art

"Endosser l'ubiquité" : un essai d'Antonio Casilli pour La Gaîté Lyrique (12 mai 2011)

Le magazine de la Gaîté Lyrique publie un essai d’Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil), sur les oeuvres de Ricardo Nascimento et Ebru Kurbak. Les slides de la rencontre du sociologue avec les deux artistes sont disponibles ici.

Voilà la problématique centrale : comment endosser le processus socio-technologique que nous qualifions d’informatique ambiante ? A cette question, l’artiste Ebru Kurbak avait déjà cherché à donner une réponse en 2009, avec le projet News Knitter : un logiciel effectue des fouilles quotidiennes de données sur le Web, il les traite et les transmet à une machine à tricoter industrielle en réseaux, qui à son tour en tire des sweaters ornés de graphes sociaux, des pull-overs couverts de tags, des étoffes tramées de nuages de mots-clés.

Interface de visualisation transitoire, figée dans le tissu mais prête à changer chaque jour comme on change, justement, de vêtement. Le résultat de cette expérience artistique dépasse la logique des recherches sur les wearable computers menées par Steve Mann à l’université de Toronto. Le wearable computer est avant tout un habit qui représente un prolongement technologique de la peau, des nerfs, des sens de son usager. Il constitue, mcluhaniennement, une extension de l’être humain. Sa logique est donc extensive. L’information ubiquitaire endossée, au contraire, répond à une intention – ou mieux, à une in-tension : l’information cherche à traverser le corps, rencontre une résistance, finalement elle échoue et se contente d’épouser la forme du sujet qui – à la lettre – l’a sur le dos.

[…]

Dans leur projet Taiknam Hat (un couvre-chef à plumes qui se hérissent et se dressent quand elles détectent des traces d’electrosmog tel celui émis par de simples smartphones), l’information se manifeste non pas en tant que signal, mais en tant qu’interférence, d’obstacle, d’imprévu menaçant. Une alarme, un rappel de l’impossible arrangement de l’humain dans son milieu technologique. La conciliation étant irréalisable, la réalité renonce à la symbiose, se résigne  à une mixité inquiète.

Face à cette information qui agace et horripile son récepteur, toute réalité est donc une réalité mixte – comme en anglais on qualifierait de mixed blessing une situation ayant ses avantages et ses inconvénients. Mais ceci n’écarte pas la question de savoir quels mécanismes sociaux et culturels permettent l’identification mutuelle de l’information, de la communication et des formes de la vie humaine. Le trait distinctif des systèmes communicationnels contemporains est leur capacité à subsumer et, en même temps, à projeter une unité de vie. Unité sociale d’individus disparates et connectés, unité d’organismes tangibles et d’information dématérialisée, unité d’espaces intimes et publics. Mode de réalisation contradictoire qu’est le numérique ubiquitaire : il ne renonce pas à la présence physique, mais la reconfigure dans un échange dialectique avec les objets technologiques.

Antonio Casilli au festival international SIANA 2011 (11 mai 2011)

Mercredi 11 mai 2011, festival SIANA 2011 (Semaine Internationale des Arts Numériques Indépendants) accueille le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) pour parler de “Le mythe de l’IRL (In Real Life), ou pourquoi Internet ne nous a pas encore aspiré dans un cyberespace sans corps et sans amis”. La présentation aura lieu à 14h à ENSIIE (Ecole Nationale Supérieure d’Informatique pour l’Industrie et l’Entreprise), Square de la résistance, Évry, dans le cadre de la séance Idées reçues sur les usages des technologies animée par Fred Pailler, en compagnie de David Peyron et Vincent Berry.

Malgré l’essor des réseaux sociaux en ligne et malgré les effets démocratiques d’Internet, la croyance ingénue selon laquelle cette technologie serait, par sa nature, désocialisante persiste. Tout internaute serait-il aspiré dans une « réalité virtuelle » ? Eloigné de son monde, de ses proches, de son corps même, renaîtrait-il dans un cyberespace désincarné ? Ce mythe masque les liens étroits du réel et du virtuel, et fait fi de l’impossibilité de séparer pratiques sociales et usages informatiques. Continuer à penser le Web comme un espace qui  transcende notre réalité est une erreur d’évaluation lourde de conséquences théoriques et politiques.

