L’intelligence artificielle, une précarisation de l’emploi plus qu’une destruction
Entre prévisions catastrophistes et optimisme souvent intéressé, l’impact de ces technologies sur les travailleurs est difficile à prédire. Au-delà du risque d’aggravation des inégalités, c’est surtout notre dépendance qui doit être interrogée.
Quand on lui demande si l’intelligence artificielle (IA) va détruire nos emplois, GPT-3 reste prudent : «Cette question est très controversée et dépend largement des applications de l’intelligence artificielle.» Pour une réponse plus détaillée, et surtout plus intéressante, on se tournera plutôt vers les humains qui planchent depuis longtemps sur ces enjeux, En 2013, une étude publiée par l’université d’Oxford semait un vent de panique. Après avoir analysé 702 métiers, ses auteurs ont conclu que 47 % des emplois aux Etats-Unis seraient automatisables d’ici à vingt ans, grâce à des robots, des logiciels ou des intelligences artificielles. Parmi les métiers les moins à risque, on retrouvait les assistants de service social, les orthoprothésistes ou les stomatologues. Parmi les plus à risques, les télémarketeurs, les réparateurs de montres ou les agents de bibliothèque.
«Précarisation généralisée»
Presque dix ans après ces prédictions fatalistes, et parfois critiquées, économistes et sociologues du travail tentent toujours d’estimer les conséquences de la généralisation des intelligences artificielles dans nos vies. Certains de ces travaux cassent nos clichés. En 2020, Michael Webb, économiste de l’université de Standford, supposait que contrairement aux robots et aux logiciels, qui peuvent concurrencer des métiers moins qualifiés, l’intelligence artificielle menace davantage les emplois à hautes compétences, car elle ne se contente pas d’effectuer des tâches répétitives. Les travailleurs les plus âgés, qui ont accumulé le plus d’expérience et qui s’adaptent moins vite, seraient particulièrement vulnérables à ces bouleversements. Par ailleurs, en 2019, l’OCDE donnait une estimation moins dramatique que les économistes de l’université d’Oxford : «Seulement 14 % des emplois existants présentent un risque de complète automatisation, et non pas près de 50 % comme le suggèrent d’autres recherches.» Par ailleurs, 32 % des emplois pourraient «profondément changer», sans pour autant disparaître.
Intelligence artificielle
Il est donc difficile d’estimer l’impact réel de l’intelligence artificielle sur le futur marché de l’emploi, entre les pessimistes, qui craignent une explosion massive du chômage, et les optimistes, qui croient en la destruction créatrice (discours largement nourri par l’industrie du numérique) ou en l’avènement d’une société sans travail. Pourtant, certains spécialistes arguent qu’on se trompe de sujet. «Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui menace l’emploi, c’est le capitalisme et la course effrénée aux hyperprofits», tranche Antonio Casilli, professeur de sociologie à l’Institut polytechnique de Paris. «Les investisseurs cherchent à réduire le coût de la masse salariale par différentes méthodes. Par exemple, en licenciant en masse puis en réembauchant des personnes en free-lance pour ne pas payer de cotisations sociales. On assiste aussi à la fragmentation de métiers qui, avant, étaient professionnalisants et liés à des compétences fortes. Désormais, il s’agit de microtâches séparées. Ce qu’on voit aujourd’hui c’est moins du chômage de masse qu’une situation de précarisation généralisée.»
Inégalités sociales aggravées
Dans son essai En attendant les robots (Seuil, 2019), le chercheur s’attaque justement à la «prophétie lancinante» de la fin du travail provoqué par les machines. Il y souligne que les intelligences artificielles sont des dispositifs qui demandent énormément de travail humain pour fonctionner, au-delà des développeurs informatiques qui les créent. C’est ce qu’on appelle le «digital labor». Des activités (rémunérées ou non) conçues pour enrichir des plateformes numériques, les nourrir de données, et donc leur donner de la valeur : livreur Deliveroo, travailleur du clic (qui fait des petites tâches répétitives comme de trier ou d’annoter une base de données) ou même… internaute qui s’amuse à discuter avec GPT-3, entraînant ainsi l’IA pour améliorer gratuitement ses performances. C’est un travail qui n’est pas considéré comme du travail, sans protection ni reconnaissance. Or, ce phénomène de digital labor s’accélère, particulièrement avec la crise sanitaire et encore plus dans les pays en développement. L’intelligence artificielle aggrave donc déjà les inégalités économiques et sociales, mais pas forcément comme on le croit. «Dans ce débat sur l’intelligence artificielle et l’emploi, il faut se poser cette question : quand on parle d’automatisation, de quoi parle-t-on vraiment ? s’interroge Antonio Casilli. Souvent, cela veut dire remplacer des personnes visibles par d’autres invisibles, qu’on sépare du reste du monde par un écran.»
