Monthly Archives: February 2014

Dropbox : pourquoi les nouvelles conditions d'utilisation contribuent à exploiter votre digital labor

Ce billet a été cité par le site d’information Numérama.

Si, comme moi, vous êtes des utilisateurs de Dropbox, le 20 février 2014 vous avez reçu un mail qui présente les nouvelles conditions d’utilisation de la très populaire plateforme de sauvegarde et partage de fichiers. Ces conditions entreront en vigueur le 24 mars.

Ce n’est certainement pas la première fois que les CGU de Dropbox suscitent la colère des utilisateurs. Cette fois-ci, beaucoup de polémiques ayant dénoncé la nature arbitraire de ces modifications et le ton abrupt de leur formulation ont porté sur la nouvelle clause qui impose aux usagers de passer par une procédure d’arbitrage en cas de litige. En lisant les commentaires sur le blog de Dropbox, je vois bien les enjeux pour les citoyens américains de se conformer à cette nouvelle condition, et l’intérêt de faire un opt-out. Je vois mois bien comment cette clause s’applique à des citoyens de pays tiers.

La lutte des class action

Par contre, la nouvelle condition qui a attiré mon attention (à cause de ses conséquences pour tout le monde) est la suivante :

Pas de recours collectif. Vous pouvez uniquement résoudre les litiges avec nous sur une base individuelle, et ne pouvez pas déposer de réclamation dans une procédure de recours collectif, consolidé, ou en représentation conjointe. Les arbitrages collectifs, recours collectifs, actions d’ordre général avec avocat privé et consolidation avec tout autre type d’arbitrage ne sont pas autorisés.

Ici, pas de possibilité de faire opt-out… Et c’est dommage, parce que ce changement intervient un mois à peine après l’introduction en France du système de procédure collective (adopté le 13 février dernier, au bout d’un parcours législatif long et tourmenté). Et ce recours collectif, mieux connu à l’étranger sous le nom de class action, s’avère chaque jour plus efficace pour contrer les changements subreptices des grandes plateformes potentiellement nuisibles pour les intérêts des usagers. Un exemple parmi d’autres : regardez ce qui se passe avec Facebook, qui depuis 2011 n’arrive pas à faire cesser cette plainte de familles et d’associations d’usagers qui s’opposent à l’utilisation de photos de mineurs dans les sponsored stories (cette feature a été entre temps abandonnée).

Négociation collective et conflit social sur les plateformes du web

Si vous connaissez mes travaux sur la négociation des droits des utilisateurs des plateformes sociales, ou mon nouveau livre sur les conflits entourant les politiques de privacy des géants du web (Against the Hypothesis of the End of Privacy, tout juste publié chez Springer, co-écrit avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi), vous savez qu’autour des termes d’utilisation c’est désormais guerre ouverte entre les utilisateurs, soucieux de voir leur autonomie et leurs droits respectés, et les propriétaires des plateformes, intéressés à maximiser leurs profits tout en minimisant leur respect des lois en vigueur.

dropboxlabor

En interdisant à ses utilisateurs de consolider leurs actions légales, Dropbox s’efforce de leur empêcher de s’organiser et de mener une action coordonnée de protection de leurs droits. La petite mise à jour des CGU est assimilable aux politiques patronales du siècle passé visant à entraver l’action syndicale et à imposer une pacification forcée des relations sociales. L’entreprise de San Francisco cherche en somme à atomiser l’action sociale de ceux qui produisent les contenus qui circulent sur ses réseaux, sont stockés sur ses serveurs, constituent l’objet de l’activité économique exercée par les 4 millions d’entreprises qui adhèrent à l’offre payante Dropbox for Business. Si le travail invisible des utilisateurs doit être reconnu à sa juste valeur (c’est ce qu’on appelle désormais le digital labor), les droits des utilisateurs/travailleurs méritent tout aussi d’être protégés. Tout ceci s’inscrit, pour le dire avec les rédacteurs de la revue Multitudes, dans une dynamique plus vaste de conflictualité sociale qui traverse désormais le monde du numérique. Et les conditions d’utilisations sont justement l’un des lieux où ces controverses et de ces conflits se déploient.

