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"Art et viralité": dans Libération (25 mai 2012)

Dans Libération du 25 mai 2012, un article de Marie Lechner sur virus informatiques, imaginaires de la viralité et art contemporain. L’occasion de présenter les travaux d’Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Y A DU VIRUS DANS L’ART

La Gaîté lyrique accueille mardi un événement qui explore les liens entre biologie, pouvoir et technologie.
En avril, les virus refaisaient la une avec Flash-back, un programme malveillant dont l’originalité est d’infecter les ordinateurs Mac, censés être immunisés contre ce fléau. De flashback, il sera aussi question à V1RUS, événement proposé par Upgrade ! Paris autour du virus, tant biologique qu’informatique, mardi, à la Gaîté lyrique.

Entité biologique singulière, qui se réplique en utilisant les ressources de la cellule qu’elle parasite, le virus a progressivement glissé, par analogie, dans le champ informatique au milieu des années 80, au moment où les ordinateurs personnels infiltraient la sphère privée. Officiellement, c’est en 1983 que le chercheur Fred Cohen présente son premier virus fonctionnel, soit l’année même où est isolé le VIH. Le virus informatique désigne un code malicieux capable d’infiltrer un logiciel, de se reproduire de manière autonome et de se propager à d’autres ordinateurs dont il perturbe le fonctionnement. Jusqu’en 1988, observe le sociologue Antonio Casilli, c’est plutôt la terminologie militaire qui avait cours (attaque, exploiter une vulnérabilité), mais, écrit-il, «alors que l’attention des médias sur la pandémie du sida atteignait son point culminant, la presse mainstream a commencé à adapter les métaphores de la virulence et du comportement à risque à l’informatique personnelle», soulignant une superposition dans l’imaginaire entre la pathologie du corps et le dysfonctionnement de l’ordinateur : «La panique qui entourait l’idée de connexion entre les ordinateurs finit par refléter la peur qui entoure le contact physique.»

A rebours du discours ambiant de l’époque qui prônait la tolérance zéro et l’exclusion afin d’empêcher toute contamination, les activistes et penseurs progressistes comme Donna Haraway, auteure du Manifeste cyborg, suggéraient plutôt de vivre avec. Et d’envisager son devenir mutant. Nathalie Magnan, théoricienne des médias et activiste féministe, retracera, lors de la conférence, cette histoire parallèle et la manière dont les Net artistes se sont emparés de cette forme au potentiel fascinant, du premier virus artistique lâché à la Biennale de Venise par 0100101110101101.org et Epidemic, qui proliféra non pas tant dans les ordinateurs que dans les médias, au concept de «virus culturel» systématisé par les agitateurs d’Etoy, en passant par les premières œuvres de Jodi qui semaient le chaos sur l’écran, faisant croire à l’utilisateur qu’un programme indésirable avait détraqué sa machine.

Le virus, potentiellement destructeur, est aussi un médium de transmission redoutable. Ce qui n’a pas échappé aux spécialistes du marketing, qui ont récupéré la dissémination virale à des fins publicitaires. Le virus comme véhicule artistique et hacktiviste fera l’objet, dès 17 heures, d’un atelier «programmer un virus», organisé par /dev/art qui en dressera un bestiaire. «Le virus classique, incapacitant et destructeur, est aujourd’hui supplanté par les botnets, qui cherchent à contaminer le poste sans se faire repérer pour collecter un maximum d’informations», analysent les organisateurs, qui établissent un parallèle entre le mode opératoire des virus et celui des Anonymous. Le virus sert de porte d’entrée à la conférence, qui creusera plus largement les liens entre biologie et technique, à l’heure où l’organisme est réduit à un «code» génétique à déchiffrer, en information à traiter, en ADN à programmer. L’anthropologue et généticien Michel Tibon-Cornillot soulèvera les enjeux de la mécanisation du vivant et du contrôle accru des corps, avant une table ronde autour de l’art et des biotechnologies avec Jens Hauser, Emmanuel Ferrand et Maria Ptqk.

