Hidden track #7 : CCCP – épatez vos amis avec du punk philo-soviétique

Les chanteurs siamois d’Amanda Palmer ? Le crust-ska des Leftöver Crack ? Die Antwoord et la nouvelle scène zef afrikaans ? Admettez-le : à un certain moment, cela devient difficile de trouver quelque chose de vraiment nouveau pour épater vos amis mordus de musique. D’autant plus que, si vous vous mettez à explorer des trucs nouveaux sur Spotify ou sur Last.fm, vous risquez de bousiller vos stats… Mieux vaut s’orienter carrément vers des groupes défunts, genre des formations pratiquement méconnues à la populace, qui n’ont influencé pratiquement personne, et qui ne risquent pas de vous faire suggérer du Lady Gaga la prochaine fois que vous vous pointerez sur iTunes.

Nom : CCCP – Fedeli alla linea (“URSS – Fidèles à la ligne”). Année de création : 1981. Pays : Italie. Genre :  art-punk philo-soviétique avec influences folk, disco et world.

Un petit morceau représentatif de leur production la plus originale : Valium Tavor Serenase, vignette d’aliénation pharmaceutique, mélangeant rock dur et “liscio” (une espèce de valse du nord de l’Italie).

“Le Valium me relaxe,
le Serenase me détend,
le Tavor me remonte.

Certains me filent la pêche,
Certains m’étourdissent.

Et vous, que voulez-vous ?
Qu’est-ce que vous vous shootez dans les veines ?
Où est-ce que vous êtes blessés ?
Quel est votre problème ?
Pourquoi votre coeur bat-il ?
Pour qui votre coeur bat-il ?

Mieux vaut un médicament
qu’une histoire d’enfer ?
Mieux vaut passer des journées à ne rien foutre
que de se teindre les cheveux en vert ?”

[CCCP – Valium Tavor Serenase (1985)]

La première question qui vient à l’esprit est : est-ce que ces gars étaient vraiment des communistes staliniens ? Bien sûr que non. Le choix du nom n’était qu’un private joke entre militants punk/autonomen de tendance libertaire. Mais dans le contexte de l’Italie post-années de plomb, l’ambigüité idéologique revendiquée par Giovanni Lindo Ferretti et par ses compagnons se faisait miroir des tensions qui traversaient le pays, tiraillé entre le fascisme des catholiques au pouvoir et le totalitarisme désarmant de l’opposition communiste. Le titre de leur deuxième album, Socialismo e barbarie (“Socialisme et barbarie”, 1987), restitue l’attitude désabusée des CCCP, l’amer constat de l’impossibilité d’une alternative à  la misère de la politique italienne. (Je me souviens encore de la joie troublée ressentie en regardant la couverture du vinile que je venais, adolescent, tout just d’acheter).

Le punk italien des années 1980 était déjà très orienté cabaret, et les CCCP intégraient dans leur formation un mime (“Fatur, artiste du peuple italien”) et une danseuse (“Annarella, soubrette méritoire des soviets”). Pour vous rendre compte de ce que ça donnait en live, voilà la très solennelle A Ja Ljublju SSSR (“Je t’aime URSS”), leur version de l’hymne soviétique, avec des morceaux de Majakovskij dedans.

“Le feu d’un cœur
qui enflamme l’esprit
peut faire fondre la glace
du marbre brulant !

Honneur au bras
qui actionne le métier à tisser !
Honneur à la force
qui déplace l’acier !
Cela existe: je le sais !!!”

[CCCP – A Ja Ljublju SSSR (1987)]

Pour continuer, leur premier et – je crois – seul passage télé : une interprétation géniale de l’une de leur chansons les plus marquantes, Punk Islam :

“Ceci est l’hommage d’un groupe de punks italiens au monde islamique, tout entier.
Je n’adore pas ce que vous adorez, et vous n’adorez pas ce que j’adore.
Je ne vénère pas ce que vous vénérez, et vous ne vénérez pas ce que je vénère.
Allah est grand ! KADHAFI EST SON PROPHETE !!!”

[CCCP – Punk Islam (1988)]

Vers la fin, leur goût pour l’inédit et leur haine pour l’artistiquement correct les amène vers des collaborations à la limite du démentiel – notamment deux chansons disco avec Amanda Lear. Il montent sur scène et entonnent des choeurs de montagnards, ou des chants grégoriens.  En 1989, à la chute du mur de Berlin, les CCCP se dissolvent et se reforment quelques années plus tard sous le sobriquet de CSI, un group de rock pensif à la con. En 1994 ils font un live sémi-acoustique, où ils reprennent des vieux succès. Celui-ci est Io sto bene (“Je vais bien”) :

“Tout est question de qualité.
Ou alors tout est une formalité.
Je ne me souviens pas. Une formalité.
Comme décider de se raser les cheveux,
de renoncer au café, aux clopes,
d’en finir avec quelqu’un
ou avec quelque chose :
Une formalité ! Une formalité !

Je vais bien.
Je suis malade.
Je ne sais pas comment aller.
Je n’étudie pas, je ne travaille pas, je ne regarde pas la télé,
Je ne vais pas au cinéma, je ne fais pas de sport.
Je vais bien.
Je suis malade.
Je ne sais pas comment aller”

[CCCP – Io sto bene (1985)]

—a

Ps. Je remercie la collègue Agnese Vardanega, sociologue à Teramo (Italie) et twitteuse internationale, laquelle m’a signalé – après avoir lu ce billet – l’envoutante Amandoti (“En t’aimant”), une soi-disant reprise (en réalité l’une de leurs chansons les plus authentiques) parue dans l’album posthume Epica Etica Etnica e Pathos (“Epique Ethique Ethnique et Pathos”, 1990) :

“T’aimer me fatigue, m’épuise
Comme rire en pleurant.
T’aimer me fatigue, me rend mélancolique.
Que veux-tu? C’est la vie.
C’est la vie, la mienne.”

[CCCP – Amandoti (1990)]