Update [samedi 22 février 12h20]

Quelques messages intéressants, tirés de la discussion Twitter entre le sociologue Pierre Grosdemouge et la juriste Eve Matringe, suite à la parution de ce billet :

Dans Télérama (21 févr. 2014)

Dans Télérama du 14-21 février 2014 les journalistes Olivier Tesquet et Emmanuelle Anizon consacrent le dossier “Avons-nous reononcé à notre vie privée ?” à la géolocalisation et à son impact sur la privacy. L’occasion d’échanger avec Antonio Casilli, autour de l’ouvrage Against the hypothesis of the « end of privacy ». An agent-based modeling approach to social media, co-écrit avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi, et publié par l’éditeur Springer en 2014.

 

 

Comment défendre la vie privée dans un monde post-Snowden (grand entretien, Wired Italia, 11 févr. 2014)

Dans l’édition italienne du magazine Wired le journaliste Fabio Chiusi interviewe Antonio A. Casilli, sociologue, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil, 2010), à propos de l’ouvrage Against the hypothesis of the « end of privacy ». An agent-based modelling approach to social media (co-écrit avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi, Springer, 2014).

No, la privacy non è morta (ed ecco come salvarla)

pirates

La privacy è finita, morta. Lo abbiamo letto ovunque. lo ha sostenuto più o meno velatamente Mark Zuckerberg, il sovrano di 1,2 miliardi di vite digitali, per anni (ora dice che le nuove app di Facebook consentiranno l’anonimato). Il Datagate, nell’ultimo anno, non ha fatto che confermarlo. Tutto torna: ogni cosa è connessa, pubblica. Ed è destinata a rimanerlo? Un gruppo di ricercatori si è messo al lavoro per mettere, per quanto possibile, l’ipotesi al vaglio sperimentale.

E il risultato, contenuto nel volume ‘Against the Hypothesis of the End of Privacy. An Agent-Based Modelling Approach to Social Media’ (Springer), è sorprendente: no, la privacy non è morta. Semplicemente, è cambiata. E deve cambiare di conseguenza il nostro modo di affrontarne la tutela. Il punto, scrivono Paola Tubaro, Yasaman Sarabi (entrambe ricercatrici all’Università di Greenwich, Londra) e Antonio Casilli, è che è possibile riuscirci. La simulazione multiagente impiegata (e illustrata in un saggio del 2010) lo dimostra. Ed è proprio Casilli, docente di Digital Humanities al Paris Institute of Technology e ricercatore in Sociologia presso il Centro Edgar Morin, a spiegare a Wired.it cosa ciò significhi nell’era delle rivelazioni di Edward Snowden.

Casilli, può illustrare brevemente cos’è la privacy nel vostro approccio e perché è un buon modo di descriverla nell’era post-Datagate?
Il punto di partenza del nostro lavoro è che la presunta «fine della vita privata su internet» sia in realtà una trasformazione della nozione stessa di privacy, che non è scomparsa, ma è diventata irriconoscibile. Da diritto individuale, si è trasformata in una negoziazione collettiva. Nel libro, questo è presentato come il passaggio dalla “privacy as penetration” alla “privacy as negotiation”. La prima, è la nozione ereditata dalla giurisprudenza anglosassone del XIX secolo, che rappresenta ogni individuo come un’entità isolata al centro di una sfera privata. Difendere la sua privacy, significa allora impedire le infiltrazioni di agenti esterni, soprattutto dello Stato. Per questo, il giurista americano Louis Brandeis diceva nel 1890 che «la privacy è il diritto di essere lasciati soli». Ma online nessuno vuole restare solo. Tutti vogliono avere un universo relazionale ricco, e al tempo stesso vogliono poter regolare e aggiustare quello che mostrano.

Come si fa questa negoziazione, e a cosa porta?
È una specie di patteggiamento costante con i propri amici e contatti, ma anche con i proprietari delle piattaforme e, ovviamente, con gli organismi statali. Per condurre in porto questa negoziazione della privacy, i parametri di confidenzialità non bastano, anzi forniscono una protezione illusoria. Il Datagate ci ha mostrato non soltanto che qualcuno ci guarda, ma che è impossibile sottrarsi a questa sorveglianza isolandosi, disconnettendosi. Quello che serve è avviare un’azione collettiva che dia un autentico margine di manovra ai cittadini e che metta i proprietari delle piattaforme e gli stati di fronte alle loro pesanti responsabilità in termini di estrazione massiva e abusiva di dati personali.

