[Podcast] L’un de mes livres préférés (France Culture, 16 févr. 2019)

Dans le cadre de l’émission Les Matins du Samedi, j’étais l’invité de Natacha Triou pour son ségment L’Idée Culture. Chaque week-end, des invité.es parlent des lectures qui ont marqué leurs parcours intellectuel. Dans mon cas, la nouvelle Cor serpentis, de l’écrivain soviétique Ivan Efremov (1958) s’est avérée un moment-clé de mon rapport à la technologie, à la politique et à l’histoire.

La thèse principale d’Efremov est que pour voyager dans l’espace il faut être communistes, car la coopération sociale nécessaire à mettre en place les infrastructures nécessaires aux voyages interstellaires ne peut être atteinte que dans une société qui a dépassé les conflits de classe. Mais son imagination va même plus loin, puisqu’il affirme que tout voyageur intersidéral communiste ne peut qu’avoir une forme humaine harmonieuse. En fait, insiste-t-il, l’évolution de la société et celle de la physionomie vont de pair. Par conséquent, quand un vaisseau spatial guidé par des terriens croise un autre vaisseau, les extraterrestres ne pourront qu’être leurs semblables, autant sur le plan physique que sur le plan idéologique (Efremov préfère dire qu’ils ont atteint le même “niveau de progrès scientifique”). La rencontre sera alors parfaitement pacifique.

L’élément le plus intéressant de Cor Serpentis est la présence d’un “récit enchâssé”. Lorsque l’équipage du vaisseau terrien doit décider si approcher en paix ou attaquer l’autre vaisseau, ses membres se réunissent dans… la bibliothèque de leur astronef et lisent… un récit de SF américain du XXe sicle. Il s’agit de First contact de Murray Leinster (pseudonyme de William Fitzgerald Jenkins), dans lequel, lorsque deux vaisseaux spatiaux se croisent, le commandant étasunien décide de frapper en premier. Ceci pointe, d’après Efremov, les liens étroits entre capitalisme, compétition et agression impérialiste.

Petite curiosité : Murray Leinster, l’auteur américain critiqué par Efremov, a aussi écrit A logic named Joe (1946), récit qui préfigure une société où tout peut faire l’objet d’une recherche Google. Il est la pièce de résistance de l’introduction de mon livre “Liaisons numériques” (Seuil, 2010).