouvrage assez méritoires pour prendre la peine de faire tout cela – et pour prendre aussi le risque que l’ayant droit porte plainte contre lui.

Rassurez-vous. L’ayant droit, ce n’est pas moi. Moi, je suis celui qui est intéressé à voir ses idées circuler. Et qui pour cela est content de se voir piraté tout comme il a été – je crois à juste titre – content de voir que son livre a été bien vendu, bien lu, bien présent dans les classements des meilleures ventes, et tout le baratin. En tant que défenseur d’un modèle d’industrie culturelle qui s’efforce de co-produire de la connaissance avec les lecteurs plutôt que de les poursuivre en justice, je considère le partage non-commercial de mon livre non pas comme un accident de parcours, mais comme une attestation de la pénétration culturelle de mes idées.

De la même manière que les recensions dans les revues savantes, les citations dans les colloques scientifiques, les papiers dans la presse ou les interviews dans les médias… Si aujourd’hui on m’encourage à inscrire tous ces résultats dans mon curriculum d’universitaire, pourquoi ne pourrais-je ajouter aussi « Livre piraté sur… » dans la rubrique valorisation de la recherche et rayonnement de l’activité scientifique ?

De l'informatique juridique au juges neuronaux : perspectives transdisciplinaires

L’intervention de Danièle Bourcier (CERSA CNRS) dans le cadre du séminaire EHESS “Transdisciplinarité et numérique” de vendredi dernier, 18 juin 2010, a représenté une excellente conclusion pour nos travaux de réflexion autour de l’impact de l’informatique sur la recherche au croisement de plusieurs disciplines. Voilà les slides de la présentation, en version pdf.

Je saisis l’occasion pour remercier Danièle pour son excellent travail d’encadrement théorique, mais aussi pour nous avoir présenté son parcours de chercheuse hors du commun, qui a traversé le droit de l’informatique, l’informatique juridique, le droit appliqué aux systèmes experts simulant les décisions des juges à travers des réseaux de neurones artificiels – jusqu’à arriver à la création du chapitre français de Creative Commons dont elle est la responsable scientifique. Non seulement l’exposé a été passionnant, mais la discussion, malgré une fin d’année universitaire particulièrement calme, a été très riche.

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Creative Commons or Wikipedia? Who to support?

(This is just my opinion. But in case you had to face a similar decision this might help…)

It’s the end of the year – it’s time to make a donation to one of the many worthy causes this big network called the Internet is full of. I don’t want to enter into details as to my financial situation – suffice to say a choice had to be made.  And the choice was between  Wikimedia Foundation and Creative Commons. I just want to say that many factors were weighed in order to make this decision.


Creative Commons:

* is the license that already covers the entirety of the contents of this blog;

* is the best possible compromise between gung-ho copyright protection and no-copyright at all (a solution that I still found fancy, but not implementable in the present situation);

* messes up with the law through uncontrolled license proliferation and sometimes downright misuse;

* gives away free t-shirts to donors ;)!

Wikimedia:

* produces the de facto go-to reference for every first search on the web;

* is a philosophy I enforce through the creation of collaborative wikis in my everyday research activity;

* has MASSIVELY pissed me off this year with the Wikipedia art controversy in February, and the MEGA FAIL over the deletion of the page of Brazilian activist Daniel Padua in November;

* is recreating (through a complex “caste system” of gold-star editors, administrators, experts, etc. ) the same academic hierarchies it was supposed to stand up to.

So if you scroll down this page, you will see where my money went: to Creative Commons – which gave me in exchange a cheesy green badge for “Premium” users. This titillates my narcissism and also voices my dissent as to the directions Wikipedia has taken in the last 12 months.

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Dr. Popp et la disquette Sida. Sociologie d'une affaire hacker

NB: une version légèrement remaniée de ce texte a été publiée dans le numéro de mars 2015 de la revue d’ethnologie européenne Terrain. Pour le citer :

Antonio A. Casilli (2015) Dr. Popp et la disquette Sida. Sociologie d’une affaire hacker, Terrain, 65: 3-17. 

Un savant fou. Un virus mortel. Du sexe. Des gadgets électroniques à la mode. Tous les ingrédients pour un grand feuilleton sont réunis. Il y a exactement vingt ans, éclate l’affaire de la « disquette Sida », l’un des plus importants scandales internationaux dans l’histoire du piratage informatique. Aujourd’hui presque complètement oubliée, elle reste un épisode dont les significations culturelles et politiques méritent d’être approfondies pour comprendre non seulement l’approche actuelle des usages informatiques autonomes (autonomous computing)[2], mais aussi pour restituer les jeux de forces qui – encore aujourd’hui – font de la viralité l’une des formes prééminentes d’agrégation sociale du web[3].

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Les rebondissements judiciaires multiples de cette affaire ont rendu difficile la tâche de retracer les témoignages des protagonistes et d’en déceler les motivations. Le compte rendu que j’en propose ici est basé sur une enquête de terrain conduite entre l’Europe et les EU en 2004-2005. Les interviews utilisées – avec des médecins, des experts de la police britannique et des médiactivistes – sont citées dans les notes de bas de page. J’ai à plusieurs reprises sollicité un entretien avec le personnage principal de cette histoire, Joseph L. Popp, mais mes tentatives n’ont pas rencontré de succès  (voir le Post-scriptum à la fin de ce billet).

(Attention ce billet fait 18 pages ! Téléchargez-le en version .pdf ou bien lisez le reste en version .html)

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