(Antonio Casilli, via)

Può il vostro approccio alla privacy fornire una risposta ai problemi sollevati dallo scandalo NSA?
Il quadro legale attuale è interamente basato sulla vecchia nozione di privacy. Non è più adatto a tutelare i cittadini e gli utilizzatori del web sociale, perché non prende in conto ciò che il Datagate ha messo in evidenza: i legami stretti tra la NSA e i giganti di Internet nella creazione di un sistema di sorveglianza partecipativa, basato sull’ingiunzione di divulgare informazioni personali tra gli utilizzatori stessi delle grandi piattaforme e della applicazioni sociali. Google, Facebook, e gli altri non sono basati sulla logica del big brother (il Grande Fratello di orwelliana memoria, Ndr), ma su quella del big other: sono gli altri, gli utilizzatori come noi, che contribuiscono alla nostra sorveglianza nel momento in cui condividono con noi i loro contenuti e le loro preferenze. Ci mettono di fronte all’obbligo sociale di ricambiare, svelandoci.

I social network come strumenti di autosorveglianza di massa, più o meno.
I social network sono delle macchine che producono socialità, e il loro carburante sono le nostre informazioni personali. Chi rifiuta di condividerle è non solo sospetto, ma anche svantaggiato da un punto di vista del suo posizionamento sociale. Forse ha qualcosa da nascondere, ma soprattutto non riesce a costruirsi un “capitale sociale” in rete, perché non è aperto alla partecipazione, non interagisce con altri. Comprendere questo, e immaginare delle interazioni online che siano basate su sistema di incentivi alternativi allo svelamento della propria intimità, significa contribuire a smantellare il sistema di sorveglianza partecipativa creato attorno al nostro bisogno di socializzare per mezzo dei media sociali.

Tra le conclusioni, e i motivi di ottimismo, scrivete che «ci sono buone ragioni per credere che ci possano essere nuove ondate di reazioni da parte degli utenti a ulteriori mosse da parte delle aziende (i social network, ndr) per ridurre la privacy, un risultato che costringe le aziende stesse e i policy-maker a prendere queste questioni molto sul serio» (trad. mia, ndr). I dati dei sondaggi di questi mesi sulle reazioni dell’opinione pubblica allo scandalo Nsa, oltre a quelli di partecipazione alle manifestazioni di protesta indette in questi mesi e in queste ore, sono concordi con i vostri risultati o meno, dal suo punto di vista? I vostri risultati lasciavano pensare a una reazione più decisa?
Malgrado la retorica che ci vorrebbe tutti pronti a accettare beat
amente la sorveglianza di massa e l’erosione della privacy, la reazione pubblica alle rivelazioni di Edward Snowden e al ruolo delle imprese del Web nel programma PRISM è forte e diversificata. Assistiamo a un cambiamento dei comportamenti e delle attitudini a tutti i livelli, alla generalizzazione di pratiche di protezione dell’anonimato che prima erano di nicchia.

Per esempio?
Per esempio l’uso del sistema di crittografia Tor, che è raddoppiato nel giro di pochi mesi. Inoltre ci sono segnali incoraggianti di diversificazione delle abitudini di navigazione: gli internauti non passano più solo per i grandi social, ma iniziano a interessarsi a altre piattaforme che, almeno nominalmente, promettono un maggiore rispetto della confidenzialità. Non dimentichiamo quello che succede a livello sociale. I mercati europei penalizzano pesantemente le imprese del cloud americano a causa delle loro collusioni con i servizi segreti americani. I garanti della privacy di Spagna, Francia, Germania comminano sanzioni durissime contro Google per il non rispetto delle normative sui dati personali. E soprattutto, tanto sulla rete che nelle strade, siamo oramai di fronte a una esplosione di conflitti sociali legati alle libertà digitali. Proteste sempre più sostenute, da Istanbul a San Francisco, contro un sistema repressivo nel quale governi e imprese del digitale vanno a braccetto. Questo si accorda con l’analisi presentata nel nostro libro, ai cicli di rivendicazioni e di conflitti legati alle politiche di gestione dei dati da parte dei colossi Web.