Quels hommes se cachent derrière les robots ? Réponses avec le sociologue Antonio Casilli, professeur à l’Institut Polytechnique de Paris et spécialiste de nos usages numériques.
Avec
Antonio Casilli Professeur à Telecom Paris, Institut Polytechnique de Paris
Sociologue d’une modernité liquide, il a fait de nos vies numériques un champ d’analyse très concret et interroge ce que les nouvelles technologies font aux humains de corps et d’esprit ! Antonio Casilli est notre invité : professeur de sociologie à l’Institut Polytechnique de Paris, il est l’auteur d’En attendant les robots, paru au Seuil et a participé à la série documentaire Invisibles, les travailleurs du clic, sur France 5, disponible sur la plateforme France TV Slash.
Le quotidien britannique The Guardian rapporte une histoire un peu effrayante d’attaque de robot. En marge d’un tournoi international d’échecs à Moscou, un robot joueur a été mis à disposition. Un petit garçon, qui figure parmi les meilleurs joueurs de la capitale russe dans la catégorie des moins de 9 ans, a voulu tester la machine. Le robot, perturbé par sa rapidité d’exécution, lui a vivement attrapé les doigts. Sur une vidéo, l’on constate que le robot met du temps à lâcher l’enfant et que l’intervention d’un adulte est nécessaire.
Le résultat est une fracture et un plâtre. L’enfant a tout de même pu participer au tournoi le lendemain, à l’aide d’une attelle, mais ses parents envisagent des poursuites judiciaires contre le fabricant du robot.
Dans l’émission “Un nouveau monde”, le sociologue franco-italien Antonio Casilli revient sur cet événement.
L’enfant mis en cause
Étonnamment, c’est l’enfant qui a été mis en cause par les organisateurs du tournoi dans cet événement, car son comportement serait sorti du cadre établi. Sergey Smagin, vice-président de la Fédération russe des échecs, auprès du média russe Baza, justifiait cet acte ainsi : “Il y a des règles de sécurité et il semblerait que l’enfant ne les ait pas respectées. Quand il a entrepris son action, il n’a pas réalisé qu’il devait d’abord attendre. C’est un événement rarissime. Le premier de ce type à ma connaissance.”
Le sociologue spécialisé dans l’analyse des nouvelles technologies Antonio Casilli s’étonne que ce soit le geste de l’enfant qui soit d’abord mis en avant :
“C’est intéressant de remarquer la réaction des organisateurs de ce tournoi d’échecs qui ont tout de suite mis la faute sur l’enfant en disant que c’est lui qui avait commis une erreur parce qu’il avait été trop rapide, plus rapide qu’une machine intelligente parce que cet enfant, c’est l’un des meilleurs champion d’échecs russes de moins de neuf ans. Donc il est plus rapide et plus intelligent que la machine. C’est un joli échec pour cette machine qui joue aux échecs, c’est-à-dire que c’est un fail.”
Cette machine, moins intelligente que cet enfant, n’a pas été blâmée. L’aurait-t-elle compris… Mais comment un tel incident a-t-il été possible ?
Un univers trop complexe pour l’intelligence artificielle
Antonio Casilli explique que ces machines peuvent agir et intervenir dans un cadre précis, mais dès lors que l’on sort de ce cadre, l’univers devient trop complexe :
“Ces machines sont pensées et imaginées pour évoluer dans ce qu’on appelle, en mathématiques, des ‘espaces discrets’. Les échecs sont un cas classique. Vous avez 64 cases, 32 pièces et rien de plus. Mais l’univers est beaucoup plus complexe que ça. Il y a beaucoup plus de places que 64 cases dans l’univers et beaucoup plus de choses que 32 pièces. Et donc, parfois, un doigt peut, disons s’insérer dans la machine, et malheureusement aussi blesser en passant.”
Doit-on avoir peur des machines ?
La peur des machines, qui pourraient prendre la place des humains, peut avoir des liens avec la politique et cette idée totalement abjecte d’un “grand remplacement”, comme l’explique Antonio Casilli :
“La rhétorique du remplacement est une rhétorique qui a des échos, hélas politiquement, très problématiques. Le grand remplacement robotique se fait écho de certaines peurs des droites extrêmes un peu partout dans le monde, d’un grand remplacement. Souvent, les personnes qui véhiculent cette rhétorique du grand remplacement robotique ont aussi des sympathies pour les autres théories du grand remplacement. Et on le voit de plus en plus avec les producteurs de technologies de la Silicon Valley, par exemple, qui se rangent de plus en plus à droite dans l’échiquier politique.”
