Sur INA Global (03 oct. 2011)

Sur INA Global, la revue des industries créatives et des médias, Cédric Cousseau propose une synthèse de “Cultures du numérique”, numéro 88 de la revue Communications dirigé par Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).

Le numéro anniversaire des 50 ans de la revue Communications et intitulé « Cultures du numérique » dresse un panorama des différentes mutations initiées par le numérique dans notre vie quotidienne. Celles-ci concernent tout aussi bien l’audiovisuel que l’administration, le management, la santé, le marketing, le droit, ou encore le rapport aux autres autant qu’à soi.

Le numérique avec ses innovations régulières, rapides, globales, rythme et induit de nouveaux usages et outils d’organisation. Au-delà de la technique, quelles pratiques et intentions le numérique fait-il apparaître ? L’étude menée par le chercheur Antonio A. Casilli, accompagné d’une vingtaine de spécialistes, propose ainsi une philosophie des nouveaux usages.

Il s’agit tout d’abord d’observer la transition numérique telle qu’elle transforme l’individu. Ce que Julie Denouël aborde en étudiant les « formes de présentation électronique de soi ». La chercheuse à l’Université Montpellier-III a ainsi analysé les pages personnelles d’internautes pour mieux éclaircir leur identité sur la Toile.

La présentation électronique de soi est à la fois intrapersonnelle, en ce qu’elle est propice au récit de soi (…) ; interpersonnelle, parce qu’elle permet d’intégrer des liens vers d’autres pages ; et dynamique puisqu’elle peut être enrichie et réactualisée à l’envie.
Le pseudonyme, l’avatar et la possibilité de multiplier les profils permettent tour à tour de se dévoiler intimement, de se travestir, de se dissimuler. Mais l’intérêt recherché est-il uniquement individualiste ? Rien n’est moins sûr, selon l’universitaire pour qui, « centrés sur soi, les éléments identitaires mis en ligne n’en demeurent pas moins orientés vers autrui, dont on attend une réaction, voire une évaluation (même dépréciative), en retour. »

Si l’on peut aujourd’hui partager sans limite ses émotions, son expérience, son activité en temps réel mais aussi se construire un personnage, il existe également un processus de validation. Dans Les liaisons numériques (Seuil, 2010), Antonio A. Casilli estime ainsi qu’une personne encourt le risque de se faire écarter de la communauté si le manque de sincérité vient à briser la confiance de ceux à qui l’on s’adresse.

C’est tout naturellement que Dominique Cardon poursuit la réflexion sur les réseaux sociaux. Membre de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et chercheur à Orange Labs, il insiste sur l’existence d’un double mouvement : « Un processus de subjectivation qui conduit les personnes à extérioriser leur identité dans des signes qui témoignent moins d’un statut incorporé et acquis que d’une capacité à faire (écrire, photographier, créer…) ; et un processus de simulation qui les conduit à endosser une diversité de rôles exprimant des facettes multiples de leur personnalité ».

L’objectif serait ainsi de marquer sa singularité et son originalité pour être remarqué des autres. Il bat ainsi en brèche l’idée selon laquelle les réseaux sociaux n’auraient qu’un caractère narcissique. Dominique Cardon préfère parler « d’exploration curieuse du monde ».

Il rejoint en ce sens la pensée de François de Singly (Les uns vers les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Armand Colin, 2003) et l’analyse d’Olivier Donnat (Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, La Découverte, 2008) pour qui Internet n’a pas replié les individus sur eux-mêmes mais a au contraire enrichi leur sociabilité et renforcé des liens qui se seraient sinon distendus.

Les nouvelles formes de sociabilité ont également investi les domaines de la production et de la consommation. Ceux-ci tendent d’ailleurs à se confondre et les deux termes s’amalgament en « prosumer », titre de l’article de Valérie Beaudouin, chercheuse à Paris Tech. Elle prend ainsi en exemple le cas du logiciel libre, « innovation horizontale » car mise au point par les utilisateurs.