Edward-Snowden-2

(Edward Snowden con l’adesivo di Tor Project sul laptop)

Questa idea che vi siano «cicli» di privacy è forse quella che più colpisce del libro. Vint Cerf, per esempio, ne ha parlato come di una «anomalia». Rispetto alla situazione attuale, in quale fase del ciclo ci troviamo? E perché possiamo confidare che il risultato sia ristabilire una migliore tutela della privacy, piuttosto che la sua scomparsa?
Siamo in presenza di fenomeni di alternanza tra apertura e chiusura delle nostre informazioni personali. Dopo una fase iniziale di esplorazione, gli utenti dei social sono colti a un certo momento da una rivelazione: di essere in un contesto sociale eccessivamente denso. Quindi cercano di proteggersi, di circoscrivere l’accesso ai loro dati. Questo a sua volta provoca una reazione dei gestori delle piattaforme, che cambiano periodicamente le loro condizioni di servizio per imporre una logica di “public by default”. A cui gli utilizzatori reagiscono cercando di proteggersi sempre di più. E via di seguito, innescando dei cicli di privacy.

Qualche esempio concreto?
Basta guardare la storia di un grande social generalista come Facebook per rendersi conto che questi cicli sono in corso da quasi dieci anni. Già nel 2006, c’era stata la protesta di diverse centinaia di migliaia di utilizzatori contro l’introduzione di Newsfeed. L’anno successivo, le proteste contro il monitoraggio pubblicitario per mezzo di Beacon. E ancora: nel 2011 la lotta per costringere Facebook a adottare un protocollo https, nel 2012 perché non applicasse il riconoscimento facciale alle foto degli utenti… Ogni volta, sotto il peso delle proteste, delle sanzioni della Commissione Federale del Commercio o dei garanti della privacy, Facebook ha dovuto fare marcia indietro. Sistematicamente, Zuckerberg ha cercato di obbligare i membri del suo servizio a svelare tutto delle loro vite private. Altrettanto sistematicamente, gli utilizzatori si sono protetti.

Se gli utenti reagiscono – è parte del ciclo – ciò non significa che le istituzioni non debbano prendere misure adeguate, scrivete. Qualche suggerimento?
Le istituzioni hanno un dovere di difesa dei cittadini. Alcune misure sono già state prese, per il rispetto delle leggi in vigore, delle normative sui dati personali o sulla chiarezza dei contratti che regolano le condizioni di utilizzazione. Ma tutto questo non basta. Ci sono due grandi questioni che devono essere affrontate al più presto. La prima è la regolazione dei data brokers, ovvero delle aziende che comprano e rivendono i nostri dati personali a assicurazioni, banche, e a volte perfino stati. Sono quelle strane e misteriose aziende che hanno un “x” nel loro nome: Acxiom, Experian, Datalogix… E che rifiutano di dire come ottengono e che uso fanno dei dati personali di centinaia di milioni di persone. La seconda è la lotta contro i “paradisi della privacy”. Da anni, è risaputo che che le grandi aziende hanno tendenza a impiantarsi in nazioni che promettono regimi fiscali vantaggiosi. Sono i cosiddetti paradisi fiscali. Ma da qualche tempo, prima di stabilire la loro sede legale in un paese, i giganti del Web prendono in conto anche le normative di privacy più favorevoli per loro. Oggi è necessario uno sforzo di armonizzazione internazionale per la soppressione di queste zone franche, in cui la vita privata dei cittadini è messa a rischio.

 

Quartz à propos de la vie privée (07 févr. 2014)

Dans le site d’information économique Quartz (The Atlantic) le journaliste Leo Mirani interviewe Antonio A. Casilli, sociologue, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil, 2010), à propos de l’ouvrage Against the hypothesis of the « end of privacy ». An agent-based modelling approach to social media (co-écrit avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi, Springer, 2014).

» It turns out people are better at protecting their privacy than companies would like – Quartz.

push and pull

It turns out people are better at protecting their privacy than companies would like

By Leo Mirani @lmirani February 7, 2014

 

The struggle between Facebook, Google and their users has led to an unexpected result, contends a new book on privacy: Every time social networks force openness on their users, people become much more guarded in what they share, leading internet giants to push for yet more openness. This is the argument made by three academic researchers, Antonio Casilli, Yasaman Sarabi, and Paola Tubaro, in their new book, “Against the hypothesis of the end of privacy.“

The researchers find that the end of privacy is only one of the possible results of the way online behaviour is evolving, and not the mostly likely one. At the heart of their argument is that users aren’t inert. Far from accepting a steady, linear erosion of their privacy, users of social networks react to changes by over-protecting their privacy. Every time a network tries to make itself more open, its users—in aggregate if not individually—respond by closing themselves off even more. It is a constant tussle. The authors call these “cycles of privacy.”