MARIE LECHNER

De la contagion médicale à la viralité informatique. Podcast d'Antonio Casilli (France Culture, La Grande Table, 20 janv 2012)

Podcast de La Grande Table, le magazine culturel de la mi-journée sur France Culture, consacré à la notion de contagion. Pour en parler avec Caroline Broué autour du numéro 21 de la revue de sciences humaine Tracés, les philosophes Michael Foessel et Mathieu Potte-Bonneville et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil). Ecouter le podcast.

A lire aussi, Virus, viralité, viscéralité ? (intervention d’Antonio Casilli à l’EHESS, 9 décembre 2010) et A History of Virulence (article d’Antonio Casilli publié dans la revue Body and Society, vol. 16, n. 4, 2010).

La « contagion » est un terme médical que les sciences humaines récupèrent progressivement. Que l’on parle de « contagion de la crise économique » ou de « contagion démocratique », la métaphore est riche en connotations et symboliques. En revenant sur l’épaisseur historique de la notion, l’utilisation de la métaphore dit quelque chose du présent et du rapport à l’autre. Elle nous parle surtout de la dimension interindividuelle et communicationnelle de la contagion. Ce qui nous permet de reconnaître, avec les auteurs de ce numéro de la revue Tracés que nous habitons un monde d’épidémies autant réelles qu’informatiques. Et que ces dernières, dans un jeu idéologique très ambivalent et paradoxal, prennent une connotation positive : sur Internet, la viralité devient synonyme de circulation incontrôlée de l’information, de transparence, de liberté.

Virus, viralité, visceralité – Logiques culturelles et processus sociaux en réseau

Voilà la présentation contenant les notes de la première séance de mon séminaire EHESS Corps et TIC : approches socio-anthropologiques des usages numériques : rôle et place de la notion de virus dans la culture du numérique.

La prochaine séance (où il sera question de cyborgs et d’hacktivisme) aura lieu le jeudi 9 décembre de 17h à 19h en salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris. Pour s’inscrire, il suffit de m’envoyer un petit mail gentil.

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Dr. Popp et la disquette Sida. Sociologie d'une affaire hacker

NB: une version légèrement remaniée de ce texte a été publiée dans le numéro de mars 2015 de la revue d’ethnologie européenne Terrain. Pour le citer :

Antonio A. Casilli (2015) Dr. Popp et la disquette Sida. Sociologie d’une affaire hacker, Terrain, 65: 3-17. 

Un savant fou. Un virus mortel. Du sexe. Des gadgets électroniques à la mode. Tous les ingrédients pour un grand feuilleton sont réunis. Il y a exactement vingt ans, éclate l’affaire de la « disquette Sida », l’un des plus importants scandales internationaux dans l’histoire du piratage informatique. Aujourd’hui presque complètement oubliée, elle reste un épisode dont les significations culturelles et politiques méritent d’être approfondies pour comprendre non seulement l’approche actuelle des usages informatiques autonomes (autonomous computing)[2], mais aussi pour restituer les jeux de forces qui – encore aujourd’hui – font de la viralité l’une des formes prééminentes d’agrégation sociale du web[3].

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Les rebondissements judiciaires multiples de cette affaire ont rendu difficile la tâche de retracer les témoignages des protagonistes et d’en déceler les motivations. Le compte rendu que j’en propose ici est basé sur une enquête de terrain conduite entre l’Europe et les EU en 2004-2005. Les interviews utilisées – avec des médecins, des experts de la police britannique et des médiactivistes – sont citées dans les notes de bas de page. J’ai à plusieurs reprises sollicité un entretien avec le personnage principal de cette histoire, Joseph L. Popp, mais mes tentatives n’ont pas rencontré de succès  (voir le Post-scriptum à la fin de ce billet).

(Attention ce billet fait 18 pages ! Téléchargez-le en version .pdf ou bien lisez le reste en version .html)

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