[Note to self] Pourquoi le débat sur Trump et les algorithmes de Facebook est complètement débile

Cette note à moi-même était destinée à rester dans mon dossier Brouillons. Puis j’ai appuyé sur Publier.

Facebook a-t-il facilité l’élection de Trump ? C’est le mini-marronnier de l’après-déferlante fasciste, la chasse au bouc émissaire après l’élection du vieux bouc. Surtout c’est un débat public débile, auquel je refuse de participer tant qu’il continuera à être polarisé sur deux positions également indéfendables :

  • algorithms are the roots of all kinds of evil : l’algophobie à deux balles des médias généralistes, accompagnés par les technoluddites de tous bords, qui cherchent à cacher leurs propres responsabilités dans l’instauration d’un climat culturel fachocompatible (à force de passer en boucle Trump et ses pantins “décomplexés”) en attribuant le blâme aux bulles de filtres, conséquences des architectures des réseaux sociaux numériques. Ces mêmes médias traditionnels qui ont profité éhontément des bribes de haine et de violence du Toupet Parlant, ceux qui ont fourni une caisse de résonance et parfois des honoraires à ses porte-paroles, qui ont payé des posts sponsorisés et passé des deals de millions de dollars pour fournir du contenu à la même plateforme sociale qu’ils critiquent aujourd’hui—bref qui sont complices de ce désastre et cherchent à s’absoudre ;
  • users are to blame (not poor, innocent Facebook) : le “laissez-faire algorithmique” niais des alliées de fait ou des experts salariés des plateformes, qui vous répètent qu’en fin de compte les sociabilités ne sont pas influencées par les algorithmes, que si les bulles existent c’est parce que les usagers sont pointilleux, que les gauchistes refusent de parler avec les gens de droite, c’est leur choix, mais il faudrait faire un  effort, configurer quelques paramètres, faire des heures sup sur les réseaux pour lire des articles de sources variées, cliquer sur 5 ou 6 liens plus que d’habitude et, voilà, tout serait ok, parce que qu’après tout un algorithme c’est comme un régime alimentaire, c’est à vous de le suivre ou pas, il vous donne une indications mais après vous êtes libres, et même si parfois c’est un peu cacophonique, bien, c’est tout de même jouable, ce n’est que votre responsabilité, l’algo n’y est pour rien, et donc circulez y a rien à voir, circulez—bref qui se sentent ciblés par ces accusations d’être responsables de ce désastre et cherchent à s’absoudre.

Remettons le débat sur les rails en prenant comme points de départ ces trois principes :

  1. Le fascisme triomphe dans les urnes parce qu’il est une force historique que nous n’avons jamais défait, et qu’il faut combattre au quotidien. Il a toujours été présent dans la vie politique et il est revenu dans les parlements et dans les gouvernements en Pologne, Hongrie, Royaume-Uni, Autriche… Ce n’est pas parce que, pendant quelques décennies, des partis ouvertement fascistes n’ont pas candidaté au niveau local ou national que le mouvement a été éradiqué de nos institutions, de nos rues, de nos familles. Les mouvements néonazis prolifèrent en Allemagne, Italie, Grèce, Suède. L’ennemi actuel est toujours le même qu’avant. Être surpris face à ses incessantes résurgences est un signal dangereux d’oisiveté politique et de fausse conscience.
  2. Les médias sont tous responsables, les nouveaux comme les anciens, les sociaux comme les traditionnels, les “algorithmiques” comme les “électromagnétiques”. Notre propre responsabilité citoyenne de producteurs/consommateurs de contenus, de “public travailleur” ne doit pas nous aveugler vis-à-vis des collusions économiques, politiques et technologiques, de ceux qui détiennent les clés des plateformes : ils configurent les moyens de production qui encadrent notre force de travail implicite, et qui nous incite à créer, valoriser et circuler de la richesse dans des conditions de subordination — et tant que ce lien de subordination ne sera brisé en dénonçant la rhétorique de l’adhésion libre, de la participation volontaire, de la capacitation par défaut, nous serons dans la pire des forme de normation : celle qui consiste à ne pas voir que l’adhésion, la participation et la capacitation ne sont pas des acquis, mais des conquis de luttes que nous devons engager pour reprendre ce que les plateformes ont pris aux communautés d’internet.
  3. L’oppression des citoyens des démocraties occidentales, écrasés par une offre politique constamment revue à la baisse depuis vingt ans, qui in fine a atteint l’alignement à l’extrême droite de tous les partis dans l’éventail constitutionnel, qui ne propose qu’un seul fascisme mais disponible en différents coloris, va de pair avec l’oppression des usagers de technologies numériques, marginalisés, forcés d’accepter une seule offre de sociabilité, centralisée, normalisée, policée, exploitée par le capitalisme des plateformes qui ne proposent qu’une seule modalité de gouvernance opaque et asymétrique, mais disponible via différents applications.