But people have control over settings in only a limited number of cases, such as with social networks. They are less powerful when it comes to dealing with the snooping apparatuses set up by the world’s governments. That said, the exposure and subsequent public debate over data collection from western spy agencies’ only boosts users’ caution. And they are increasingly demanding tools that allow them to protect themselves better.

Antonio Casilli, one of the authors of the book and a professor at Telecom Paris Tech, explains it thus: When you just join a network, you want to explore so you expose yourself more. Eventually you realize you’ve been giving away too much so you pull the plug and start over-protecting your privacy. This is the moment when privacy becomes cyclical. If millions of users start overprotecting their privacy, the platform owners have to do something about this. So they come up with policies that reopen the privacy settings that were closed. The reaction then is to overprotect again. And so on.

Casilli and his colleagues came to their conclusions by using agent-based modelling, a computer simulation that can mimic interactions between individuals and groups. Casilli says that they didn’t use real-world data because it is both hard to obtain from corporations, and comes with strings attached when it is made available. Samples of data could have helped calibrate the researchers’ model. But Casilli says other methods can also improve reliability, such as checking the results back with past events with known outcomes. 

“If you think of the end of privacy discourse, it is aways something that is presented in a linear way,” says Casilli. “We were surprised by the cyclicality of the results.”

"L’étonnante résilience de la vie privée" (Le Temps, Suisse, 07 févr. 2014)

Dans le quotidien de Genève LeTemps.ch le journaliste Nic Ulmi consacre un article aux recherches d’Antonio Casilli, Paola Tubaro et Yasaman Sarabi sur la vie privée sur les médias sociaux présentées dans leur ouvrage Against the Hypothesis of the End of Privacy. An agent-based modelling approach to social media (Springer, 2014).

 

vendredi 07 février 2014

L’étonnante résilience de la sphère privée

Chambre des serveurs dans un Facebook Data Center en Laponie. Lulea, Suède, 7 novembre 2013 (AFP Photo/Jonathan Nackstrand)

Chambre des serveurs<br /><br />
dans un Facebook Data Center en Laponie.<br /><br />
Lulea, Suède, 7 novembre 2013 (AFP Photo/Jonathan Nackstrand)<br /><br />

Le réseau social fête ses 10 ans. L’abolition de la «privacy» est-elle entrée dans les mœurs? Pas sûr, selon le chercheur Antonio Casilli. Entretien

Attention: sur le Web comme ail­leurs – voire un peu plus –, une réalité peut en cacher une autre. Exemple? Le Turc mécanique d’Amazon. Ou les bagarres sur Facebook. Ou la paisible disparition de la vie privée. Embarquons, si vous le voulez bien, dans un parcours express, tout en surprises, en compagnie d’Antonio Casilli, sociologue des réseaux, affilié à la haute école d’ingénieurs Telecom Paris Tech et au Centre Edgar-Morin de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, coauteur d’un nouvel ouvrage qui s’élève, en anglais, Contre l’hypothèse de la fin de la vie privée *.

Le Turc mécanique, pour commencer: le nom s’inspire d’un célèbre automate du XVIIIe siècle, qui jouait divinement aux échecs. Prodigieux, en apparence. Canular, en réalité: un joueur en chair et en os y était caché. Aujourd’hui, non sans une dose d’auto-ironie, le même nom désigne un programme de crowdsourcing, c’est-à-dire de sous-traitance d’une tâche digitale à une foule d’humains. «Les machines sont mauvaises dans certaines tâches, par exemple l’analyse du contenu d’images», explique Antonio Casilli. Au lieu de les confier à des programmes, on peut donc faire exécuter manuellement ces opérations par de vraies gens, en passant par la plateforme Amazon Mechanical Turk (www.mturk.com). «Il y a en Asie des pays entiers qui sont impactés, avec des ateliers où travaille, au noir, une main-d’œuvre payée 1 ou 2 centimes la tâche», signale le chercheur. Mais la machine se grippe. «On voit que ces ouvriers commencent à saboter, à livrer de fausses infos, en réaction à cette forme d’exploitation.» Double dévoilement: la toute-puissance présumée des algorithmes cache une action humaine. Et la lutte des classes couve sous le tagging des images.