Des dangers des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle
La perte de contrôle est en revanche une crainte légitime, quant aux nouvelles technologies, toujours plus présentes dans nos quotidiens. Antonio Casilli parle d’automatisation :
“Il existe une continuité entre les plateformes et les applications en général, tous ces petits bouts de logiciels qui peuplent notre vie, nous mettent au travail d’une manière ou d’une autre. Et de l’autre côté, l’automation, parce que c’est souvent avec les données extraites à partir des applications et des plateformes numériques comme Google, Facebook ou WhatsApp. et ainsi de suite, qu’on entraîne, c’est-à-dire qu’on prépare, qu’on produit l’automatisation.”
Est également pointée du doigt dans l’émission “Un monde nouveau” la pénibilité du travail de certains micro-travailleurs, des petites mains qui accomplissent en nombre des taches précises et répétitives notamment.
Antonio Casilli prend l’exemple des voitures autonomes et du travail que cela nécessite, bien souvent délocalisé :
“Ce sont des ordinateurs sur roues et elles enregistrent énormément de données qui doivent être par exemple des vidéos du monde environnant. Après, il faut que quelqu’un traite ces données. Par exemple, en ajoutant des tags comme on le fait sur Instagram par exemple, ‘ça, c’est un arbre’, ‘ça, c’est un feu de circulation’, etc. Ou alors que ces personnes dessinent les contours des voitures… Donc c’est un travail pénible, c’est un travail à faire à la main et qui est considéré comme un travail sans qualités. (…) Les grandes plateformes externalisent, délocalisent ce travail très faiblement rémunéré à des personnes qui sont souvent à l’autre bout du monde, pour les entreprises françaises, fort souvent en Afrique, ou alors dans d’autres pays francophones, et pour les pays anglophones, plutôt du côté de l’Asie, de l’Inde, vers l’Asie du Sud-Est.”
Le sociologue évoque l’idée, pour pallier ses dangers et dérives, de la “coopérativisation”. Il explique : “C’est l’idée de faire en sorte que ces grandes plateformes et ces technologies en général soient confiées aux utilisateurs. Si on devenait tous un peu propriétaires de ces technologies, on aurait aussi la possibilité de les investir de nos exigences, de nos désirs et pas seulement des désirs des billionaires qui les ont lancées au début.”
La quatrième séance d’approfondissement de notre séminaire #ecnEHESS Étudier les cultures du numérique (organisée en collaboration avec la Gaîté Lyrique) a eu lieu en version wébinaire le jeudi 11 mars 2021, de 19h à 21h. Les échanges se sont déroulés en anglais.
Dans ce séminaire, Angèle Christin (Université Stanford), auteure entre autres de Metrics at Work. Journalism and the Contested Meaning of Algorithms (Princeton University Press, 2020) plaide pour l’articulation entre grands principes de l’éthique des algorithmes et observation ethnographique de leur conception et usages afin de prendre en compte leurs conséquences sociales inattendues.
Dans le rôle de discutant/contrepoint, le militant Yonatan Miller, membre de la Berlin Tech Workers Coalition, organisation de protection des droits des travailleurs du secteur technologique.
Les algorithmes en pratiques: De l’éthique à l’ethnographie
Angèle Christin (Université Stanford)
Les recherches actuelles sur les algorithmes et l’intelligence artificielle articulent d’importantes critiques concernant l’opacité, la discrimination et la surveillance que ces formes technologiques représentent et amplifient. Suite à ces critiques, de nombreux travaux ont apellé au développement d’une “éthique des algorithmes” autour de concepts comme “fairness, accountability, and transparency”. Angèle Christin soutient ici qu’en plus de ces critiques, qui portent principalement sur les instruments eux-mêmes, il est essentiel de réinscrire les algorithmes dans une analyse fine des usages afin de mieux comprendre leurs effets problématiques sur le monde social. En particulier, nous devons inscrire explicitement les algorithmes dans la recherche ethnographique, qui peut faire la lumière sur leurs aspects inattendus. La présentation illustre ces points à partir d’une recherche ethnographique sur les algorithmes prédictifs dans la justice pénale américaine. Angèle Christin conclut en discutant des implications de cette boîte à outils pour l’étude des systèmes sociotechniques.
Depuis le début de cette épidémie de COVID, je me dis qu’elle a un rapport avec le numérique. Un rapport profond. Mais je n’arrive pas vraiment à en cerner les contours. J’ai voulu essayer de comprendre si ce moment que nous avons vécu a changé quelque chose à nos vies numériques, à notre rapport à Internet.
Par exemple, la manière dont on a suivi la progression de l’épidémie était particulière – sans doute inédite dans l’Histoire des pandémies. On a vu en temps réel le virus se propager. De par la capacités des données hospitalières d’une bonne partie du monde à être récoltées, compilées et diffusées, de par les réseaux sociaux qui bruissaient sans cesse, de par la mise en commun du travail des chercheurs, le virus est devenu viral, pour faire un mauvais jeu de mot… Je ne sais pas comment, mais ça a sûrement joué et dans la manière dont on a vécu l’événement et dans les décisions politiques qui ont été prises….