Doctoring Fukushima: from nuclear catastrophe to natural bodily function

In the wake of the Fukushima nuclear accident, an interesting video has been circulating. Disguised as an educational animation targeting children, it is actually an anonymous pro-nuclear propaganda feature based on a tweet by media artist Kazuhiko Hachiya. Nuclear Boy (a character representing Fukushima Dai-Ichi nuclear plant) has a bad case of stomach-ache. A series of defecation-based incidents ensue. Doctors take turn to ease his condition and hopefully they will help him avoid ‘Tchernobyl diarrea scenario’.

Scatological humor aside, what is interesting here is the concurring efforts to medicalize and to naturalize a nuclear disaster. If the explosion of a reactor is comparable to defecation, it becomes a natural bodily function. It is thus inscribed in the normal course of events. It is even vital that Nuclear Boy ‘passes some gas’ at some point. In this case, like in others I’ve been discussing in this blog, the negative effects of human-made technologies are normalized by inscribing them into a medical  discourse about the body. As far as medical knowledge is summoned up to provide scientific backing to the claim that ‘everything is for the best’, the entire event becomes a moralizing hygiene lesson comparable to those that early 20th institutions used to deliver to the masses.

"L'homme transcendé" de l'artiste japonais Suguru Goto (31 mars 2011)

Au Cube d’Issy-les-Moulineaux, une performance artistique pour explorer l’extension des potentialités dans la relation homme-machine : l’interaction entre les images vidéo représentant des corps virtuels et le corps de l’artiste Suguru Goto présent sur scène, qui peut, grâce à son BodySuit, transformer ces images en temps réel. Un puzzle se crée autour des différences et des ressemblances entre corps réel et virtuel.

Festival Némo

Le Cube – 20, Cours Saint Vincent 92130 Issy-les-Moulineaux
Tél. 01 58 88 3000 Fax. 01 58 88 3010

Le jeudi 31 mars 11

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"Espèces de cyberespaces" – Slides de la présentation d'Antonio Casilli à la Gaîté Lyrique (15 mars 2011)

Mardi 15 mars 2011, le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil), a été l’invité de la Gaîté Lyrique de Paris pour une conférence dans le cadre du cycle “Technologies au quotidien” : le regard du chercheur et celui des artistes Ricardo Nascimento et Ebru Kurbak s’est porté sur le rôle des nouvelles interfaces entre le corps et son environnement quotidien. La journaliste Marie Lechner (Ecrans/Libération) a introduit la conférence en contextualisant la thématique de la soirée : les espaces visibles sont traversés par des flux invisibles d’information.

Les slides de la présentation d’Antonio Casilli sont désormais consultables en ligne.

Nous habitons aujourd’hui un espace double – matériel et cognitif. Désormais, pour presque deux milliards d’individus, nouer des amitiés, développer des relations professionnelles ou encore constituer un couple passe par Internet. Au fur et à mesure que les usages informatiques se démocratisent, la peur des risques de rupture du lien social associés à ces technologies cède progressivement le pas à une perspective qui met en évidence les potentialités « socialisantes » des technologies numériques. Il y a un Internet d’information, où l’on recherche les meilleurs prix pour les billets de train, où l’on vérifie les horaires des séances au cinéma. Mais il y aussi un Internet de communication. C’est l’espace où l’on échange des mails, on parle avec ses amis par clavier interposé, on partage de la musique et des photos avec des inconnus. Et cette communication est, justement, un fait social nouveau, une forme de coexistence assistée par les ordinateurs qui demande un regard nouveau de la part des artistes, des chercheurs et des décideurs politiques.

L’idée qu’Internet et ses technologies soeurs soient des outils froids, éloignés de l’expérience humaine est fausse. Internet est une technologie de la chaleur humaine. Les réseaux sociaux actuels traversent notre quotidien, les ordinateurs meublent nos maison, les smartphone collent à notre corps. Notre machinerie, pour reprendre les propos de Bruce Sterling, est presque arrivée “sous la peau”.
La miniaturisation des ordinateurs (initiée dans le deuxième après guerre) a engendré une reterritorialisation de ceux-ci, leur permettant petit à petit d’intégrer l’espace domestique. Le premier changement que cette miniaturisation a impliqué est donc celui de l’espace physique. L’agencement des pièces, des meubles, des chambres change avec l’arrivée de ce nouvel appareil électroménager qu’il faut installer, comme on a installé avant lui la radio ou la télévision. Mais il n’y a pas que l’espace domestique qui est bouleversé par l’arrivée de cet équipement : l’espace technologique de la maison l’est aussi avec l’arrivée d’un équipement dont le contenu technologique est par définition plus important que les autres, puisqu’il permet de tout faire (jouer de la musique, regarder des films, jouer, communiquer…). Enfin, ils ont également reconfiguré l’espace social. Pour les “enfants de l’ordinateur” des années 80, l’ordinateur a été l’occasion de s’autonomiser ou de resituer le rôle qu’ils avaient au sein de la famille. Il va de même pour la Génération Y d’aujourd’hui – les utilisateurs de Facebook et des autres médias sociaux.