Autre exemple: l’incivilité des échanges sur Facebook. On croit peut-être que les commentaires rageurs qu’on éructe sur le «fil d’actualité» font le beurre des actionnaires du site: pas forcément. «On observe une montée de comportements stigmatisés par Facebook. C’est le symptôme d’un malaise. L’univers du réseau social est construit sur des métaphores d’amour et d’amitié, dans une vision quasiment édénique. Dans ce contexte, le besoin que manifestent les usagers de réaffirmer la conflictualité est une manière de déclarer leur insubordination. C’est une façon de défaire le lien social forcé.»

Elargissons. Un air de requiem entoure aujourd’hui la notion de vie privée: deuil romantique, vague nostalgie d’une notion charmante mais désuète, qu’on pleure comme on se lamenterait sur la disparition de la lettre manuscrite ou du téléphone en bakélite. Admettons. A qui la faute? «Si on écoute le discours des entreprises digitales, l’érosion de la vie privée est due aux utilisateurs. Selon le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, et selon Vint Cerf, l’évangéliste en chef de Google, ce glissement s’impose spontanément au niveau sociétal. C’est, d’après eux, un changement dans les attitudes, les conventions, les normes.» Mais… «Mais quand je vois des entreprises reprendre ainsi le langage du sociologue, j’ai des frissons. Et je mène l’enquête», reprend Antonio Casilli.

Le résultat? «D’une part, les utilisateurs cherchent bien à protéger leur vie privée, à travers des stratégies individuelles et collectives. D’autre part, les entrepreneurs ne sont pas innocents. Il y a un effet d’injonction, pour commencer. On vous dit: partagez pour vous connecter; si vous ne partagez pas, les autres ne sauront pas qui vous êtes, ne connaîtront pas vos goûts, n’auront pas de points de contact – et vous serez isolé. C’est presque du chantage: si tu veux jouer le jeu de la socialisation, tu dois te dévoiler.»

L’internaute se met donc à partager pour «construire son capital social». De quoi s’agit-il? «D’un réseau de soutien, de loyauté, d’entraide, activable à des moments précis: pour promouvoir sa carrière, rencontrer l’âme sœur, dénicher une bonne école pour les enfants… De ce point de vue, le réseau offre d’excellents services. Les usagers tentent donc d’optimiser leur capital social. Mais il y a un prix, qu’on paie avec la monnaie dont on dispose: ses données personnelles. Celles-ci sont collectées par le site, transformées en ressource, exploitées commercialement. D’où l’intérêt économique, pour le réseau social, à ce que vous partagiez le plus possible.»

Vue comme ça, l’affaire paraît pliée. Tout le monde gagne, exit la vie privée. «Nous avons voulu vérifier cette hypothèse: assiste-t-on, oui ou non, à ce changement sociétal? Le problème, pour mener une telle expérience, c’est que Facebook ne donne pas accès à ses données: c’est un peu son pétrole.» Antonio Casilli et ses coéquipiers entreprennent donc de tester l’hypothèse in silico, c’est-à-dire par simulation informatique. Des «agents» virtuels, programmés pour imiter le comportement des usagers, sont lâchés dans un environnement qui modélise le fonctionnement de Facebook. Et on regarde ce qui se passe.