Pendant le confinement, le numérique a continué d’occuper une place importante : télétravail, apéros Zoom, films sur Netflix, problème de bandes passantes, applications de traçage…. tout ça nous a beaucoup occupés.
J’ai voulu essayer de voir plus clair, de comprendre si ce moment que nous avons vécu – et qui n’est pas derrière nous – a changé quelque chose à nos vies numériques, à notre rapport à Internet. J’ai le sentiment que c’est le cas, mais peut-être que je me trompe.
Et pour m’éclairer, il fallait quelqu’un capable de parler aussi bien des livreurs Deliveroo que de sexe en ligne… aussi bien de Zoom que de StopCovid… et j’ai quelqu’un pour ça. Antonio Casilli, sociologue, qui enseigne à Télécom Paris et qui a travaillé sur des sujets variés – la vie de bureau, la sociabilité numérique, les trolls, les travailleurs de plateformes… On s’est retrouvés un soir, dans un jardin. Il faisait nuit. On se distinguait à peine dans le noir. Ce qui explique le ton un peu confident d’Antonio. Et on a discuté…
L’invité
Antonio Casilli est sociologue, il enseigne à Télécom Paris. Il a récemment publié En attendant les robots – Enquête sur le travail du clic, aux éditions du Seuil.
Pendant une semaine, sur la Radio Télévision Suisse Gérald Wang consacre 5 reportages aux nouveaux métiers précaires du web : livreurs, chauffeurs, camgirls, travailleur•ses de la logistique et des services bancaires. Ensuite, l’émission Les échos de Vacarme invite Vania Alleva, présidente du syndicat Unia, et Antonio A. Casilli, sociologue et professeur à Télécom Paris, pour commenter les reportages.
Les ordinateurs se sont immiscés dans notre quotidien. Ils ont changé nos gestes de tous les jours. Les activités qui demandaient un déplacement – aller au magasin, manger un plat de son restaurant préféré, payer ses factures, voire même se rendre chez une prostituée – peuvent désormais se faire sans bouger de chez soi. Quʹen est-il des promesses liées à cette digitalisation du monde? Sommes-nous passés dʹune société de production à une société de services? Avons-nous vraiment pu libérer du temps pour nos loisirs? À quoi ressemblent les vies de celles et ceux qui font marcher les rouages de ce système?
Avec l’économiste Philippe Askenazy, j’ai participé à l’émission Entendez-vous l’éco (France Culture) dans le cadre d’une semaine consacrée à la logistique.
Entendez-vous l’éco ? par Tiphaine de Rocquigny
SÉRIE La logistique c’est fantastique !
Épisode 4 :
Le triomphe des plate-formes
La crise du Covid-19 rend crucial le fonctionnement des centres de distribution, entrepôts, plates-formes, hubs : tous les ronds-points de l’économie réelle et digitale. Chacun d’entre nous, depuis chez lui, réserve et commande plats cuisinés, vêtements, meubles ou électroménager. Surtout, le travail à distance nous a imposé de nouveaux outils collaboratifs qui accélérèrent le basculement la logistique dans les bastions du numérique. Alors, la crise du coronavirus signe-t-elle le triomphe des plates-formes de commerce en ligne et de livraison telles qu’Amazon, CDiscount et Deliveroo ?
‘Plateforme’ est un terme très ancien qui, au début, désignait une structure matérielle ou architecturale. Avec l’arrivée du numérique, il s’est mis à désigner quelque chose de beaucoup plus complexe et immatériel. – Antonio Casilli
Pendant le confinement, les livreurs ont pu montrer qu’ils jouent un rôle essentiel, malgré les efforts des plateformes logistiques pour nous faire croire qu’elles font du commerce uniquement en ligne, sans dimension matérielle. – Antonio Casilli
On constate un grand différentiel des effets du télé-travail selon les personnes, notamment entre les hommes et les femmes. Nombre de femmes ont été contraintes d’assumer leur rôle de parent et de continuer à travailler. Philippe Askenazy
Le problème est que le télé-travail, pendant le confinement, a cherché à répéter la logique présentielle du travail, avec une hausse des réunions et apéritifs virtuels, par exemple, ce qui a provoqué une lourde fatigue cognitive. – Antonio Casilli
«L’intelligence artificielle invisibilise le travail»
La machine remplacera-t-elle le travailleur ? À cette question mille fois rebattue, le sociologue et professeur à Télécom Paris Antonio Casilli répond par la négative. Dans son ouvrage En attendant les robots, il affirme que ce discours procède d’une grande mystification à laquelle il convient d’apporter un démenti, pour mieux lever le voile sur les conditions de travail.