Rien de plus éloigné du mythe du cyberespace, colporté par nombre de théoricien du Web, passés et présents : connecté en ligne, tout internaute serait-il aspiré dans une « réalité virtuelle » ? Suite à la banalisation des bornes wi-fi et des interfaces informatiques, les usagers d’aujourd’hui se branchent à Internet comme ils se brancheraient à une prise électrique. Il devient alors clair que continuer à penser au Web comme à un espace transcendant par rapport à notre réel est une erreur d’évaluation lourde de conséquences théoriques et politiques.

Technologies au quotidien : Antonio Casilli à la Gaîté Lyrique (15 mars 2011, 19h)

Le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) rencontre les artistes Ebru Kurbak et Ricardo Nascimento à la Gaîté Lyrique (3 bis rue Papin
, Paris) le mardi 15 mars 2011, 19h.

Entre visible et invisible, appréhension de l’espace électromagnétique et stratégies artistiques. Avec l’essor des Technologies de l’Information et de la Communication, nous avons découvert des agents secrets liés aux hyperfréquences : les électro polluants. Pour éveiller les consciences sur ce sujet, chercheurs, designers et artistes réfléchissent et inventent toutes sortes de stratégies d’adaptation et de protection. Quels sont les rôles et la place de ces interfaces d’un nouveau type entre le corps, son environnement et l’espace invisible ?

Quick French Talk avec Antonio Casilli à The Nice Institution

‘Les liaisons artistiques’ est une collection d’œuvres liée au livre d’Antonio Casilli Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil). A l’honneur pour cet épisode, les artistes Mildred Simantov et Nils Thornander, fondateurs de The Nice Institution. Leur série de pièces QUICK FRENCH TALK, est basé sur un présupposé très simple : inviter à chaque fois un convive à l’emploi du temps chargé – d’où la devise de la série “I have only thirty minutes to have lunch” (“je n’ai que 30 minutes pour déjeuner”). L’art de la conversation du Siècle des Lumières, mais en version speed.

Dans cette vidéo, Casilli s’attaque à trois grandes thématiques (dieu, le savoir et la nourriture), mais il s’octroie aussi des  petits détours vers des sujets plus  pointus – comme l’anorexie, l’anarchie et… les poulets-cyborg.

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part01 “Atheist”

“J’ai à plusieurs reprises témoigné de mon amour inconditionnel pour l’oeuvre de Mildred Simantov et Nils Thornander. Leur travail Strange Fruit, réalisé avec le généticien Brian Lucas, est absolument passionnant. Plus récemment j’ai été l’un des « convives virtuels » de leur installation Réfectoire, exposée au Musée Carnavalet à l’occasion de la Nuit Blanche 2010. Dans ce symposium virtuel, avaient fait leur première apparition publique les bols bretons peints d’un mot désignant une identité géopolitique ou culturelle : “Socialiste” “Anorexique” “Suisse” “Catholique” “Employé” “Ami” etc.  Un seul mot, censé solliciter une identification – ou un refus d’identification. Méditer sur la complexité de son identité reste le but déclaré de ces objets apparemment très simples et banals. La même banalité et les mêmes questionnements bouleversants que je détecte dans les usages numériques.” —a

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part02 “Philosopher”

Quick French Talk – Antonio A. Casilli #Part03 “Anorexic”

Bio

Mildred Simantov, designer sémantique, plasticienne, éditrice et web-artist noue des relations singulières entre les mots, les signes et les objets. Nils Thornander, plasticien et compositeur développe sous de nombreuses formes son concept du Continuum, par lequel il tente de saisir la complexité du monde actuel. Associés depuis 2009, ils ont créé avec The Nice Institution une oeuvre qu’ils décrivent comme “the fastest link etc.” Parmi leur réalisations : Réfectoire (Nuit Blanche 2010, Musée Carnavalet, Paris) ; Olympic Smoking Area (Chic Art Fair, Cité de la mode et du Design, Paris) ; Limited Edition Waiting for the Peak Oil#05 (Blackblock – Palais de Tokyo 2011).