Alors? «Au début, on assiste à une diminution du niveau moyen de protection de la vie privée. Mais au bout d’un certain temps, à mesure que les utilisateurs élargissent leur réseau de contacts et qu’ils se retrouvent en relation avec des inconnus, ils développent une tendance à se surprotéger: ils se reverrouillent. Constatant que la privacy remonte, les concepteurs du site interviennent alors pour déverrouiller les protections. Et ainsi de suite: ce sont des cycles.» En effet: «Dans le cas de Facebook, on peut faire l’historique de ces incidents de confidentialité: à une dizaine de reprises en l’espace de dix ans, les fonctionnalités ont été modifiées de manière à dévoiler les informations personnelles. A chaque fois, les usagers, mécontents, ont réagi en s’organisant. On assiste même à une escalade du conflit: après le premier de ces incidents, en 2006, 300 000 utilisateurs ont adhéré à un groupe de pression pour protester, poussant Facebook à faire marche arrière et à s’excuser. Aujour­d’hui, les utilisateurs passent par les institutions publiques.» Exemple? «Les étudiants en droit autrichiens réunis dans l’organisation Europe versus Facebook (europe-v-facebook.org), qui se sont appuyés sur la législation européenne pour demander au site de leur envoyer toutes leurs données. Chacun a reçu quelque 1900 pages: la taille d’un profil, si vous l’imprimez…»

Dans cette course-poursuite, l’usager n’a-t-il pas toujours un train de retard? «Il existe d’autres formes de conflictualité, moins visibles, telles que l’obfuscation: le brouillage volontaire, la pollution des bases de données, qu’on alimente a
vec des mauvaises infos et de fausses données.» Allez: à nous de jouer.

* Against the Hypothesis of the End of Privacy, Paola Tubaro, Antonio A. Casilli, Yasaman Sarabi, Springer, 57 p.

[Slides] Seminaire EHESS S. Abel & E. Aubouin — “Le web éphémère : de 4chan à Snapchat”

Dans le cadre de mon séminaire EHESS Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques, le lundi 17 février 2014 nous avons accueilli Sylvain Abel (ISCOM) et Estelle Aubouin (CELSA) pour une séance consacrée au web éphémère et à l’anonymat sur Internet.

Titre : Le web éphémère : de 4chan à Snapchat
Intervenants : Sylvain Abel & Estelle Aubouin

Résumé : « Des services de numérisation des VHS à la surveillance mise en place par la NSA, le numérique est aujourd’hui le centre névralgique de l’archivage mondial. La permanence et la publicité des contenus sur le web en font un territoire d’échanges, mais également un gigantesque processus de recensement de l’intégralité de nos publications sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums… Le web éphémère prend le contre-pied de ces tendances en masquant nos traces, par anonymat imposé ou par suppression définitive des contenus. Ce microcosme dispose de codes propres, qui se déclinent et se construisent au travers de chaque plateforme, c’est ce que nous tenterons de montrer au travers des communautés de 4chan et Snapchat, deux emblèmes de cet univers. »

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Prochaines séances 2013/14 :

•17 mars 2014
Paola Tubaro (U. of Greenwich, CNRS)
La simulation multi-agent pour étudier la vie privée sur les médias sociaux

•28 avr 2014
Nicolas Auray (Telecom ParisTech)
Ethique et professionalisation du hacking

•19 mai 2014
Louise Merzeau (Paris Ouest Nanterre La Défense)
Identité numérique vs. présence numérique

•16 juin 2014
Simon Chignard (donneesouvertes.info ) et Samuel Goëta (Telecom ParisTech)
Le mouvement « open data »

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[Vidéo] Les Géants du Web et nous : Antonio Casilli, invité de 28 minutes (Arte, 5 févr. 2014)

Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil, 2010) et co-auteur de Against the hypothesis of the « end of privacy ». An agent-based modeling approach to social media (avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi, Springer, 2014) est l’invité d’Elisabeth Quin sur le plateau de 28 minutes (Arte). Pour parler avec lui de l’impact des grandes firmes technologiques sur la notre vie privée, le philosophe Eric Sadin et la sociologue Joëlle Menrath.

 

» Revoir – 28 minutes, du lundi au vendredi à 20h05 | ARTE.

Dans Le Soir (Belgique, 04 févr. 2014)

Le quotidien belge Le Soir consacre un article au sociologue Antonio Casilli, co-auteur de Against the hypothesis of the « end of privacy ». An agent-based modeling approach to social media (avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi, Springer, 2014).

 

 

 

POLEMIQUES, mardi 4 février 2014, p. Brabant Wallon19

Vais-je quitter Facebook?