Sheep Pain Facial Expression Scale (SPFES) est un outil élaboré en 2016 par le docteur Krista McLennan de l’Université de Cambridge. « Les
chercheurs ont nourri l'intelligence artificielle avec 500 photos de
moutons et lui ont appris à mesurer la souffrance en analysant la
position de la bouche, le plissement des yeux, l'inclinaison des
oreilles et tous les autres éléments susceptibles de traduire un
mal-être. » La douleur est reconnue dans 80% des cas et permet
d’établir des diagnostics précoces en vue de soigner les pauvres bêtes.
Voilà qui fait avancer la science, même si l’histoire ne dit pas si ce
sont des travailleurs sous payés en Asie du Sud-Est qui ont tagué les
photos d’ovins.
Le dernier ouvrage d’Antonio Casilli, En attendant les robots, enquête sur le travail du clic
(Seuil), a défrayé la chronique. La thèse : l’intelligence artificielle
repose sur le travail manuel de millions de travailleurs précaires qui
trient, annotent et commentent les données nécessaires à son bon
fonctionnement. De là à affirmer que l’intelligence artificielle
n’existe pas, il n’y a qu’un pas, qu’il est tentant de franchir ici.
Juste pour voir.
La semaine de l’intelligence artificielle a une drôle de tête : le lundi, elle va nous remplacer ; le mardi, elle va créer des emplois ; le mercredi, elle nous dépasse de nouveau ; mais heureusement, elle nous augmente le jeudi (ouf !). Et ainsi de suite jusqu’à ce que nous nous persuadions qu’elle est une personne avec sa volonté propre, une bonne copine ou notre pire ennemie, selon le jour, nos convictions ou notre position dans la société. En fait, nous la connaissons plutôt mal. Nous n’en n’avons pas toutes les clés, et c’est là que Casilli apporte un éclairage supplémentaire. C’est en sociologue de terrain qu’il est allé soulever le capot des intelligences artificielles qui prennent place dans nos smartphones, nos maisons et nos automobiles. Derrière ces IA aux airs schizophrènes, une autre réalité couve : des travailleurs précaires, essentiellement en Asie et en Afrique. Des petites mains qui taguent, annotent et commentent les images que « voient » les véhicules autonomes. Des petits doigts qui cliquent pour censurer les vidéos de décapitation sur YouTube et Facebook afin de nous éviter d’avoir à tomber dessus par un malencontreux hasard algorithmique. L’IA ne s’incarne donc pas en une unique personne virtuelle aux multiples interfaces, à la façon de l’OS du film Her de Spike Jonze, mais en des millions (de chair et d’os), qui travaillent dans l’ombre des mines de la modération, et qui ne sont pas cher payées.
Si l’on suite de plus près le fil “casillien”, l’intelligence artificielle est un mode d’organisation du travail. Un rapport d’exploitation qui modèle nos sociétés à son image. Non seulement nos intelligences artificielles sont « artificielles », mais elles embarquent toute une vision du monde et du travail. Cela pourrait tenir en deux étapes. Étape 1 : réduire tous les emplois en petites tâches compréhensibles par une machine. Étape 2 : dissoudre le travail dans les machines. C’est le même processus qui aurait mis les ouvriers derrière les machines, ou les clients devant les distributeurs de billets plutôt que face aux guichetiers. Pour Casilli, et comme il l’explique à Libération, l’objectif de cette IA est de « discipliner la force de travail », de calmer ses ardeurs en lui rappelant que si elle en demande trop, on l’automatisera. Automatisation qui relève selon lui d’un mythe : les distributeurs de billets n’ont pas remplacé les guichetiers, rappelle-t-il en début d’ouvrage. En d’autres termes, l’intelligence artificielle ne détruirait pas le travail, mais ne ferait qu’en déplacer les modèles et modalités.
Une thèse qui ne fait pas l’unanimité mais que partage l’activiste Astra Taylor (@astradisastra), pas loin elle non plus de nous dire que l’automatisation est une farce. En témoigne sa charade de l’automatisation où elle explique que la soi-disant obsolescence de l’homme a souvent servi de prétexte pour réduire en cendre les revendications des salariés. Ce fut le cas en 2013 lors du mouvement « Fight for 15$ », au cours duquel les salariés des fast-foods américains demandèrent une revalorisation salariale. De son côté, l’ancien PDG de Mac Donald les menaçait subtilement d’automatisation. Ce qui ne manqua pas d’arriver quelques mois plus tard quand la grande chaîne de fast-food introduisit les bornes digitales en libre service dans ses restaurants. Seulement voilà, le travail des salariés n’a pas disparu. Les clients se chargent de sélectionner leurs menus (ce sont maintenant eux qui travaillent, dirait Casilli). Les employés de la chaîne, quant à eux, préparent les commandes. « Macdo » les embauche encore, le travail aurait juste, de nouveau, été déplacé. Le fond de l’affaire serait psychologique : il s’agirait de faire croire à n’importe quel travailleur qu’il est potentiellement automatisable. Astra Taylor invente un terme pour exprimer cette peur de l’automatisation qui n’arrive jamais : « Fauxtomation ». La fauxtomation, c’est le « en attendant les robots » de Casilli. Une épée de Damoclès technologique. Un horizon menaçant dont le seul objet serait de reproduire les structures en place. De nouveau, il n’y a pas d’automatisation, il y a juste des rapports de force.
