Dans Pulsations n. 5 (juin 2011)

Pulsations, le journal des Hôpitaux Universitaires de Genève publie une interview avec Antonio A. Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil). L’occasion de parler d’eSanté, Wikipedia et industries pharmaceutiques.

Avec l’essor des nouvelles technologies, assiste-t-on à la fin de la médecine de chevet et au début de la médecine d’ordinateur ?

Au contraire, l’essor de nouvelles technologies en médecine s’inscrit dans la continuité de phénomènes et de pratiques qui préexistent au Web. Certains commentateurs s’inquiètent de voir les cliniciens troquer, pour ainsi dire, leur stéthoscope pour une souris d’ordinateur. Ils oublient que la médecine revient toujours à se servir de dispositifs artificiels pour soigner un corps organique. Même avant le Web, elle était un procédé technologique. C’est notre technologie qui a changé. Elle est devenue numérique.

Les médecins voient de plus en plus de patients arriver avec des symptômes et… un diagnostic trouvé sur le web, qu’en pensez-vous?

C’est dérangeant pour les méde- cins, mais très enrichissant pour les patients qui se voient impliqués, d’entrée, dans le processus de soin. Ce qui est important, c’est de trouver sur Internet de l’information fiable. Souvent, les professionnels de la santé crient au scandale parce que leurs patients recherchent leurs symptômes sur Google ou sur Wikipédia. Mais des études récentes ont démontré qu’un diagnostic obtenu à l’aide de Google est correct plus d’une fois sur deux. Il y a certains secteurs de la médecine – comme la cardiologie ou l’infectiologie – qui ont des marges d’erreur beaucoup plus importantes… Wikipédia a, quant à elle, des équipes d’administrateurs qui patrouillent les pages de l’encyclopédie pour empêcher toute intox et toute modification relevant du marketing pharmaceutique. Est-ce que les revues spécialisées des professionnels de santé peuvent en dire autant ?

Le médecin perd-il son rôle de toute puissance sur le patient ? Cesse-t-il d’être celui qui sait (tout) dans la représentation du malade?

Le médecin perd sa fonction d’intermédiaire entre le corps du patient et le savoir scientifique, qui cesse d’être réservé à une élite. On peut alors parler de «désintermédiation». Personnellement, je ne crois pas que cela signifie la fin de la profession médicale, mais sa transformation. Le médecin d’aujourd’hui doit être capable avant tout de guider son patient à travers une jungle de recommandations contradictoires : celles que l’on trouve dans la presse ou sur le Web, mais aussi sur les emballages des aliments, dans les guides d’utilisation des appareils électroménagers… Tout le monde cherche à nous vendre de la santé et du bien-être.  Et cela est très cacophonique. Un professionnel de santé doit savoir aider son patient à départager les avis.