PHILIPPE DE BOECK

Pour beaucoup, Facebook est devenu incontournable. Ce n’est pas pour rien que le réseau social généraliste compte plus de 1,23 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde. Depuis que le titre est coté en Bourse, Marc Zuckerberg a de grandes ambitions: doubler le nombre d’utilisateurs. Mais à force de renier les engagements des débuts, Facebook commence à perdre de sa superbe. Surtout quand il essaye de se rendre incontournable.«La survie de Facebook est mise en péril non pas par le départ de certaines cohortes d’âge (les ados, notamment), mais par leurs politiques quelque peu téméraires de gestion des données personnelles de leurs usagers», entame Antonio Casilli, chercheur au Centre Edgar-Morin de l’Ehess à Paris où il enseigne la socio-anthropologie des usages numériques.

Le coeur du problème se situe entre ce qui est public et ce qui est privé. Et ce que Facebook, ou plutôt son patron, veut en faire pour des raisons commerciales. Car quand on s’inscrit à Facebook, on donne en fait tout ce qu’on y met. C’est en tout cas ce qui est mentionné dans les conditions générales d’utilisation que personne ne lit malheureusement.«Quand j’analyse les déclarations publiques de Marc Zuckerberg, on apprend qu’il est porteur d’une idée selon laquelle les usagers auraient renoncé à leur vie privée pour adopter une nouvelle norme sociale qui consiste à mettre en public ce qui auparavant était intime. Et qui donc représenterait un changement d’époque. C’est un discours très chargé idéologiquement et moralement parlant. Cette vision des choses implique que quiconque n’est pas prêt à déverrouiller ces paramétrages de la vie privée a quelque chose à cacher, poursuit Antonio Casilli. Ce sont les motivations économiques qui le poussent à dire ça, car Facebook est évidemment basée sur la monétisation de données personnelles. C’est lié à l’introduction de Facebook, mais aussi au fait d’être un entrepreneur de morale. Il faut apparaître avec son vrai nom, sa véritable identité et non pas sous un pseudonyme. C’est aussi une idéologie de connectivité. Celui qui cache sa véritable identité est un suspect potentiel. C’est très lourd de sens et ça se heurte à de très fortes critiques de la part des usagers».Depuis sa création, Facebook a dû faire face à un certain nombre d’accidents de vie privée. «En gros, à chaque fois que le réseau a introduit une nouvelle fonctionnalité ou de nouvelles conditions d’utilisation mettant en mode public ce qui était auparavant en mode privé, explique Antonio Casilli. A chaque fois, l’entreprise présente ça comme étant anodin. Mais à chaque fois, ils se sont heurtés à des réactions virulentes et de plus en plus organisées de leurs utilisateurs. Et huit fois sur dix, Facebook a dû faire marche arrière. Et parfois, Zuckerberg a dû présenter ses excuses personnelles.»Et Antonio Casilli de citer quelques exemples: «Quand ils ont présenté une première version de croisements de données avec des bases commerciales – le Beacon en 2008 – ils n’avaient pas prévenu les utilisateurs qui se sont organisés et ont forcé Facebook à y renoncer. En 2006, lors du lancement du tout premier newsfeed, ils étaient 700.000 à avoir réagi. A l’époque, c’était environ un tiers des utilisateurs du réseau social. Tout ça pour dire qu’on peut obtenir des choses en réagissant massivement. De manière isolée, cela n’a pas de sens.»Toujours d’après Antonio Casilli, on assiste également à une véritable guerre culturelle entre les Etats-Unis et l’Europe autour des paramétrages vie privée/vie publique. «Facebook est loin d’avoir gagné cette guerre et sous-estime la potentialité conflictuelle de leurs actions. C’est quelque chose qui risque d’affecter la survie de Facebook ou, du moins, d’en affecter sa rentabilité commerciale. Ils ne peuvent pas continuer ad libitum avec les données des utilisateurs. En attendant, Facebook continue à s’implanter dans des pays où les législations sur la vie privée sont moins regardantes. C’est le cas avec l’Irlande où se trouve son siège social pour l’Europe», explique-t-il.Et Antonio Casilli de conclure en rappelant que Facebook avait promis, lors de sa création, de favoriser «une socialisation harmonieuse et maîtrisable». «On voit que tout cela est devenu très relatif», conclut Antonio Casilli.

PHILIPPE DE BOECK

(1)«Contre l’hypothèse de la fin de la vie privée. La négociation dans les médias sociaux», Antonio A. Casilli, Revue française des sciences de l’information et de la communication. Et «Les liaisons numériques» (Seuil).