Ces deux pensées font écho à ce que le philosophe allemand Günther Anders (1902-1992) appelait la « honte prométhéenne » : ce sentiment de faiblesse qui s’empare de l’homme quand celui-ci compare sa condition biologique à la toute puissance de la machine. Mais quand on y réfléchit, cette honte ne mène à rien, car le match est truqué. Il n’y a aucune raison d’être honteux face à une machine, pas plus que face à un casse-noix qui lui, casse des noix bien plus vite et mieux que nous. Nous ne sommes pas non plus honteux face aux mouches (qui volent, elles), ou devant les lapins (qui copulent cent fois plus). Pour le dire autrement, Casilli, Taylor et Anders analysent la technologie selon un prisme nouveau, mais celui-ci n’épuise pas les nombreuses interprétations disponibles sur le marché des idées.
Et c’est là toute la difficulté. Si on la dilue dans les rapports de domination qui la sous-tendent, alors l’intelligence artificielle disparaît à leur profit. On ne voit plus que ce qu’on ne voyait pas avant : des travailleurs pauvres dans des pays lointains. Mais il reste que, du point de vue du développeur, l’intelligence artificielle est un programme qu’il souhaite mettre au service de ceci ou de cela, sans nécessairement désirer un déclassement généralisé de la population. Du point de vue de l’historien des sciences, l’intelligence artificielle sera un assemblage de techniques, d’inventeurs et de faits sociaux qui ont conduit à son premier véritable essor au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Du point de vue du badaud qui traduit un texte dans une langue étrangère, elle sera une aide précieuse. Du point de vue de l’entrepreneur, un relais de croissance. Et ainsi de suite. Tous ces points de vues sont réels. D’où ce paradoxe : si l’une de ces visions ne saurait remplacer toutes les autres, leur coexistence ne devrait pas non plus diluer le tout dans un relativisme inopérant. Ou plus grave, dans une tétanie annihilant toute action ou réflexion pour le mieux plutôt que le pire.
Derrière les promesses de l’intelligence artificielle, le cauchemar du “digital labor”
Claire Richard.
Un spectre hante l’intelligence artificielle, c’est le digital labor. Le dernier livre du sociologue Antonio Casilli , spécialiste des réseaux sociaux et des mutations du travail à l’ère numérique, dresse un panorama sombre des nouvelles formes de travail déconsidéré ou invisible apparues avec l’essor des plateformes et de l’automatisation.
En attendant les robots
(Seuil), Le nouveau livre d’Antonio Casilli s’ouvre sur une histoire
édifiante. Simon (c’est un nom d’emprunt) est embauché dans une start-up
qui promet une solution d’intelligence artificielle pour proposer des
offres personnalisées à des clients de luxe. Peu de temps après son
arrivée, à la machine à café, il demande à un collègue pourquoi la boîte
n’a pas embauché de data scientist, si son cœur de métier est l’IA.
Parce qu’il n’y a pas d’IA, s’entend-il répondre. La personnalisation
des offres, ce sont des humains qui la font : des travailleurs à
Madagascar – et de temps en temps les stagiaires.
Le « secret » des intelligences artificielles ? Les humains
On l’aura compris : le titre de l’ouvrage, En attendant les robots,
et sa référence à Beckett, est ironique. Car Antonio Casilli ne croit
pas au « grand remplacement technologique », le spectre de la
disparition des emplois à cause de l’intelligence artificielle, agité
tant par des chercheurs (on se souvient de la fracassante étude d’Oxford annonçant que 47% des emplois disparaîtraient avec l’automatisation) que des éditorialistes et des entrepreneurs.
En réalité, explique le chercheur, les solutions d’intelligence
artificielle actuellement disponibles sur le marché ne peuvent se passer
d’humains. Même en laissant de côté les supercheries comme celle citée
plus haut, les exemples sont légions : systèmes de modération de
contenus vérifiés largement par des humains (comme chez YouTube),
opérateurs vérifiant les appariement proposés par des machines (comme
chez Amazon), assistants virtuels intelligents reposant largement sur
des humains (comme l’assistant virtuel de Facebook « M », retiré de la
circulation depuis) ou encore voitures autonomes assistées par des
opérateurs chargés d’analyser le données récoltées par le système (comme
chez Uber, où un chef de projet, ancien chef de projet de Google Street
View, a décrit lesdits opérateurs comme des « robots humains »).
« Ce ne sont pas les machines qui font le travail des hommes, mais les hommes qui sont poussés à réaliser un digital labor pour les machines en les accompagnant, en les invitant, en les entraînant », résume le chercheur.
