"Santé future, inégalités passées" : Antonio Casilli au Débat eSanté de Regards Sur Le Numérique

Le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil) participe au Débat de RSLN “eSanté : le futur est-il déjà là ?”, en compagnie de Marcel Desvergne (président d’Aquitaine Europe Communication), Antoine Flahault (directeur de l’EHESP), Jacques Lucas (vice-président du Conseil national de l’Ordre des Médecins), Charles Delaunay-Driquert (designer numérique), Laurent Gout (médecin urgentiste et auteur du blog UrgenTIC), Yann Leroux (psychanalyste et auteur du blog Psyetgeek), Nathalie Wright (directrice du secteur public chez Microsoft France), Christian Saout (président du collectif d’associations de patients CISS),  Kenza Boda (auteure numérique).

E-santé : entre conflits sociaux et fractures sanitaires.

(Texte de l’intervention d’Antonio A. Casilli au Débat RSLN eSanté, 28 avril 2011)

Une complexité sociale grandissante entoure la transition de la “médecine de chevet” à l’e-santé. Nous ne sommes pas en train d’observer un processus linéaire, mais un concert de voix discordantes, un champ de tensions.  L’application des technologies communicantes et des dispositifs mobiles au domaine de la biomédecine sous-entend un ensemble de revendications d’autonomie de la part des sujets impliqués dans les échanges informatisés orientés santé.  Surtout, les communautés de patients du Web restituent de façon originale un ensemble de conflictualités entre institutions médicales et savoirs profanes du corps.  Issues des contestations de la médecine institutionnelle des années 1980 et des collectifs de « résistance civile électronique » où les premiers hackers mettaient leurs compétences informatiques au service des malades exclus des soins par des systèmes de sécurité sociale de plus en plus dysfonctionnels, les forums de discussion santé ou les applications participatives de la “medecine 2.0 ” actuelle sont encore animés par un refus très marqué de la médiation médicale.  Dans le contexte qui se dessine, les médecins ne seraient plus qu’une ressource parmi d’autres, concurrencés par les communautés épistémiques à la Wikipédia, les groupes d’entraide en ligne et les bases de données ‘open’.  Mais, de manière paradoxale, la démocratisation croissante des usages numériques ne va pas sans soulever plusieurs interrogations quant aux biais qu’elle peut introduire dans l’accès aux soins. La question des inégalités en matière de santé reste plus que jamais ouverte. Un déplacement progressif des scènes de l’exclusion et de l’isolement social pourrait s’opérer si la « fracture numérique » finissait par  recouper une « fracture sanitaire » entre usagers ayant accès à de l’aide en ligne et à de l’information de qualité et des couches de population progressivement évincées de cette démarche d’ ’empowerment’ des malades. Le risque est que les usages numériques contribuent à exacerber ces inégalités.