Linux Virgin : notre fétichisme technologique quotidien

Au hasard de mes archives je retrouve un vieux message de la liste de diffusion du Lancaster Linux User Group annonçant la mise en ligne de la série Web érotico-artistico-satirique Linux Virgin (2005). Au fil des épisodes, toujours le même scénario : sous le regard d’un voyeur-geek, une dominatrice-hacker tout de cuir habillée forçait une jeune femme à… installer un serveur Linux. Allégorie de notre fétichisme technologique quotidien (et des rapports de domination qu’il sous-entend), cette création d’un groupe d’étudiants de la Columbia University a laissé peu de traces de son passage sur la Toile. En bon cyber-archéologue, je suis allé la dénicher afin d’apporter de la matière à discussion pour la rencontre sur Corps et Internet, à laquelle je participerai avec le psychanalyste Yann Leroux mardi 21 décembre 2010, à 19h00 à La Cantine (51 rue Montmartre, Passage des Panoramas, 12 Galerie Montmartre, 75002 Paris). PS. Malgré ce préambule, la vidéo ne contient pas de nudité ni de gros mots : elle est complètement SFW (Safe For Work).

La sociologie des objets de Stéphane Massa-Bidal ('Les liaisons artistiques')

Chaque nouvel épisode de la rubrique ‘Les liaisons artistiques’ propose des œuvres liée à ou inspirées par le livre d’Antonio Casilli Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil, 2010). Aujourd’hui nous accueillons Stéphane Massa-Bidal (mieux connu sous les pseudonymes Rétrofuturs ou Hulk4598) . Dans sa Sociology of objects le graphisme se fait outil de critique de notre quotidien technologique.

Mon admiration pour le travail de Stéphane Massa-Bidal naît avec la découverte de sa  manière de se plonger dans le passé des technologies, des utopies et des cauchemars qui les accompagnent. Une esthétique quelque peu steampunk au service d’un talent pour l’étrange et l’inquiétant. Mais aussi un sens authentique de la nostalgie. Nostalgie non pas pour les artefacts électroniques, mais pour les relations humaines qu’ils aident à façonner. La mise en images des milieux techno-géographiques humains de Gilbert Simondon ? L’Actor Network Theory de Bruno Latour? Emprunter ses images, comme cahier icono idéal pour le chapitre “Le colosse et l’abricot” de Les liaisons numériques devient presque un geste spontané. —a

Les images


Bio

Sémioticien de formation et designer graphique autodidacte, Stéphane Massa-Bidal a créé autour de son travail sur l’iconographie du présent le concept artistique de Rétrofuturs. Images d’archives, collages, typographie, expriment les liens entre le “online” et le “In Real Life”. Présent dans les médias internationaux, il a été publié dans de nombreuses publications et sites Web de référence (Fluxus Magazine, Trax, decapage, Tamtam, Les Inrocks, Jailbreak, Boing Boing). Plus de 900 images sont accessibles sur Flickr et sur son site Web http://www.retrofuturs.com/.

'Liaisons artistiques' pendant le Nuit Blanche (2 octobre 2010)

A l’occasion de la Nuit Blanche 2010, Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques (Seuil, 2010), sera parmi les “convives virtuels” de l’installation Réfectoire des artistes Mildred Simantov et Nils Thornander. L’installation, accessible au Musée Carnavalet, 16 rue des Francs-bourgeois, Paris 4e, est une œuvre visuelle et sonore qui interroge la notion d’identité.

Plongés dans l’obscurité, une cinquantaine de bols bretons peints d’un mot désignant une identité géopolitique ou sociétale sont alignés sur une très longue table pour un improbable souper. Des hommes et des femmes filmés prononcent en alternance dans de nombreuses langues des mots qui semblent les définir invitant le visiteur à méditer sur la complexité de sa propre identité.

Nils Thornander, plasticien et compositeur, et Mildred Simantov, designer sémantique, sont les fondateurs de The Nice Institution. Dans le cadre de notre rubrique Les liaisons artistiques, ils consacreront une vidéo de leur série Quick French Talk à l’un des chapitres de Les liaisons numériques.