Les intelligences artificielles doivent toujours être paramétrées,
entraînées et encore très largement supervisées par des humains, malgré
les progrès des méthodes d’apprentissage non supervisés. Les progrès
fulgurants des IA ces dernières années sont surtout dus à l’explosion
des quantités de données d’entraînement : or celles-ci doivent être
triées, annotées, préparées par des humains. Et enfin, ces programmes
doivent être évalués et corrigés pour pouvoir s’améliorer. Ainsi, les
utilisateurs vont utiliser pendant plusieurs années une version beta du
service Gmail de Google, pour l’améliorer, ou tagger leurs amis sur des
photos et contribuer ainsi sans nécessairement en avoir conscience à
l’affinement du service de reconnaissance faciale de Facebook : « C’est
un travail humble et discret, qui fait de nous, contemporains, à la fois
les dresseurs, les manouvriers et les agents d’entretien de ces
équipements. »
La question que pose l’intelligence artificielle et
l’automatisation, ce n’est donc pas celle de la menace sur l’emploi –
mais celle de la transformation profonde du travail pour répondre aux
besoins de la machine.
Un travail invisible
Ces nouvelles formes de travail, Antonio Casilli les range dans la catégorie du digital labor.
Littéralement « travail numérique », le terme désigne l’ensemble des
nouvelles formes de tâches que nécessite l’économie des plateformes
numériques — que ces tâches soient ou non (et c’est un point crucial)
reconnues comme du travail. Le digital labor, la plupart du
temps, est invisible. Parce qu’une large part se déroule dans les pays
du Sud, à la périphérie de la conscience des pays du Nord. Et surtout
parce que les plateformes refusent de le considérer comme travail :
elles se décrivent comme des services, des intermédiaires mettant en
relation des groupes d’usagers différents, des espaces de publication ou
des marchés – mais jamais comme des employeurs. Pourtant, dit Antonio
Casilli, c’est faux. Elles font bien appel à du travail immatériel mais
soit elles le délocalisent, soit elles le rendent invisibile, soit elles
le font passer pour des activités ludiques. Quoi qu’il en soit,
écrit-il, il existe « un continuum entre activités non rémunérées,
activités sous-payées et activités rémunérées de manière flexible. »
Tâcherons, salariés déguisés et utilisateurs dupés : les visages du digital labor
Antonio Casilli décrit surtout des cas assez connus (les chauffeurs
Uber, les travailleurs à la tâche payés quelques centimes de la
plateforme Mechanical Turk, et les usagers de Facebook), et on n’y
trouvera pas de révélations factuelles fracassantes – même si on apprend
au détour d’une page que Google emploie des humains pour vérifier les résultats de son moteur de recherche, qu’Uber embauche des opérateurs
pour assister ses voitures automatiques , que Twitter vend désormais
les données de ses utilisateurs à des fins publicitaires mais aussi à
des entreprises de solution de machine learning, comme IBM, Oracle ou
Salesforce, ou encore que les détenus chinois ou russes sont parfois
forcés de travailler à produire des vidéos YouTube ou des contenus web,
monétisés par les prisons).
Mais l’enquête n’est pas le propos du livre : l’auteur se propose surtout de brosser un panorama des différentes formes de digital labor.
Il décrit d’abord le monde du « microtravail » : les toutes petites
tâches proposées sur des plateformes comme Mechanical Turk, Freelancer
ou Upwork, sur lesquelles n’importe qui peut s’inscrire et offrir ses
services pour des sommes avoisinant souvent les dizaines de centimes.
Ces « micro-tâches » sont diverses : filtrer des contenus sur les
plateformes, traduire des mots ou des groupe de mots pour développer des
services de traduction « intelligents », identifier des éléments sur
une image pour améliorer un service de géolocalisation, enregistrer des
bribes de conversations ou les transcrire pour développer des assistants
vocaux, vérifier les résultats d’un moteur de recherche ou passer
derrière des algorithmes de filtrage… Elles ont en commun d’être
infimes, répétitives, peu qualifiées, et peu ou pas payées.
Viennent ensuite les travailleurs à la demande, les usagers de
plateformes de travail comme Uber, Foodora, Deliveroo. Ils utilisent le
service de la plateforme, qui prélève une commission sur les échanges,
mais ce n’est pas leur seule contribution. Ils produisent des données
personnelles diverses et les qualifient (quand un chauffeur note son
passager ou son passager un chauffeur) — celles-ci peuvent alors
également être vendues ou utilisées pour améliorer l’algorithme.
