Google censure les gros mots : une non-nouvelle [Updated 02.12.13]

Depuis quelques jours cette nouvelle fait le tour des Internets.

Mystère du journalisme, l’angle choisi est “après le porno, Google censure les gros mots”. Personnellement, cela me surprend. Et c’est à peu près la seule chose surprenante de toute cette histoire. En effet, le brevet déposé par la firme de Mountain View concerne un système de détection automatique de contenus multimédias “non autorisés, tel qu’un contenu protégé par le droit d’auteur ou des violations de nudité, de violence, de langue”.

Malgré les affirmations pseudo-libertaires d’Eric Schmidt, Google a une longue histoire de filtrage et de bricolage algorithmique du référencement des pages via son moteur de recherche. Ces formes de censure concernent (selon les occasions) des contenus dérageants pour certains gouvernements, lobbies industriels ou porteurs d’intérêts diverses et variés. Donc là, rien de nouveau.

Que les contenus visés soient les “flux multimédia composites multiutilisateur” des Google Hangouts n’a rien d’étonnant non plus. Youtube, autre fer de lance de l’entreprise de Larry Page, pratique depuis longtemps cette chasse à l’audiovisuel protégé par le copyright, grâce à son système d’identification de contenu. Le filtrage des contenus de transmissions du type chat ou vidéoconférences, quant a lui, est coutumier dans nos sociétés (voir cet exemple récent de surveillance de masse des utilisateurs de TOM-Skype et censure de contenus non appropriés pour le régime chinois : scandales politiques, mouvements indépendantistes, sectes).

Rien d’épatant, donc, sauf justement le fait de vouloir lire, derrière les “language violations” auxquelles fait allusion le brevet, l’interdiction de tout langage vulgaire – écho peut-être de la diatribe publique autour du rôle des “fauteurs d’incivilité numérique” (trolls, vandales et anonymes assortis). En fait les gros mots en soi n’ont jamais représenté un risque pour les services en ligne. Au contraire, ils peuvent représenter un gage de liberté d’expression dans des contextes d’interaction numérisée extrêmement contraignants et répressifs. C’est le cas de la plateforme sociale VKontakte (l’homologue de Facebook en Russie), où l’usage de l’argot grossier (мат) est autant répandu qu’y sont sanctionnés les propos contraires au gouvernement de Poutine.

Quantité moyenne de gros mots par post sur VK.com. Axe Y: nombre de gros mots. Axe X: âge des membres. Ligne rouge: seulement profils actifs. Ligne bleue: tous. Source: Habrahabr.ru

Comme pour d’autres inventions de Google aux possibles conséquences disruptives, et par delà la réalisation effective du système qui en fait l’objet, ce brevet est plus important pour ce qu’il révèle de l’idéologie sous-jacente du modus operandi de la firme américaine. Même s’il a alimenté une non-actualité, le dépôt de demande de brevet est certes un événement.