Dans Libération (24 août 2016)

Le 15 août aux Etats-Unis, alors que la Louisiane était frappée par des inondations spectaculaires et qu’un incendie dévastait – et dévaste toujours – plusieurs milliers d’hectares en Californie, le géant Airbnb a décidé de lancer son plan d’hébergement d’urgence. Le principe du «disaster response service» est simple : les usagers postent des annonces pour proposer un refuge gratuit aux victimes géolocalisées dans la zone en danger. A ce jour en Louisiane, plus de 250 hôtes ont mis leur logement à disposition et entre 50 et 100 victimes en ont bénéficié. En Californie, une vingtaine de personnes ont proposé leur toit et ont permis à une dizaine de sinistrés de se mettre à l’abri. Il est de plus en plus récurrent que, lors de désastres ou situations d’urgence, les plateformes communautaires et réseaux sociaux utilisent leurs outils de géolocalisation pour permettre de sauver des vies, d’aider des sinistrés ou de simplement rassurer des proches. Au risque (bénéfique pour eux, cependant) de devenir des mines de données personnelles. Le «disaster response service» d’Airbnb est déclenché par l’équipe Global Disaster Response & Relief dirigée par Kellie Bentz. Elle explique que l’initiative «est prise par l’équipe de gestion après concertation avec les autorités et ONG locales», afin de déterminer au mieux les besoins des populations sinistrées. «Cela dépend aussi du nombre d’hôtes inscrits et d’utilisateurs potentiels présents dans la région touchée», ajoute-t-elle.Des dispositifs critiqués malgré leur bonne intentionCette initiative solidaire n’est pas inédite, car la plateforme communautaire américaine l’expérimente depuis 2013. Celle-ci a été créée suite au passage de l’ouragan Sandy qui avait frappé la côte Est des Etats-Unis en 2012, alors qu’un utilisateur de l’application avait ouvert ses portes à des sinistrés. Une façon pour les plateformes sociales d’agir, tout comme Facebook qui propose depuis 2015 sa fonction de «safety check», ou «contrôle de sécurité», en cas de catastrophe naturelle ou d’attaque. Là aussi, cet outil a été créé à partir d’un constat : en situation de crise, beaucoup de gens cherchent à contacter leurs proches via les réseaux sociaux. Le «safety check» est cependant sujet à polémiques et on lui reproche principalement d’être à géométrie variable. Aucun «safety check» ne s’est déclenché le 12 novembre pendant les attentats à la bombe de Beyrouth, alors que le lendemain, les personnes géolocalisées en Ile-de-France ont pu indiquer à leurs proches qu’elles étaient en sécurité. De la même façon, les Ivoiriens de la plage de Grand-Bassam n’ont pas eu droit au «safety check» lors de l’attaque du 13 mars, alors qu’il se déclenchait quelques jours plus tard à Bruxelles. Un responsable de Facebook a expliqué au Monde suite aux attentats du 22 mars à Bruxelles, que cet outil était compliqué à mettre en œuvre. Chaque situation est évaluée, ainsi que son ampleur et sa gravité. Il s’agit aussi de ne pas déclencher le «safety check» trop tard, ni trop tôt, pour que les gens ne se signalent pas en sécurité trop précipitamment. Un fonctionnement qui ne repose donc pas entièrement sur des algorithmes et requiert un jugement humain, qui par définition n’est pas infaillible. Numérama annonçait néanmoins en juillet que Facebook testait une version automatique de son «safety check» depuis deux mois, sans confirmation manuelle de la part de ses équipes. «Assurer une bonne image publique»Mais ces outils entrent dans une logique de communication inhérente à leur statut d’entreprise, et pour Antonio Casilli, sociologue à Télécom ParisTech et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), ils ne seraient qu’une manœuvre commerciale de la part des géants du web : «Les choix géographiques qui sont faits dans le déclenchement du “safety check” sont révélateurs de la gestion de réputation exercée par Facebook». Il s’agit d’assurer «une bonne image publique dans les pays de l’hémisphère nord qui représentent sa cible commerciale principale», explique-t-il. Quant à Airbnb, Kellie Bentz se défend de tout objectif commercial. Une affirmation qui peut paraître crédible au vu des résultats, encore temporaires mais plutôt humbles, du plan d’urgence.Le rôle du web social dans l’encouragement à la solidarité serait donc à nuancer. «Le fait que les gens répondent à l’appel d’Airbnb n’est que la preuve que la solidarité humaine continue de se manifester. Mais elle existait heureusement avant ces plateformes», continue le sociologue. Selon lui, les initiatives prises sur des petits forums ou sur des chats sont plus sincères, car elles ne «découlent pas d’une stratégie de communication». Twitter lui semble donc plus «spontané» car les utilisateurs eux-mêmes sont à l’origine des tendances, à l’image du hashtag #PorteOuverte créé sur Twitter le soir du 13 Novembre par des citoyens franciliens. Antonio Casilli estime que c’est ici «une bonne façon de ne pas se borner aux algorithmes de plateformes telles que Facebook

Source: Quand Airbnb, Facebook et Twitter viennent au secours de leurs utilisateurs – Libération