Ce qui fait plus débat concerne le troisième cas, celui des
contributions non payées : les posts, les commentaires, les messages,
les évaluations, les partages… Pour certains, ce sont des marques de la
culture web, de la sociabilité, de l’expression… et pour d’autres, dont
Antonio Casilli, du travail gratuit. La plateforme tire une valeur
réelle, et monétisée, des activités et des données des usagers. Elle
capte et exploite la valeur générée par ces activités, ces données – qui
peuvent être vendues ou utilisées pour entraîner des algorithmes, par
exemple. Mais les usagers ne touchent aucune rétribution, en dépit du
fait que leur activité génère de la valeur et est indispensable au
fonctionnement économique du site et constitue donc une forme de
travail. On peut citer le fait, par exemple, que les influenceurs sont
rémunérés pour leur posts, ou encore que, parmi la minorité d’usagers
très actifs sur une plateforme, une portion non négligeable espère se
professionnaliser (ce que des sociologues ont décrit comme le « hope
labor », le travail de l’espoir).
Certains exemples sont plus convaincants que d’autres : forcer les
internautes à identifier des images pour accéder à des contenus, comme
avec le système ReCAPTCHA, semble clairement relever du travail gratuit.
Poster ou partager un post qui nous tient à cœur entre dans une
catégorie plus difficile à cerner. En réponse à ces critiques, Antonio
Casilli rappelle que la notion de travail est le produit de luttes de
définition et de luttes sociales. Ainsi, le féminisme a fait émerger la
notion de « travail domestique » puis de travail de care, pour désigner
des activités qui étaient jusqu’alors considérées comme allant de soi.
Extension du travail précaire sous couvert de liberté
Ce digital labor est donc extrêmement répandu en ligne. Il
témoigne, explique le chercheur, de deux tendances à l’œuvre dans un
champ plus large que le numérique : la mise au travail de pans
croissants de notre réalité d’une part (puisque nos technologies de
communication nous permettent d’être joignable et productifs partout et
tout le temps, et puisque toutes nos données peuvent être
potentiellement génératrices de valeur), l’érosion du modèle du salariat
d’autre part. Or le salariat est fondé sur un pacte entre l’entreprise
et le salarié : en échange de sa subordination, l’entreprise lui fournit
une certaine protection sociale. Aujourd’hui quand elles refusent
d’être considérées comme des employeurs (même si la justice ne leur
donne pas toujours raison), les plateformes mettent à mal ce pacte et
participent à une tendance vers des travailleurs toujours plus isolés et
aux droits restreints : elles concluent, dit Antonio Casilli « un pacte
oxymorique » avec le travailleurs, « en les mettant à la fois au
travail et hors travail ».
Les plateformes mettent en avant la liberté du travail indépendant,
la possibilité d’être entrepreneur de soi-même sans avoir à se plier aux
règles hiérarchiques. « Idéalement, sur les plateformes et dans leurs
écosystèmes, tout individu est une start-up », résume le chercheur.
Cet imaginaire largement libertarien irrigue profondément la culture du web depuis ses débuts
et s’incarne, par exemple, dans la figure du hacker ou de
l’entrepreneur nomade, du passionné qui s’accomplit dans un « projet
professionnel qui est aussi existentiel ». Mais Antonio Casilli note
combien cette vision est élitiste et ne prend pas en compte l’asymétrie
des forces dans un marché du travail en berne où le chômage est élevé et
l’ascenseur social en panne, dans un passage qu’on a envie de citer en
entier :
« Aucune place, dans cette définition, pour la routine des
microtravailleurs de Clickworker, l’épuisement des livreurs de Foodora
ou la confusion des poinçonneurs de ReCAPTCHA transcrivant des mots
machinalement pour entraîner des systèmes de vision par ordinateur.
Cette approche passe donc sous silence les perdants de la transformation
numérique : ceux dont l’extrême flexibilité n’est pas un choix de vie
et dont le digital labor à la chaîne peut difficilement être
considéré comme un vecteur de réalisation de soi. Les entrepreneurs
d’eux-même que célèbre le discours d’accompagnement des plateformes
laissent une fois de plus dans l’ombre les digital laborers,
souffrant de la vacuité et du caractère répétitif de leurs tâches ou
anesthésiés par la ludification de leurs usages. La « soif de liberté »
n’est certainement pas moins grande que celle des slashers, co-workers,
lanceurs de start-up et autres « précaires entreprenants » qui se vivent
comme des fugueurs de la condition salariale, mais elle n’a
manifestement pas plus de chance d’être étanchée que leur quête de
stabilité dans l’emploi d’être atteinte. »
En l’absence de régulation, le digital labor préfigure le
pire du travail : un monde de travailleurs isolés, privés de droits
sociaux et iolés les uns des autres, livrés aux conditions léonines des
employeurs — et accomplissant des tâches standardisées, fragmentées, peu
qualifiées et dépourvues de sens global. Ici et là, des tentatives de régulation ou de création de plateformes équitables
sont en cours. Il est urgent de les soutenir, si l’on ne veut pas que
le développement croissant de l’automatisation ne soit synonyme non
d’une disparition du travail, mais de sa dégradation irrémédiable.