Dropbox : pourquoi les nouvelles conditions d'utilisation contribuent à exploiter votre digital labor

Ce billet a été cité par le site d’information Numérama.

Si, comme moi, vous êtes des utilisateurs de Dropbox, le 20 février 2014 vous avez reçu un mail qui présente les nouvelles conditions d’utilisation de la très populaire plateforme de sauvegarde et partage de fichiers. Ces conditions entreront en vigueur le 24 mars.

Ce n’est certainement pas la première fois que les CGU de Dropbox suscitent la colère des utilisateurs. Cette fois-ci, beaucoup de polémiques ayant dénoncé la nature arbitraire de ces modifications et le ton abrupt de leur formulation ont porté sur la nouvelle clause qui impose aux usagers de passer par une procédure d’arbitrage en cas de litige. En lisant les commentaires sur le blog de Dropbox, je vois bien les enjeux pour les citoyens américains de se conformer à cette nouvelle condition, et l’intérêt de faire un opt-out. Je vois mois bien comment cette clause s’applique à des citoyens de pays tiers.

La lutte des class action

Par contre, la nouvelle condition qui a attiré mon attention (à cause de ses conséquences pour tout le monde) est la suivante :

Pas de recours collectif. Vous pouvez uniquement résoudre les litiges avec nous sur une base individuelle, et ne pouvez pas déposer de réclamation dans une procédure de recours collectif, consolidé, ou en représentation conjointe. Les arbitrages collectifs, recours collectifs, actions d’ordre général avec avocat privé et consolidation avec tout autre type d’arbitrage ne sont pas autorisés.

Ici, pas de possibilité de faire opt-out… Et c’est dommage, parce que ce changement intervient un mois à peine après l’introduction en France du système de procédure collective (adopté le 13 février dernier, au bout d’un parcours législatif long et tourmenté). Et ce recours collectif, mieux connu à l’étranger sous le nom de class action, s’avère chaque jour plus efficace pour contrer les changements subreptices des grandes plateformes potentiellement nuisibles pour les intérêts des usagers. Un exemple parmi d’autres : regardez ce qui se passe avec Facebook, qui depuis 2011 n’arrive pas à faire cesser cette plainte de familles et d’associations d’usagers qui s’opposent à l’utilisation de photos de mineurs dans les sponsored stories (cette feature a été entre temps abandonnée).

Négociation collective et conflit social sur les plateformes du web

Si vous connaissez mes travaux sur la négociation des droits des utilisateurs des plateformes sociales, ou mon nouveau livre sur les conflits entourant les politiques de privacy des géants du web (Against the Hypothesis of the End of Privacy, tout juste publié chez Springer, co-écrit avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi), vous savez qu’autour des termes d’utilisation c’est désormais guerre ouverte entre les utilisateurs, soucieux de voir leur autonomie et leurs droits respectés, et les propriétaires des plateformes, intéressés à maximiser leurs profits tout en minimisant leur respect des lois en vigueur.

dropboxlabor

En interdisant à ses utilisateurs de consolider leurs actions légales, Dropbox s’efforce de leur empêcher de s’organiser et de mener une action coordonnée de protection de leurs droits. La petite mise à jour des CGU est assimilable aux politiques patronales du siècle passé visant à entraver l’action syndicale et à imposer une pacification forcée des relations sociales. L’entreprise de San Francisco cherche en somme à atomiser l’action sociale de ceux qui produisent les contenus qui circulent sur ses réseaux, sont stockés sur ses serveurs, constituent l’objet de l’activité économique exercée par les 4 millions d’entreprises qui adhèrent à l’offre payante Dropbox for Business. Si le travail invisible des utilisateurs doit être reconnu à sa juste valeur (c’est ce qu’on appelle désormais le digital labor), les droits des utilisateurs/travailleurs méritent tout aussi d’être protégés. Tout ceci s’inscrit, pour le dire avec les rédacteurs de la revue Multitudes, dans une dynamique plus vaste de conflictualité sociale qui traverse désormais le monde du numérique. Et les conditions d’utilisations sont justement l’un des lieux où ces controverses et de ces conflits se déploient.

Update [samedi 22 février 12h20]

Quelques messages intéressants, tirés de la discussion Twitter entre le sociologue Pierre Grosdemouge et la juriste Eve Matringe, suite à la parution de ce billet :